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Califat, chrétiens d’Orient, Gaza : le dessous des cartes par Jean-Michel Quatrepoint (2/2)

samedi 23 août 2014

FIGAROVOX/GRAND ENTRETIEN - De l’Ukraine à l’Irak, Jean-Michel Quatrepoint décrypte pour FigaroVox les principales crises internationales. Pour lui, les dirigeants occidentaux ne maîtrisent plus la situation et un dérapage est désormais possible à tout instant.

Jean-Michel Quatrepoint est journaliste économiste. il a travaillé entre autres au Monde, à la Tribune et au Nouvel Economiste. Il a écrit de nombreux ouvrages, dont La crise globale en 2008 qui annonçait la crise financière à venir.
Dans son dernier livre, Le Choc des empires. Etats-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ? (Le Débat, Gallimard, 2014), il analyse la guerre économique que se livrent les trois grands empires qui règnent en maitres sur la mondialisation : les Etats-Unis, la Chine et l’Allemagne.

Lire la première partie du Grand Entretien avec Jean-Michel Quatrepoint : « Ukraine, Poutine, Obama, Merkel : le dessous des cartes par Jean-Michel Quatrepoint (1/2) ».

FigaroVox : Montée en puissance du Califat, massacres des chrétiens d’Orient, reprise du conflit israélo-palestinien
... Plus qu’à un choc des empires, assistons-nous à un choc des civilisations ?

Jean-Michel QUATREPOINT : Il y a un choc avec les islamistes qui ont effectivement une volonté messianique et veulent importer leur religion dans le monde entier. Face à cette volonté d’imposer une idéologie par le fer ou par la force, nous devons nous défendre. L’Eglise catholique, qui a été longtemps très silencieuse face à ce qui se passait pour les chrétiens d’Orient, l’a enfin compris. Dans le comportement de Poutine face à l’Occident, il y a aussi le rapport à l’islamisme. Les Russes ont été les premiers à être confrontés à l’islamisme en Tchétchénie, voire en Afghanistan. Il faut se souvenir que jusqu’au 11 septembre, les américains ont été alliés aux islamistes et qu’ils ont armé Oussama ben Laden pour combattre les soviétiques. En outre, les Russes sont entourés de pays musulmans et sont donc plus sensibles à la menace islamiste. Enfin, ils n’ont pas compris et pas accepté le rôle que les occidentaux ont laissé jouer à l’Arabie saoudite et au Qatar dans les printemps arabes. Les Russes ont notamment le sentiment de s’être fait duper concernant l’intervention en Libye puisqu’ils avaient donné leur accord à une intervention pour sauver Benghazi, mais pas pour faire tomber le régime.

Le Califat est-il une menace sérieuse ?

Le Califat progresse car il a su surfer sur les erreurs des Américains qui après avoir semé le désordre en Irak sont partis sans en assumer les conséquences. Leur principale faute est d’avoir voulu détruire l’armée irakienne alors qu’il aurait fallu garder l’ossature du régime.

Oui, le Califat progresse car il a su surfer sur les erreurs des Américains qui après avoir semé le désordre en Irak sont partis sans en assumer les conséquences. Leur principale faute est d’avoir voulu détruire l’armée irakienne alors qu’il aurait fallu garder l’ossature du régime après la chute de Saddam Hussein. Ils ont d’ailleurs failli faire la même erreur en France en 1944 en voulant installer une monnaie d’occupation et une administration américaine. C’est le général de Gaulle qui a réussi à éviter cela, notamment en gardant en place une partie de l’administration française de Vichy. C’était la seule à être capable de faire tourner la machine étatique et il fallait éviter deux écueils : celui des communistes et celui des américains. Déjà, la France devait jouer entre les Russes et les Américains. Aujourd’hui, si l’Europe est inféodé aux Etats-Unis, elle sera vassalisée et n’existera plus.

Si la France a eu raison en 2003 de s’opposer à la guerre en Irak, ne faut-il pas intervenir aujourd’hui pour barrer la route au Califat et protéger les chrétiens d’Orient ?

La vraie question serait plutôt : « Qui en a les moyens ? ». Pas l’armée française qui est dans un état de déliquescence avancée. Avec ce que nous avons mis en place au Mali et en Centre-Afrique, nous n’avons plus de capacité de projection. A force de réduire depuis vingt ans le budget de la défense, il ne reste plus rien. Fait rarissime depuis des décennies, les quatre chefs d’Etat-major ont même mis leur démission dans la balance lorsqu’il était question de raboter encore un peu plus la loi de programmation militaire. Aujourd’hui, les Américains sont les seuls à être capables d’envoyer des troupes au sol. Mais Barack Obama ne le fera pas car l’opinion publique ne l’acceptera pas. Les Américains ne veulent plus faire la guerre avec des GI’s. Désormais, l’Amérique fait la guerre avec des drones à travers des frappes ciblées. Elle mène également une guerre idéologique et économique et utilise des abcès de fixation tel que l’Ukraine pour contrer ses adversaires, mais n’envoie plus de soldats sur le terrain. Le problème, c’est que les islamistes l’ont compris et progressent eux au sol. Entre un américain et un islamiste, l’irakien risque de choisir l’islamiste qui a l’avantage d’être sur place et de connaître la population.

Dans Le choc des Empires, vous décrivez notamment les circonstances qui ont mené à la seconde guerre mondiale. Existe-t-il un risque d’escalade similaire aujourd’hui ?

J’ai le sentiment que les dirigeants des grandes puissances mondiales ne maitrisent plus vraiment le système. A partir de ce moment-là, la machine peut déraper. Au Proche-Orient, le risque d’escalade est faible car le Califat ne dispose pas de fusées. Par ailleurs, la diplomatie américaine commence à comprendre que l’Iran peut être un pôle de stabilisation et devrait donc jouer la carte chiite face aux wahhabites saoudiens et aux islamistes du Califat.

Ni les Américains, ni les Russes n’ont intérêt à l’escalade, mais le risque est que ces groupes bruts de décoffrage leur échappent. Si les forces ukrainiennes se livrent à des nettoyages ethniques dans la région des pro-russes, Poutine ne pourra pas laisser faire.

En Ukraine, la situation est plus incertaine car l’affrontement entre la Russie et les Etats-Unis se fait par personnes interposées : les pro-russes d’un côté et de l’autre côté la garde nationale ukrainienne plutôt peuplée d’extrémistes de droites. Ni les Américains, ni les Russes n’ont intérêt à l’escalade, mais le risque est que ces groupes bruts de décoffrage leur échappent. Si les forces ukrainiennes se livrent à des nettoyages ethniques dans la région des pro-russes, Poutine ne pourra pas laisser faire. Il faut que les Américains soient suffisamment responsables pour faire pression sur les Ukrainiens. De la même façon, les pro-russes doivent accepter d’abandonner leur autonomie. C’est un jeu délicat qui peut déraper à tout moment. Pour éviter cela, il faut aussi que les Européens jouent leur propre jeu et non celui des Américains.

N’est-ce pas ce que tente de faire Angela Merkel ?

Angela Merkel tente de relancer un accord entre la Russie et l’Ukraine. Un accord que l’on avait presque trouvé, lorsqu’un missile a détruit en vol l’avion de la Malaysia Airlines. l’Amérique ne facilite pas un tel accord. Elle a trop intérêt à détacher l’Allemagne de ses liens avec la Russie, et à mettre définitivement l’Europe sous leadership américain. En ravivant la bonne vieille guerre froide. Mais elle ne peut pas non plus s’y opposer ouvertement. Si Angela Merkel et la diplomatie allemande réussissent malgré tout à apaiser les tensions en Ukraine, Berlin s’imposera, non plus seulement comme le leader économique de l’Europe, mais comme le leader politique.
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