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Jean Sommer : « Les Français préfèrent se taire plutôt que de mal parler »

lundi 31 août 2020 par Charles

INTERVIEW - L’auteur et conférencier publie La Voix, cet outil du pouvoir. Il donne des conseils pour mieux s’exprimer à l’heure des réseaux sociaux où tout un chacun veut être vu et entendu.
Par Alice Develey
Publié le 5 août 2020 à 01:00, mis à jour le 5 août 2020 à 06:02

Jean Sommer : « Les Français préfèrent se taire plutôt que de mal parler »
INTERVIEW - L’auteur et conférencier publie La Voix, cet outil du pouvoir. Il donne des conseils pour mieux s’exprimer à l’heure des réseaux sociaux où tout un chacun veut être vu et entendu.
Par Alice Develey
Publié le 5 août 2020 à 01:00, mis à jour le 5 août 2020 à 06:02

Pour Jean Sommer, « notre voix est la somme de tout ce que nous sommes : de notre passé, de nos influences, de notre culture, de nos peurs ». Olivier Rollert
Bien parler n’est pas inné. Comme l’on apprend à écrire, on devrait apprendre à s’exprimer. Or, combien d’entre nous ont un jour refusé de prendre la parole de peur de bafouiller, de bégayer ou tout simplement de pas avoir le bon ton ?
Souvent, « les beaux parleurs qui n’ont pas grand-chose à dire, parlent et le disent bien tandis que ceux qui pourraient exprimer des idées intéressantes, se taisent », explique Jean Sommer. Dans son livre La Voix, cet outil du pouvoir (Lattès), l’auteur nous montre que notre voix parle pour nous. Que dit-elle de nous ? Peut-on l’améliorer et de quelle façon ?

LE FIGARO. - Qu’est-ce qu’une bonne voix ?
Jean SOMMER. - C’est une voix posée qui donne un sentiment de plein et de cohérence quand on écoute la personne. Une voix qui donne envie de la suivre. Néanmoins il n’y a pas de voix idéale. De même que l’on peut préférer un visage à un autre, une musique à une autre, on peut aimer une voix plus qu’une autre. C’est une question de sensibilité. À quoi s’ajoutent des éléments de contexte et de culture. Selon que l’on a grandi en France, aux États Unis, en Afrique ou en Asie, la notion de bonne voix peut varier. Les critères locaux sont à prendre en compte. L’époque aussi influence les goûts. Il y a un siècle les femmes préféraient les hommes à voix, parce que synonyme de puissance virile dans l’imaginaire. Tandis qu’aujourd’hui on est dans la proximité, pour plus de présence ou de nuances.
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Notre voix peut-elle dire qui l’on est et d’où l’on vient ?
Oui. La voix dit tout. C’est comme une tranche de croûte terrestre qui permet de lire en épaisseur l’histoire d’un terrain. De même il y a une épaisseur de la voix. On peut y entendre sous la mélodie de la parole, une origine, un accent peut-être, ou des hésitations, une tension ou un manque de soutien. Une retenue qui dit une peur ou une pudeur. Jusqu’à percevoir le caractère de la personne, quelqu’un de décidé ou qui doute. C’est ce qui fonde la première impression très souvent.
La voix peut injustement créer des discriminations, par l’accent, par le ton, par le placement
C’est donc à la fois une carte mentale et une carte d’identité de la personne.

C’est cela. La voix est notre corps invisible. De même que l’on peut définir une personne à première vue, on peut aussi l’analyser en l’écoutant parler. La voix peut injustement créer des discriminations, par l’accent, par le ton, par le placement. Par exemple, certaines voix mal placées, nasillardes ou forcées, produisent de l’agressivité ou au contraire sont attirantes parce qu’elles rassurent. Notre voix nous traduit et nous trahit.
Dans votre livre, vous donnez des outils et des conseils pour mieux s’exprimer à l’oral. Est-il possible de changer sa voix ?
Notre voix est la somme de tout ce que nous sommes : de notre passé, de nos influences, de notre culture, de nos peurs… À l’intérieur de cette voix, il y a des choses qui ne peuvent pas bouger. C’est le cas du timbre, qui est un peu comme le visage. Mais une personne qui change de coiffure peut être transfigurée. C’est la même chose pour la voix. On peut la faire évoluer, lui faire retrouver des informations qu’elle a perdues. Beaucoup de personnes ont une voix qui n’est pas complète ou déformée par l’éducation. Si on ne fabrique jamais une autre voix, on peut toujours la corriger ou l’améliorer.
Depuis la création des réseaux sociaux, les gens veulent être vus et entendus. Chacun est devenu le média de lui-même
À quoi est dû, selon vous, la peur de prendre la parole ?
Chez nous, en France, l’apprentissage de la langue se fait à l’écrit, en silence et sous le signe de la faute. La pratique de l’oral n’est pas perçue comme noble, alors que c’est le contraire chez nos voisins Anglo-Saxons. D’autre part, le français est une langue de la forme, qui s’auto juge en permanence. Un Français préférera se taire plutôt que de mal parler, parce qu’il est dans une quête de la perfection. A contrario, un Américain osera s’exprimer, même grossièrement, pourvu que le message passe. Enfin, prendre la parole est une autre manière d’attirer le regard sur soi. Quand c’est le cas, on incarne une légitimité, il s’agit donc d’être à la hauteur.

Il y a vingt ans, la question de la prise de parole ne se posait pas puisque les gens n’avaient pas à le faire. Mais la société a changé. Aujourd’hui, tout un chacun doit prendre la parole au risque de se fondre dans le papier-peint. Depuis la création des réseaux sociaux et de plus en plus, les gens veulent être vus et entendus. Les réseaux accélèrent le mouvement de la prise de parole en public. Chacun est devenu le média de lui-même. Il y a une compétition sous-jacente qui oblige à la représentation et parfois ceux qui en auraient la légitimité n’osent pas s’exprimer. C’est dommage.
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Est-ce à dire que si l’on parle de plus en plus on parle de moins en moins bien ?
Il y a selon moi deux postures. La première tend à appauvrir la langue tandis que l’autre la met en valeur. La première posture, c’est la voix « familière ». Elle n’a pas besoin de mettre les formes, avec des « euh… euh… » C’est celle de l’usage courant qui tend à s’appauvrir. La deuxième est la posture professionnelle « soutenue ». Une parole qui tend à faire de chacun dans ce monde un défenseur de sa cause ou un vendeur ou un communicant. Il y a aussi un mouvement vers l’éloquence qui intéresse de plus en plus de personnes qui prennent goût à cette mise en représentation de la parole. L’important est d’en prendre conscience pour faire la part entre l’une et l’autre dans sa vie.
Comment se faire entendre ?
La voix est une action physique. Quand je parle, j’émets des vibrations. Pour que la voix soit perçue dans sa plénitude, la posture joue un rôle important. Pareillement pour l’articulation. Quand j’étais enfant, les gens se parlaient forts et de loin, du 6e étage à la rue. On était obligés de faire sonner la voix. Aujourd’hui, dans la mesure où l’on n’a plus besoin de structurer la parole, le système s’endort. Ce n’est donc pas que l’on parle moins bien, mais l’on est plus paresseux. L’accélération des réseaux sociaux et de la communication passive endort notre expression orale. Les échanges deviennent basiques et nécessaires.
Vous parlez de la voix comme d’un « outil du pouvoir ». Quels politiques s’expriment le mieux selon vous ?
Barack Obama était, selon moi un exemple. Alliant l’élégance de l’homme, la simplicité du cœur et l’intensité de l’orateur. En France, pour l’aspect tribun galvaniseur des foules je citerais Jean-Luc Mélenchon. Pour les qualités de la voix pure, je nommerais Nicolas Sarkozy, qui possède selon moi un timbre et un registre vocal très riches. Il associe des médiums, des graves et des aigus. Il est aussi bon dans la proximité qu’en meeting.
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