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« L’emboîtement de quatre crises met en lumière les limites des marchés » Tribune

mardi 17 mars 2020 par Charles

Cédric Durand
Economiste
Razmig Keucheyan
Sociologue
L’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan estiment, dans une tribune au « Monde », que le sous-investissement dans l’hôpital, les fragilités de la mondialisation, le soutien apporté aux banques plutôt qu’aux salaires et la guerre des prix sur le pétrole se combinent dans le déclenchement de la crise actuelle.

Tribune. L’enchaînement d’événements dans lequel le monde est entré dans le sillage de la pandémie due au coronavirus procède de l’emboîtement de quatre logiques de crise – sanitaire, économique, énergétique et financière. Elles mettent en lumière les limites des marchés. Après une décennie perdue au lendemain de la crise financière, les turbulences actuelles ouvrent une fenêtre d’opportunité. Pour rendre nos sociétés plus résilientes et rouvrir un chemin de développement commun, le politique doit assumer des orientations économiques prioritaires et y soumettre le secteur financier.
Systèmes de santé poussés au point de rupture
La première crise est sanitaire. La principale raison pour laquelle l’épidémie contamine la sphère économique tient au fait que les systèmes de santé sont poussés au point de rupture. Le problème sanitaire le plus inquiétant n’est pas tant la gravité intrinsèque de la maladie que l’incapacité des systèmes de santé à absorber un afflux massif de malades et à leur prodiguer les soins nécessaires. Evidemment, cette vulnérabilité est d’autant plus forte que les mesures d’austérité ont été importantes : le sous-investissement dans les hôpitaux se paie aujourd’hui cash sous forme de mesures de confinement dont l’objet n’est pas d’entraver la diffusion du virus, mais simplement de la ralentir de manière à limiter les pertes en vies humaines. La résilience d’une société tient d’abord à la robustesse de ses services collectifs, c’est une réalité que des marchés par nature court-termistes ne peuvent pas internaliser.
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La seconde crise est économique. Du côté de l’offre, les décisions prises pour ralentir la diffusion du virus impactent la production et le commerce. Les exportations chinoises ont plongé de 17 % aux cours des mois de janvier et de février, et des ruptures d’approvisionnement apparaissent, notamment pour des composants électroniques ou des principes actifs de médicaments. Les analystes s’attendent à ce que les difficultés s’intensifient dans les semaines qui viennent, notamment en Europe, avec l’effet en cascade des mesures déjà adoptées en Italie et maintenant en France. Ici, c’est le prix caché de chaînes de valeur fragmentées et hyperoptimisées qui apparaît au grand jour et ouvre la voie à un réencastrement des activités industrielles dans les territoires qu’elles servent.
La politique budgétaire doit réagir très vite
A ces difficultés du côté de l’offre s’ajoutent des complications du côté de la demande : non seulement une série de secteurs comme le tourisme sont de fait à l’arrêt, mais les salariés qui subissent des pertes de revenu pour cause de chômage technique ou qui voient leurs emplois menacés freinent leurs dépenses. En outre, face à un environnement aussi incertain, les entreprises reportent leurs dépenses d’investissement tandis que les plus faibles d’entre elles risquent d’être englouties par des difficultés de trésorerie. La dégradation est telle que l’entrée en récession dans la plupart des économies riches apparaît extrêmement probable. Dans un tel contexte, la politique budgétaire doit réagir très vite pour protéger les salariés et éviter un délitement du tissu productif.


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