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Coronavirus : « La science doit servir le pouvoir sans que celui-ci ne succombe à la tentation de s’en servir »

jeudi 23 avril 2020 par Charles

Publié le 30 mars 2020 à 06h00
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Le professeur de droit public Alexandre Viala analyse, dans une tribune au « Monde », les liens entre scientifiques et politiques : si le savant « édicte des normes pour l’ensemble de la société, en démocratie, cependant, le politique ne doit pas céder sa souveraineté ».

Tribune. Si la « guerre » sanitaire contre la pandémie de coronavirus met en première ligne le personnel soignant auquel il faut rendre hommage, elle confère également beaucoup de visibilité aux scientifiques, qui occupent soudainement le rôle de conseillers du prince. Depuis le 10 mars, un conseil scientifique installé par le ministre de la santé et présidé par l’immunologue Jean-François Delfraissy éclaire le président de la République pour l’aider à prendre les décisions qui s’imposent au pays afin de lutter contre la propagation du virus.
Le 24 mars, le pouvoir exécutif a décidé de renforcer le dispositif en l’assortissant d’un Comité analyse recherche et expertise (CARE) dirigé par la virologiste Françoise Barré-Sinoussi. Une batterie d’experts issus du monde médical intervient désormais au sein des plus hautes sphères de l’Etat. Est-ce à dire que la science a pris le pouvoir au risque d’infléchir nos institutions démocratiques et de les faire évoluer, à la faveur de cette crise, vers une forme de despotisme éclairé que les Anglo-Saxons appellent l’épistocratie (étymologiquement : « pouvoir des savants ») ?
« Aucune Constitution, dans le monde, ne confère explicitement le pouvoir à des savants »
Depuis quelques jours, la publication des avis du conseil scientifique, qui précèdent les décisions du président de la République sur le déclenchement, la durée et les modalités d’un confinement national lourd de conséquences sur notre vie quotidienne, révèle un processus institutionnel érigeant la science au rang de source normative. Il est vrai que la science n’est pas exclusivement spéculative et peut avoir une portée pragmatique, à l’instar de la médecine dont la fonction est de comprendre le corps humain dans le but de le soigner. Mais le rôle qui lui est assigné à l’heure actuelle contredit ce à quoi elle est habituellement destinée : décrire le monde et non prescrire des normes.
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Ce cas de figure dans lequel un pouvoir (cratos) serait exercé par les détenteurs du savoir scientifique (épistémè), n’est pas mentionné dans la typologie classique des régimes politiques qui distingue, depuis Montesquieu, la république (démocratique ou aristocratique), la monarchie et le despotisme. Et aucune Constitution, dans le monde, ne confère explicitement le pouvoir à des savants.
Un attelage baroque
Ce dont nous sommes témoins aujourd’hui est imputable aux circonstances exceptionnelles qui autorisent, compte tenu de la spécificité sanitaire de la crise, de confier à des experts non élus une large responsabilité dans le gouvernement des conduites humaines. Certes, il existe depuis longtemps, en amont des décisions politiques, de nombreux comités d’experts qui gravitent autour du pouvoir en temps normal, et ce dans de multiples domaines, qu’ils soient juridique, économique ou climatologique. Mais la présente crise projette une lumière crue sur cette association entre le savoir et le pouvoir qui attribue à la raison du savant, normalement mobilisée pour connaître ce qui est, l’aptitude à nous dire objectivement ce qui doit être.
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