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Général d’armée Pierre de Villiers : « Il y a une crise de l’autorité aujourd’hui »

lundi 12 novembre 2018 par Charles

Seize mois après sa démission de ses fonctions de chef d’état-major des armées, Pierre de Villiers publie une réflexion sur l’autorité, sobrement intitulée « Qu’est-ce qu’un chef ? ».

Il ne souhaitait pas que l’interview paraisse le dimanche 11 novembre, jour de « commémoration des soldats tombés sur le champ de bataille »… On ne quitte pas l’uniforme comme ça, même seize mois après avoir démissionné de ses fonctions de chef d’état-major des armées, suite à une passe d’armes avec le président Macron. Président d’une société de conseil en stratégie, l’ex-CEMA (Chef d’état-major des armées) de 62 ans dispense depuis ses conseils aux entreprises ou aux associations. « Mon agenda est toujours très chargé, souffle-t-il, mais heureusement, j’ai un peu plus le temps de lire. » Et d’écrire ! Son premier livre, « Servir » (qui vient de paraître en format poche chez Pluriel) s’est vendu à 140 000 exemplaires. Son nouvel ouvrage, qui paraît mercredi chez Fayard, ambitionne de répondre à cette vaste question : « Qu’est-ce qu’un chef ? ». Une réflexion qui renvoie aux désordres de notre époque, et à quelques pistes pour les résoudre.

Pourquoi avoir écrit ce livre ?
PIERRE DE VILLIERS. Parce qu’il y a un fossé grandissant entre ceux qui dirigent et ceux qui exécutent. Une des causes est une forme de déshumanisation qui s’accroît partout. Il faut remettre l’homme et la femme au centre. Quelle est la responsabilité fondamentale du chef ? C’est le bonheur de l’homme, pas simplement la performance ou la dimension financière. Il faut revenir à l’origine latine du mot : autoritas, élever vers. Non pas en faisant pression sur ses équipes, mais en faisant jaillir d’elles l’initiative, l’imagination, les solutions.
Est-ce une crise du chef que vous diagnostiquez ?
Il y a une crise de l’autorité aujourd’hui. Pas simplement en France, mais dans nos démocraties occidentales. Elle est liée à des facteurs qui pèsent de plus en plus sur les dirigeants : l’élargissement de l’espace avec la mondialisation, le temps qui presse et qui stresse ; l’insécurité qui règne, l’individualisme favorisé par les technologies… Tous ces facteurs complexifient l’exercice de l’autorité.
Les politiques savent-ils être des chefs ?
Ce qui manque en politique comme ailleurs, c’est la vision stratégique. Nous sommes dans le temps court, dans la tactique, dans les moyens… Il faut retrouver la vision qui donne du sens.
Votre frère Philippe vous a récemment prêté des propos que vous auriez tenus au président Macron : « Si ça pète dans les banlieues, on n’a pas les moyens de faire face »… Est-ce exact ?
Comme vous le dites fort justement, ce sont des propos qu’il me prête… ce qui ne signifie en aucun cas qu’ils m’appartiennent, nonobstant toute l’affection que j’ai pour mon frère. Ce que je peux dire, c’est que la situation dans certains quartiers est très préoccupante. Les difficultés n’y sont pas seulement économiques ou sociales, mais culturelles. L’échec en matière d’intégration est patent. Pourtant, je suis frappé de voir combien nous avons une belle jeunesse. Mais elle attend du sens, de l’humanité, le signal de valeurs partagées… et qu’on l’encourage.
Le service national universel (SNU) pourrait-il remplir un rôle utile ?
Je n’ai pas la version définitive du projet. Mais je comprends que l’effet voulu est de reconstituer le creuset national. J’y souscris, puisqu’il y a à peu près 100 000 jeunes - sur les 800 000 d’une classe d’âge - qui sont en dehors du système, qu’on veut réinsérer. Il y a trois difficultés à surmonter sur le SNU : budgétaire d’abord - ça ne peut pas être le budget des Armées. L’infrastructure ensuite, pour loger tout le monde. L’encadrement enfin. Ces jeunes, en particulier ceux qui sont en marge, exigeront un encadrement étoffé. Mais là encore, je ne vois pas comment les armées, qui sont déjà à 25 % au-dessus de leur capacité opérationnelle, pourraient y parvenir.

L’autorité était un ressort de l’élection de Macron. A-t-elle été restaurée ?
Tous les événements quotidiens montrent une crise de l’autorité, c’est patent. Mais le président est là depuis 18 mois, c’est le chef des Français, de la nation, il a été le mien et j’ai toujours été un homme loyal. Laissons-lui le temps nécessaire.
Se poser en président autoritaire, ça ne se décrète pas ?
L’autorité, ce n’est ni la mollesse tiède ni la dureté froide. C’est le chef qui est au service du bien commun, de l’intérêt général, qui fait éclore chez les gens tous les talents.
Il ne délègue pas assez ?
Je n’ai ni jugement ni conseils à lui donner.
Que faut-il pour faire un bon chef ?
La confiance, c’est la valeur clé, l’aboutissement de l’exercice de l’autorité : quand on est chef, l’adhésion doit l’emporter sur la contrainte, et sur toute pression qu’on ferait peser sur ses subordonnés. C’est ce que j’appelle l’obéissance d’amitié : on est suivi parce qu’on est aimé. Le chef doit apporter du calme et de la sérénité. Plus ça chauffe, plus les merdes volent en escadrilles, plus il doit absorber les inquiétudes et diffuser de la confiance. Après, il y a d’autres qualités que je décris dans le livre : la compétence bien sûr, l’expérience, l’ouverture aux autres, la délégation et l’exemplarité.
Vous êtes fan de football. Didier Deschamps est-il un vrai chef à vos yeux ?
Absolument ! Il a été parfois critiqué car il n’a pas forcément pris les meilleurs joueurs techniquement, mais ceux dont il était certain qu’ils s’inséreraient dans le collectif. Il a su tirer les enseignements du désastre de Knysna en 2010. Il a construit un groupe, l’a fédéré, puis il en a fait une équipe qui a gagné.
Le patriotisme a-t-il compté dans la victoire à Moscou ?
J’en suis sûr ! J’ai été frappé par deux choses en entendant les interviews des joueurs. 1. Le groupe d’abord. 2. Quand on porte le maillot de l’équipe de France, on doit être fier et on donne absolument tout. Les voir chanter la Marseillaise avant les matchs, c’était fabuleux. C’est la même démarche qui m’a animé quand j’étais chef militaire. On n’emmène pas les gens au combat - que ce soit sur un terrain de foot ou au nord Mali, même si la comparaison est audacieuse - juste avec l’intelligence et le schéma tactique. La motivation, c’est la clé. Quelle que soit l’organisation.
Un chef doit-il nécessairement gagner beaucoup plus ?
Il est légitime d’être mieux rémunéré si on endosse plus de responsabilités. Mais je trouve certains écarts de salaires choquants dans les grandes entreprises : parfois, cela va de 1 à 300 ! Dans l’armée, c’est 1 à 8. En matière de justice sociale et d’équité, elle a de quoi inspirer d’autres organisations.
Jusqu’à être un modèle de société ?
Disons plutôt un laboratoire et une référence. Certains problèmes sociétaux sont moindres dans l’armée. Il est vrai que le regard qu’on porte sur elle a beaucoup changé. Quand j’y suis rentré en 1975, c’était un vrai répulsif : j’étais insulté sur les terrains de foot parce que mes cheveux courts indiquaient que j’étais militaire. Elle est désormais populaire, respectée, applaudie… bref, à la mode !
Emmanuel Macron vient de plaider pour une « armée européenne ». Et vous ?
Tout dépend de ce que revêt ce terme. Si elle prend la forme de projets de coopération entre différents pays autour de projets concrets, c’est même nécessaire ! Si c’est une armée fusionnée pour en faire une force armée pilotée de Bruxelles, non, impossible. On meurt pour son chef, sa patrie, ses valeurs nationales. Pas pour une communauté économique. Je suis pour une France souveraine dans une Europe forte, car nous n’avons plus le choix vu l’état du monde.
Un monde « en fusion », écrivez-vous…
Ce monde est dangereux et surtout, beaucoup plus instable. A quoi assiste-t-on ? Au retour des Etats-puissance qui augmentent de 5 à 10 % par an leurs moyens militaires et pratiquent la diplomatie du fait accompli. Au terrorisme islamiste avec lequel le monde et la France n’en ont pas fini. Aux migrations incontrôlées et au dérèglement climatique… Nous sommes dans une période de point de bascule, avec suffisamment d’éléments instables pour qu’un événement embrase tout. L’Histoire s’écrit sous nos yeux.
Le Président a évoqué un climat d’entre-deux-guerres.
A certains égards, c’est une comparaison judicieuse. Oui, il y a urgence. Il faut construire et gagner la paix - par la force, qui permet d’éradiquer la violence - avant qu’il ne soit trop tard. Et pour cela, on a besoin de chefs.
Avez-vous envie de vous lancer en politique ?
Je comprends que la question se pose avec ce livre, mais je suis un soldat. Je ne ferai pas de politique. Ce n’est pas mon métier, ni ma volonté.
« Qu’est-ce qu’un chef ? », Pierre de Villiers, éd. Fayard, 256 pages, 20,90 euros.


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