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Attendre et espérer ?

mardi 23 avril 2019 par Charles

Quand j’étais chrétien (j’ai un jour compris que les dieux ne sont pas nécessaires à l’humanisme), je préférais les Pâques à la Noël. La naissance n’est pas synonyme d’avènement, et il y avait quelque chose de vulgaire et de puéril dans l’image de ce gros bonhomme blanc habillé aux couleurs de Coca-Cola, et faisant une répartition inégale de ses dons. La Noël assurait l’entrée des marchands dans le temple, et le Père Noël n’a jamais rien compris au principe socialiste : à chacun selon ses besoins.
Les Pâques gardaient une symbolique moins corrompue. Il suffisait de regarder le monde, dans sa violence, ses injustices et ses horreurs, pour se dire que quelque chose avait été mal fait et demandait qu’on y mette fin. Il y avait dans cette résurrection ( en surmontant la fable d’une pierre levée par enchantement, de la disparition des stigmates de la crucifixion et d’une montée spectaculaire vers un bel ailleurs, pour ne retenir que la dimension symbolique) et cette promesse d’un retour lui-même annonciateur de changement et de reddition de comptes, quelque chose qui invitait à la responsabilité. Un jour, comme le chantait Ferré, « le crucifié viendrait gueuler dans nos ruines : y en a marre » et demander à chacun : quel usage as-tu fait de ta présence au monde ? »
Mais comment savoir quel est le bon usage ? On peut réciter des versets, ou s’intéresser à l’idée contenue dans l’Évangile de Jean que ton rapport avec Dieu est dans ton rapport avec tes frères humains. Il y avait là quelque chose de beau qui pouvait guider un enfant vers l’humanisme et l’empathie.
Aujourd’hui, en flânant dans ma ville, j’entends des haut-parleurs qui aboient que Jésus reviendra faire un sort aux lesbiennes, aux vodouisants, aux athées et à tous ceux qui ne prennent pas l’Ancien Testament à la lettre. A la lettre ! Il n’y a plus qu’à « manger la chair de ses fils et ses filles », comme c’est écrit dans certains livres. Et puis, pour le mal que les lesbiennes, les vodouisants, les athées ont déjà à habiter dans cette vie leurs choix sexuels, leur foi, leurs convictions, on peut se demander si Jésus, que des poètes appellent le Juste, n’appliquerait pas contre eux l’injustice d’une double peine. Et surtout, si de tout ce que les hommes ont pu faire aux hommes (l’exploitation, l’exclusion, le racisme, toutes les formes de domination de telle société sur telle autre ; toutes les formes de domination de tel groupe sur tel autre à l’intérieur des sociétés ; les violences symboliques et la violence au service de l’exploitation, de la domination et de l’exclusion) Jésus serait assez aveugle pour faire la paix avec tout ça et sanctionner des amoureuses qui ne font de mal à personne, des personnes qui croient que les dieux vivent dans les arbres et les cours d’eau, et des libres penseurs qui disent qu’il est grand temps de se méfier de ceux qui tuent au nom des dieux.
Le mal que les hommes font aux hommes, c’est de cela qu’il faudrait se sentir responsable. Cela fait si longtemps que ça dure. Et comme on ne sait pas quand l’Autre choisira de revenir, il y a sans doute urgence à défaire ce mal. Cela nous ramène du divin à l’humain, du ciel à la terre, du principe à la conjoncture, du jugement de Dieu au jugement des hommes. En attendant le grand retour, mieux vaut peut-être s’organiser pour nous sortir de notre calvaire.

Antoine Lyonel Trouillot
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