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Les mains sales

jeudi 11 juillet 2019 par Charles

Ferré nous l’avait dit : « Ce n’est pas le baise-main qui fait la tendresse, ni les gants blancs qui font les mains propres. » Mais ce monde-là ne connaît pas Ferré. Ni la justice. Ni la dignité.

C’est un monde de petites grandes affaires. De qui a hérité des affaires de papa qui avait hérité des affaires de grand-père. C’est un monde de petites grandes magouilles qui arrive en poste par allégeances, trahisons et courbettes. C’est un monde de brasseurs, de gens qui n’ont jamais su se faire un prénom, qui n’existent que par les avantages et les privilèges pour les uns, les exactions et la rapine pour les autres.
On les imagine, poudrés, blanchis, parfumés, prêts au baise-main et au lavage des pieds. On les imagine, français maison et broken english pour les uns, circonlocutions et langues sept fois retournées pour les autres. On les entend : bien sûr, madame l’ambassadeur, à votre convenance madame l’ambassadeur.
Il y a ceux dont le seul mérite social est d’être nés riches. Et les autres dont la seule ambition sociale est de le devenir. Ils ont en commun l’aliénation qui fait penser que l’obéissance au « Blanc » est le salut. Les plus intelligents savent qu’ils sont des salauds et fuient les miroirs, sauf pour y contempler leur richesse. Ceux-là en ont fini depuis longtemps avec la honte.
Les autres sont si bêtes qu’ils se trouvent beaux et se coient appréciés de ceux dont ils ne seront jamais que les vassaux. Ils ne savent même pas qu’ils ne seront jamais que les jojos de service et que depuis l’époque féodale ni rien ni personne ne sont plus méprisés qu’un vilain dont on n’a plus besoin. Ceux-là n’ont pas le minimum d’humanisme qui fait naître la honte.
Seigneurs et vilains, politiciens et affairistes, ils ont en commun qu’ils ne veulent pas qu’on vienne les contrarier dans leurs façons de faire des affaires et leur reprocher d’avoir conduit le pays à la catastrophele dans la défense aveugle de leurs seuls intérêts. Le peuple crève, qu’il crève. Il revendique ? Qu’on le fasse taire ! Parodie de démocratie oblige, surtout si l’ordre vient du « Blanc », au mieux, on lui offrira un faux-semblant de dialogue, de prise en compte de ses problèmes et revendications. Quels emmerdeurs que les peuples qui attendent toujours qu’on leur fasse trop de concessions !
Dans les bidonvilles et le monde rural, il y a des mains sales. Celles du paysan salies par le dur travail de la terre dans l’espérance d’une récolte dont on lui volera les profits. Celle de l’enfant devenu assassin parce qu’on lui a donné des armes à la place du pain, de l’instruction et d’un logement décent.
Mais les mains les plus sales sont sans doute celles des quelques-uns qui ont applaudi aux propos hasardeux, pour ne pas dire déplacés, d’une diplomate dont la fonction est de servir son pays, pas le nôtre. Les mains p… des pope zaza de la resquille, du lèche-tout, du je-n’ai-aucune-solidarité envers ces gens qui souffrent et manifestent au nom de cette souffrance. Ces gens ? Peut-on les considérer comme des humains ! Il n’y a ici d’humain que moi et mon droit de tout prendre pour moi et pour moi seul.
Oui, on les imagine, dans leurs tenues empruntées et leurs manières simiesques, dans le ridicule de bourgeois gentilhommes à la créole. On imagine le sale petit bruit de leurs mains. Il y a longtemps qu’ils applaudissent à l’envi, n’ayant jamais appris à penser au-delà des calculs qui font leur fortune.
Aujourd’hui, leur problème, et notre joie, c’est qu’on ne peut les imaginer que dans leur solitude. Le pays a changé, change. Et ce qu’ils veulent préserver est appelé à mourir. Ils n’ont qu’à sortir dans la rue pour voir que leur appel au statu quo, à la continuité n’est pas suivi par la majorité.

Antoine Lyonel Trouillot
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