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CAMPAGNE ANTI-SUPERSTITIEUSE/JACQUES ROUMAIN Jacques Roumain : Vaudou et Christianisme

lundi 9 septembre 2019 par Charles

La « Campagne antisuperstitieuse » de Jacques Roumain constitue l’une des très excellentes pièces du puzzle de l’auteur, une œuvre de 26 pages. Cet ouvrage est paru dans une édition bilingue : français et espagnol. Publié par l’ancienne Imprimerie de l’État, ce travail est réalisé sur du papier ordinaire, matériel qui n’a pas pu résister à l’usure du temps. Ni la date ni l’édition y figurent.

Cet ouvrage se veut un prélude de « Gouverneurs de la rosée ». À travers ses pages jaunies par le temps, l’auteur s’est mis à l’assaut des défis des critiques prétentieuses des étrangers sur le peuple haïtien. Des critiques prétextant que le vaudou serait une affaire de superstition. Et, pour défaire leurs thèses puériles, Jacques Roumain rassemble dans son texte des éléments clés tels que l’universalité des superstitions, le chaos de l’idéologie judéo-chrétienne et la religion chrétienne qui, pour l’auteur, constituerait un outil de peur. Toutefois, ils soulèvent des problématiques à propos du changement de la mentalité religieuse archaïque.
L’UNIVERSALITÉ DES SUPERSTITIONS
L’esprit superstitieux tel que critiqué par Roumain dans la vie paysanne se révèle d’un caractère universel d’ordre philosophique et psychologique. Nul ne peut s’empêcher de s’interroger via l’étonnement qu’il éprouve dans ce placard d’univers infini et d’essayer de donner un sens à sa vie face aux conditions existentielles et aux phénomènes qui hantent l’esprit du genre humain. Cela est à l’origine de la manifestation de l’esprit traditionnel au niveau des mythes et superstitions chez tous les peuples.
Dans ce contexte, il n’existe nulle part un peuple pouvant prétendre ne pas avoir fait l’expérience de la mentalité superstitieuse. Roger Garaudy, un sociologue marxiste français, montre dans son ouvrage intitulé « Comment l’homme devient humain » que les mythes, les superstitions ont toujours été d’une grande importance dans toutes les grandes civilisations du passé : l’Inde, la Chine, l’Egypte, la Phénicie, la Mésopotamie… Les jugements prétentieux que nous avons de nos jours sur les superstitions s’accordent également avec la pensée mécanique de la civilisation industrielle. Avec la véhémence de l’esprit technocrate, l’homme civilisé tient à dominer l’univers et à le réduire à des chiffres. Par contre, selon l’expression de Bergson, il est devenu « l’outil de l’outil » dans une civilisation avec sa double expression : machinisme et industrie. En d’autres termes, en tant que sujet, il est devenu l’esclave de son esclave ; ce qui coïncide même avec la mort du sujet. L’homme occidental croit que son rationalisme scientifique est le seul moyen par excellence d’appréhender la réalité. De ce fait, il a du mal à comprendre le fonctionnement de l’esprit traditionnel et cerner les subtilités des superstitions. L’essentiel est que l’esprit superstitieux constitue un phénomène « civilisationnel ». Cela ne peut être un fardeau pour le peuple haïtien. « Celui-ci n’est pas plus - ni moins – superstitieux qu’un autre peuple », a souligné J. Roumain.
Outre le sens que confèrent les superstitions à la vie paysanne, tout ce qui importe le plus ici dans l’œuvre de Roumain au sujet de la mentalité superstitieuse est son caractère universel au niveau des archétypes que partagent toutes les réalités paysannes du monde entier. À ce sujet, dans le contexte jungien du terme, l’archétype de l’esprit du blé enfoui dans l’inconscient collectif des paysans est représenté différemment par un sacrifice d’animal chez chacun des peuples. Sur ce plan, iI n’est pas question que l’Haïtien soit considéré comme barbare pour rejeter son vaudou au profit de la christianisation qui serait égale à la civilisation.
LE CHAOS DE L’IDÉOLOGIE JUDÉO-CHRÉTIENNE
En lisant la « Campagne antisuperstitieuse » de Jacques Roumain, les réflexions de l’auteur sur le comportement farouche de l’Église envers le culte vaudou suscitent largement une chose précise : la curiosité à ouvrir une fenêtre sur le caractère arrogant et belligérant de la pensée judéo-chrétienne. Celle-ci entraîne le monde dans des conditions chimériques. De nos jours, l’Occident chrétien souffre d’une grave maladie qui contamine la planète : la supériorité congénitale que proclame la race blanche. L’homme occidental se croît être meilleur ; il se découvre maître et possesseur de l’univers ; il se vante d’être rationaliste, positiviste et scientifique. Bref, il prétend être le seul civilisé. Ce disant, sans jamais prendre conscience de son comportement pire que barbare, il critique les Noirs et les Peaux-Rouges tout en se livrant à une course effrénée vers l’autodestruction. Course à l’armement, destruction de l’environnement, de la biosphère, pollution des écosystèmes, réchauffement climatique et pullulement des prophètes de malheur, telles sont les prémisses qui caractérisent l’idéologie judéo-chrétienne du nouveau millénaire. À dire vrai, cette prétention perverse est liée aux constructions ethno-anthropologiques du paradigme de la dichotomie barbare/civilisé. Elle gagne le terrain dans l’esprit des masses et, par-dessus tout, le plonge dans une sorte de léthargie collective. Par ailleurs, cette vision anthropologique étant originaire de l’imaginaire gréco-romain a entraîné drôlement derrière elle toute une littérature délirante de vieux récits des voyageurs analysés de seconde main par les lumières et autres qui ne font que renforcer le cliché de l’eurocentrisme.
À ce sujet, on ne manque pas de souligner Hegel qui, dans son ouvrage « Leçon sur la philosophie dans l’Histoire », voit le nègre d’un œil raciste en affirmant qu’il est sans foi ni loi. Selon lui, l’Afrique n’a pas d’histoire, c’est son anhistoricité qui prouve son infériorité. Donc, l’esclavage des Noirs est naturel. « Comme il a été dit, écrit-il, le nègre représente l’homme naturel dans toute sa sauvagerie et sa pétulance : il faut faire abstraction de tout respect et de toute moralité, de ce que l’on nomme sentiment si on veut bien le comprendre. Car on ne peut rien trouver dans ce caractère qui rappelle l’homme. Les comptes rendus prolixes des missionnaires confirment cela pleinement. » Ensuite, pour Hegel, il n’a rien perdu dans le passé, car l’idée est bien présente et l’esprit immortel. Dans sa philosophie de l’histoire, il distingue trois moments de l’évolution de l’esprit du monde : la période des despotismes asiatiques, la civilisation gréco-romaine et enfin la civilisation germano-chrétienne. Au terme de cette évolution, l’esprit se confond avec le « savoir absolu » à la fin de l’histoire. Autrement dit, l’histoire commence à l’Est et finit à l’Ouest.

Norguès Lucner
Auteur


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