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Quand l’archevêque du Cap-Haïtien Launey Saturné célèbre la messe de requiem du président Jovenel Moïse

samedi 24 juillet 2021 par Charles Sterlin

L’archevêque du Cap-Haïtien, Launey Saturné, a célébré la vie, le bon, le grand en Jovenel Moïse, président de la république, « victime d’un crime odieux ». Prompt à recommander l’âme du défunt à la miséricorde de Dieu et offrir sympathies et prières à la famille, à toutes les personnes éplorées, le président de la conférence épiscopale a mis en avant l’incapacité à préserver la vie des riches comme des pauvres dans ce pays où les familles sont perpétuellement en deuil. Halte-là. C’en est trop !, a-t-il lancé.

Cap-Haïtien. 8 heures et quelques minutes, jeudi 22 juillet 2021. Rien n’indique que la messe annoncée à 9 heures du matin par les autorités municipales à la mémoire du président Jovenel Moïse commencera à temps. Entre-temps, la ville respire l’air du large, s’anime au vrombissement de quelques taxis motos aux pots d’échappement troués qui déposent des passagers dans les parages de la place publique, au cœur de la ville. Les rayons du soleil, affranchis du gris de nuage de la veille, lèchent la façade principale de la Notre-Dame de l’Assomption, la cathédrale iconique de la deuxième ville d’Haïti.

Sous la coupole, à l’intérieur de cette cathédrale, deux jeunes hommes, sveltes, s’attellent à orner de fleurs une chapelle ardente érigée au pied de l’autel.

En guise de cercueil, il y a la photo officielle du président Jovenel Moïse. Son large sourire, en ce moment de vie, semble ajouter son poids de peine, lisible sur les visages de quelques dames vêtues de blanc, silencieuses et pensives.

Les minutes, en cette triste matinée, agonisent au rythme du ballet des journalistes étrangers qui installent leurs matériels, enfilent gilets pare-balle, et du petit vacarme de militants en colère et aux convictions arrêtés sur les causes de l’assassinat du chef de l’Etat.

Peu après 9 heures 30, à la file indienne, un peu plus d’une centaine de personnes, des hommes et des femmes, casquettes blanches estampillées "ONA (1968-2021)", t-shirt blanc à l’effigie du président Moïse, avance dans l’allée principale et s’y installe. Outre le logo de l’ONA, l’effigie du président défunt, des messages, imprimés en noir, en guise d’hommage au président assassiné chez lui. « Merci président Jovenel parce que vous avez donnez votre vie dans la bataille en faveur du peuple qui se poursuivra » ; « Henry Christophe vous dit merci président Jovenel Moïse »…, lit-on, avant l’arrivée de Mme Yvrose Pierre et des deux autres agents exécutifs intérimaires.

Célébration de la vie de Jovenel Moïse

L’archevêque du Cap-Haïtien, président Launey Saturné, pour l’assistance, ceux qui suivaient via les médias en ligne, pose ses mots sur les cœurs endoloris. Amitié, sympathie, affection pour ceux qui sont dans la peine, proclame l’homme d’église, empathique dans la conduite de cette célébration « pour honorer la mémoire du feu président Jovenel Moïse, victime d’un crime odieux », « d’un assassinat perpétré dans des circonstances qui plongent le pays dans l’effroi, la stupeur, la consternation et l’inquiétude ». « Nous sommes face à l’incompréhensible, face à l’indicible, face au drame dans ce qu’il a de plus douloureux », décrit-t-il. « Au nom de la Conférence des évêques catholiques et de toute l’église d’Haïti, je désire renouveler mes profondes sympathies et sincères condoléances à la famille du défunt : son épouse, ses enfants, ses proches dont nous partageons la douleur et la désolation », poursuit l’archevêque Saturné qui, comme pour refuser un quelconque gain aux donneurs de mort, soutien qu’il célèbre ce qui a de beau, de grand dans la vie de Jovenel Moïse.

Le sacré de la vie, d’un président, de n’importe quelle victime des gangs

L’archevêque, profondément arc-bouté à la parole de Dieu qui interdit de tuer, a esquissé la réalité de ce pays où la mort danse, ondule et emporte des gens de toutes conditions et origines sociales. « Il est important pour nous de lutter afin de faire respecter les droits humains, la dignité humaines en Haïti parce que nos vies dépendent et viennent de Dieu. Personne n’a le droit d’ôter la vie d’une autre personne. La vie est sacrée », a poursuivi l’archevêque Launey Saturné, qui a fait écho des dénonciations, des condamnations passées des crimes et des exactions sur le peuple haïtien.

« Quand nous dénonçons et condamnons tous les crimes, toutes les exactions commises au dépens du peuple haïtien, c’est la vie que nous défendons. Nous nous battons pour sauvegarder, protéger la dignité de tous, les pauvres, comme les riches », a revendiqué l’homme d’église qui crie haro sur le baudet, halte-là. « Sérénité pour ceux qui ont le cœur endolori, qui sont dans la tristesse, dans la peine au sein de cette société. Dans les quartiers défavorisés où les gangs font couler le sang, où les familles sont perpétuellement affligées par des deuils de membres de leurs familles, nous demandons la fin de tout ça », a dit Launey Saturné.

Halte-là, twop san koule

« Nous disons halte-là. C’en est trop », a insisté le président de la Conférence épiscopale qui souligne que c’est l’arrêt des tueries et des effusions de sang qui doivent être notre priorité. « Aujourd’hui, c’est ce qui doit être notre priorité… Les crimes, les kidnappings, les tueries doivent cesser dans le pays. Nous avons besoin de respirer, de revenir à une vie normale », a-t-il dit, soutenant que la vie l’emportera sur la mort. « Nous affirmons avec Saint-Paul que rien ne pourra nous séparer de l’amour du Christ. Par sa mort et sa résurrection, le Christ a fait de nous des grands vainqueurs, de véritables gardiens de la création et de la vie de nos frères et sœurs en humanité (cf. Romain 8 verset 35-37). Mais quand nous manquons à cette responsabilité, quand nous ne prenons pas soin de la création et des frères, alors la destruction trouve une place et le cœur s’endurcit. Pourtant, la violence n’aidera jamais notre pays à sortir de cette impasse politique qui ne pourra se résoudre qu’à travers le dialogue, le consensus, l’esprit de compromis pour l’intérêt supérieur de la nation, pour le bien commun du pays », a indiqué l’archevêque en référence à la note de la CEH sur l’assassinat du président Jovenel Moïse, le 7 juillet 2021.

« Notre adieu au défunt est sa recommandation au Dieu de tendresse et d’amour. Morts, nous sommes nullement séparés les uns des autres, car tous, nous parcourons le même chemin et nous nous retrouverons dans le même lieu, puisque nous n’avons pas ici-bas de demeure permanente. Nous sommes pèlerins et voyageurs », a rappelé l’archevêque du Cap-Haïtien dans son homélie qui a durée plus qu’une dizaine de minutes.

Justice avant l’inhumation

Tout au cours de l’office, avant et après l’eucharistie, à mesure où la cathédrale se remplissait, le vacarme de militants et autres personnes portant des-t-shirt à l’effigie du président Jovenel Moïse s’est mué en agitations bruyantes. « Justice doit être rendue avant l’inhumation », a hurlé une femme dans la cinquantaine, casquette blanche vissée sur la tête. « Ce sont des oligarques qui ont tué Jovenel Moïse. Il n’y aura pas d’inhumation avant que justice ne soit rendue à Jovenel Moïse », a balancé un autre militant dans un tohubohu. Il n’a cure de la bénédiction finale, trop intéressé à aller marcher dans les rues de la ville pour réclamer justice pour le président Moïse, chef jusqu’à son assassinat du seul pouvoir encore debout en Haïti, pays où l’impunité est la norme, pays où les homicides sont d’une déroutante banalité.

Sous une chaleur écrasante, la journée s’est ponctuée de jets pierres à Vertières, de coups de feu au boulevard Carénage.


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