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Ukraine, Syrie, Irak, Gaza : mais que fait l’ONU ?

vendredi 8 août 2014

Paris a obtenu la réunion d’urgence du Conseil de sécurité au sujet de la crise en Irak. L’organisation internationale semble pourtant impuissante à éteindre les conflits qui s’emballent aux quatre coins du monde. Stéphane Baumont nous explique pourquoi.

Stéphane Baumont est professeur de droit public et des institutions internationales à l’Université de Toulouse 1 Capitole.
FIGARO. - Ukraine, Syrie, Irak, Gaza : ces dernières semaines les conflits s’embrasent, divisant la communauté internationale. Pourtant l’ONU apparait à la fois impuissante et inaudible. Comment expliquez-vous ce relatif immobilisme ?


Stéphane BAUMONT . - De même qu’on a dénoncé l’immobilisme de la SDN avec ses conséquences, aujourd’hui on dénonce celui de l’ONU. La réponse est simple : l’ONU , combien de divisions ? En matière de paix, l’ONU c’est d’abord le Conseil de sécurité et sa règle de l’unanimité des votes qui bloque souvent le processus de décisions. Ainsi, les tentatives d’intervention en Libye ou en Syrie ont été bloquées par La Russie et la Chine. L’ONU, c’est aussi les casques bleus, bien insuffisant en nombre (120 000 environ) et dont le budget représente à peine 15 % de celui de notre propre défense ! De plus participer à son financement n’est pas imposé juridiquement aux états-membres...

L’immobilisme ressenti par l’opinion publique vient en partie du décalage entre son langage juridique policé, et le contexte systématiquement dramatique dans lequel l’organisation est médiatisée. Il y a le « souhaitable » : ce sont les résolutions. Et il y a le possible : c’est la réalité du terrain et la manière dont elle est médiatisée. L’organisation s’est fixée pour but dans l’article 1 de sa Charte le maintien de la paix, elle ne peut donc pas passer en force. Le temps juridique des décisions à 196 états, dont presque autant de dissonances, est bien plus lent que le temps des armes et de la guerre. Le temps politique, lui est immédiat.
Il ne faut pas oublier que, surtout en période de crise, tout à l’ONU tourne autour d’une question centrale : qui paie et quand ?
Dans ce contexte, quelles sont ses marges de manœuvre ? Que pourrait-elle faire de plus ?

S. B. -Les états, privilégiant leurs intérêts nationaux, ont souvent nui à la crédibilité de l’ONU. Ainsi, quand l’OTAN se sert ouvertement d’une résolution pour intervenir légalement (comme si l’ONU était simplement son bouclier juridique), l’impact et le respect des résolutions à venir s’en trouve forcément atteint, comme banalisées. L’ONU a aussi ses faiblesses, comme celle de ne pas toujours sanctionner le non-respect de ses résolutions. Concrètement, cette marge de manœuvre repose en grande partie entre les mains du Conseil de Sécurité. Ses décisions sont d’autant plus efficaces qu’elles sont prises en grande partie par les « 5 Grands » que sont les USA, la France, le Royaume-Uni, la Chine et la Russie, puissances militaires et mécènes-quand ils le veulent bien- de l’ONU. Bien évidement cela nuit à la légitimité et à l’impartialité des décisions et de sa diplomatie. Il ne faut pas oublier que, surtout en période de crise, tout à l’ONU tourne autour d’une question centrale : qui paie et quand ?

Sa marge de manœuvre dépend de l’évolution de la réalité du terrain, de la médiatisation des excès et des avancées diplomatiques. C’est à l’aune de ce triptyque que l’ONU peut faire valoir ses résolutions et ses haussements de ton. Le droit international en puissance se compare très bien à Gulliver. En théorie ses capacités et sa force sont « infinis ». Mais entravé par toutes les petites cordes des nations, il s’immobilise : c’est le droit international de l’ONU en actes, si souvent critiqué par les états eux-mêmes. Toujours cette dialectique entre le possible et le souhaitable.

Une des solutions serait d’institutionnaliser et de vulgariser La « résolution Acheson » (du nom du Secrétaire d’Etat aux Affaires étrangère américain des années 50) qui permet à l’assemblée générale de contourner le veto d’un membre du Conseil de Sécurité, et qui transfert la responsabilité du maintien de la paix du Conseil de Sécurité à l’Assemblée Générale.
L’expérience libyenne démontre en ce moment même les dangers et incertitudes à long terme d’une intervention extérieure. Le « printemps » arabe nous laisse songeur et inquiet quant à l’effectivité du droit international de l’ONU.
Dans une tribune publiée par le Figaro la semaine dernière, Dominique de Villepin prône des sanctions graduées de l’ONU contre Israël ainsi que la mise en place d’une administration et d’une force de paix internationales à Gaza, en Cisjordanie et à Jérusalem. Cela vous parait-il crédible ?

S. B. - Dominique de Villepin connaît sa géopolitique sur le bout des doigts. Néanmoins, je ne pense pas qu’un mandat de l’ONU soit la solution. Les revendications des peuples des deux côtés ne cesseront pas pour autant. A mon sens, la clé est dans la négociation directe et arbitrée entre Israël et le gouvernement palestinien, et n’aboutira que lorsque le Hamas se sera transformé en vrai parti de gouvernement en renonçant à la destruction d’Israël, qui aura de son côté abandonné la formule presque Cicéronienne, « si tu veux la paix, fais la guerre ».

SI le conflit israélo-palestinien concentre toute l’attention médiatique, d’autres conflits, en Syrie et en Irak notamment, sont tout aussi voire plus dramatiques. L’ONU agit-elle sur ces terrains-là ?
L’ONU doit s’imposer et devenir pas à pas le sommet d’une gouvernance centralisé de l’humanité.

S. B. - L’ONU est d’abord une institution universaliste régie par le droit. Dans l’article premier de sa Charte, elle se donne pour but la promotion et la sauvegarde de la paix. Son article 2 interdit à ses membres l’usage de la force ou de la menace, et lui impose le principe de non-ingérence. C’est la vision même de l’ONU, la raison de son existence qui est présentée ici. Elle se doit donc de montrer l’exemple et de s’y conformer aveuglement. Là est la condition de l’existence du droit international public. La Syrie et l’Irak ont sombré dans le chaos. Tout comme la Somalie d’ailleurs. Le droit interne ne s’y applique même plus ! Il est invraisemblable alors de penser que l’ONU puisse y intervenir tout en respectant ces différents principes et sa Charte. Ne dit-on pas du chaos que ce sont des zones de « non-droit » ? De plus les casques bleus ne représentent qu’une armée d’interposition qui n’utilisera la force qu’en ultime recours : d’où la difficulté

Il faut juger les avancées de l’ONU au regard de l’Histoire moderne et non de l’actualité brûlante.

d’intervenir dans un conflit en cours, sans prendre le risque de devenir un belligérant à part entière. Le problème de la Syrie est d’abord de savoir qui on aiderait, quelles factions et par quels moyens. L’expérience libyenne démontre en ce moment même les dangers et incertitudes à long terme d’une intervention extérieure… Le « printemps » arabe nous laisse songeur et inquiet quant à l’effectivité du droit international de l’ONU.

Compte tenu de ces limites actuelles, l’ONU doit-elle être réformée ? Comment renforcer son pouvoir ?

S. B. - Oui l’ONU doit être renforcée. Le rapport de Kofi Annan et de Robert Badinter publié en 2005 et qui proposait une réforme en profondeur de l’ONU est resté lettre morte, malgré quelques réformes à la marge. Il faudrait urgemment mettre en œuvre certaines propositions qui y sont présentées, comme la réforme du Conseil de Sécurité (agrandir le nombre permanents pour casser le monopole du véto des vainqueurs de 1945). En outre, il faut continuer à améliorer la représentativité de tous les continents en son sein, en donnant à tous les membres les mêmes droits : 10 membres non-permanents, dont le Rwanda et le Chili depuis cette année, sont encore suspendus aux lèvres des permanents et de leurs « précieux » veto. De manière plus générale, on a réussi dans un domaine, le droit pénal international mais pas dans les autres branches du droit qui ont elles aussi leur destin à accomplir. Médiatiser autant les réussites de l’ONU, comme l’OMS ou l’UNICEF, que le sont ses absences aurait aussi un impact certain sur son image … Quoi qu’il en soit, il faut juger les avancées de l’ONU au regard de l’Histoire moderne et non de l’actualité brûlante.

Dans un monde multipolaire, la difficulté est de trouver une voix forte unanimement entendue et écoutée. Pour l’instant l’ONU arbitre : à terme, elle doit trancher. Ses institutions doivent s’imposer et devenir pas à pas le sommet d’une gouvernance centralisée (même relative) de l’humanité. On accepte des juges internationaux, on accepte une Cour Pénale Internationale, pourquoi pas une présidence ? C’est l’utopie de Kant, mais renforcer la paix dans le monde passe par la coopération internationale au sein de l’ONU, et cela ne se fera qu’au détriment des orgueils nationaux. Mais le gain serait universel ! Bourdieu disait « l’opinion publique ? Je ne l’ai jamais rencontré ! ». Pour ma part je n’ai pas encore rencontré la communauté internationale.


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