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Jovenel Moïse tente d’éteindre l’incendie de l’incertitude qui ravage le parc industriel de Caracol

lundi 8 avril 2019 par Charles

Le feu de la mauvaise gestion du parc industriel de Caracol couvait. Les députés de la majorité présidentielle ont, avec les modifications de la loi salaire minimum, attisé les inquiétudes, poussé des employeurs du textile à brandir le spectre de licenciements massifs. Le président Jovenel Moïse a enfilé son costume de pompier pour Caracol, projet phare du grand Nord, un pôle de développement qui gagnerait si les chefs se mettaient vraiment à gouverner, s’ils pouvaient tourner la page des opérations coup de poing…

Le président Jovenel Moïse, entre deux rendez-vous politiques, a discuté d’économie. « J’ai rencontré, ce vendredi, les membres du conseil d’administration de la compagnie textile sud-coréenne S et H global SA. Les discussions portaient sur la gestion du parc industriel, du salaire minimum, du coût de l’électricité et des 12 000 emplois promis par S and H Global », a annoncé un tweet du président Jovenel Moïse, vendredi 5 avril 2019.
Jovenel Moïse ne devrait pas être à son aise en abordant ces sujets. Sous la présidence de Moïse, la mauvaise gestion du parc industriel de Caracol s’est aggravée. C’est la majorité acquise au chef de l’État à la Chambre des députés qui a voté, sans consultation avec le patronat, les modifications de la loi sur le salaire minimum qui table sur une augmentation de 78 % dans le secteur textile et qui a provoqué de grandes appréhensions et fait poindre le spectre de délocalisation de nouvelles capacités de production si le Sénat vote dans les mêmes termes et que l’exécutif promulgue ces modifications. Le coût de l’électricité au parc industriel de Caracol est de 30 centimes le kilowatt/heure, deux fois plus cher que dans d’autres pays de la région.
Vingt-quatre heures avant cette réunion du président Moïse avec les responsables de cette compagnie coréenne qui a créé plus de 13 000 emplois à Caracol, le Premier ministre a.i, Jean Michel Lapin, avait donné la garantie que l’État mettrait son devoir au propre pour résoudre les problèmes afin d’obtenir les 41 millions de la BID, un don pour financer la cinquième phase d’expansion du parc. Sur le salaire minimum, le chef du gouvernement a.i a assuré que l’exécutif agit dans le sens de la préservation de la stabilité politique et économique du pays.
Parc industriel de Caracol
Si le président Moïse enfile aujourd’hui son costume de sapeur alors que le feu de la mauvaise gestion du parc industriel de Caracol couvait, la mauvaise gouvernance du parc ont envoyé de mauvais signaux au potentiel investisseur. « La mauvaise gouvernance affichée dans la gestion du parc Caracol a des impacts négatifs sur la capacité de la zone à attirer plus d’emplois, à générer des devises pour l’économie et faciliter une certaine amélioration des conditions de vie dans le couloir Nord et Nord-Est », a estimé l’économiste Kesner Pharel.
« Une bonne coordination entre les acteurs publics et privés est plus que nécessaire pour assurer la productivité dans les usines, un facteur compétitif pour maintenir la présence des investisseurs et en attirer d’autres. La Sonapi pourrait utiliser les services d’une organisation privée pour la gestion du parc pour rechercher l’efficacité et l’efficience et réduire ainsi les interventions de politiciens entravant la gestion de l’espace », a conseillé Kesner Pharel.
« J’ai toujours dit qu’il faut une gestion autonome, indépendante, à tous les points de vue, du parc industriel de Caracol », a soutenu le président la Chambre de commerce et d’industrie du Nord, Marc Georges, interrogé par le journal.
« La gestion du PIC est faite sur une base politique, pour et dans l’intérêt du sénateur Walnick. Pas pour la région », a balancé l’ex-député de Limonade, Gluck Théophile.
L’ex-président du Sénat de la République, originaire du Nord, Kély C. Bastien, interrogé sur la gestion désastreuse du parc industriel de Caracol, a souligné « le manque de synergie entre les acteurs de la région qui devraient intégrer le Parc dans une perspective de développement socioéconomique régionale globale ». « L’absence de canal de communication est un indicateur éloquent. La politisation de l’institution l’éloigne des règles et des principes de management qui devraient favoriser une amélioration continue de l’environnement et des conditions de travail, une meilleure transparence dans la gestion pour mieux asseoir la confiance des partenaires internationaux », a indiqué Kély C. Bastien, soulignant que « la pression politique externe exercée directement sur l’institution ouvre la voie à une corruption hors contrôle et au recrutement de cadres dont les compétences laissent à désirer ». « Le recrutement est basé d’abord sur votre appartenance politique. Le résultat sera à moyen terme le manque d’efficacité du Parc », a-t-il ajouté. « Un coup de balai est nécessaire au niveau de la direction du Parc pour mettre en place un ensemble de mesures susceptibles de redresser la situation et de convaincre les partenaires », a appelé l’ex-sénateur du Nord.
« Le grand malheur du corridor économique du grand Nord est qu’il s’est mis en place par hasard, au gré de plusieurs évènements externes et non par le fruit d’une vision et décisions partagées. Les deux parcs industriels de CODEVI et de Caracol installés grâce aux mesures incitatives créées par les lois HELP/HOPE, de même que le campus universitaire de Limonade ont été des accidents heureux, mais sans préparation et quasiment en dehors des communautés locales », a analysé Nesmy Manigat, ex-ministre de l’Éducation nationale, très impliqué dans la promotion économique dans le Nord-Est.
Les problèmes de gestion du parc industriel de Caracol sont un aspect d’un problème de management plus global du grand Nord. « On sait que le Nord possède de grandes potentialités économiques, mais sans un plan stratégique régional aligné sur des plans de développement communal bien établis et des gouvernements locaux travaillant en synergie avec les autorités centrales pour une bonne opérationnalisation, il sera vraiment difficile d’atteindre des résultats positifs visant à atténuer la situation de pauvreté dans la zone », a affirmé l’économiste Kesner Pharel. « Faut-il indiquer que les départements du Nord et du Nord-Est sont considérés parmi les plus pauvres des pauvres selon le ministère de la Planification et de la Coopération externe et ont ainsi un grand besoin d’investissements externes pour enrayer leurs problèmes ? Le couloir Cap-Ouanaminthe incluant le parc Caracol a un grand besoin d’infrastructures (routes, ports, aéroports...) pour rendre la zone plus compétitive par rapport à la zone de Puerto Plata et Santiago de l’autre côté de la frontière, mais une gestion rigoureuse de ces facilités s’avère nécessaire pour que les résultats soient au rendez-vous », a insisté Kesner Pharel.
Nesmy Manigat a lui aussi évoqué des déficits qui ont sauté aux yeux alors que les investissements créaient de milliers d’emplois. Les problèmes urbanistiques et environnementaux avec un afflux de population sans augmentation de services publics palpable. « Mais, en plus de ce déficit de vision, il a manqué trois choses fondamentales : une appropriation, un leadership régional et des compétences locales », a indiqué Nesmy Manigat.
« Les 2 Chambres de commerce et d’industrie des Nord et Nord’est ainsi les élus de ce grand Nord n’ont jamais pu dégager une communauté d’intérêt malgré certaines tentatives de rencontres entreprises par Fritz Jean et moi. Les querelles de chapelle alimentées par la politique partisane ont aussi miné cette capacité à être pro-actifs et à s’approprier même tardivement les avancées. Il a manqué un leadership régional pour négocier comme il fallait avec le gouvernement central et les bailleurs de fonds, sur certains choix. Il a manqué un leadership régional pour arbitrer entre la rénovation de l’aéroport du Cap-Haïtien et un grand aéroport dans la zone de Madras, capable d’accueillir tous ces Haïtiens qui, jusqu’a présent, préfèrent atterrir à l’aéroport du Cibao avant de continuer en Haïti. Il a manqué un leadership régional pour arbitrer sur l’emplacement d’une vraie installation portuaire en face des nouveaux investissements au port de Manzanilla en République dominicaine qui dessert les parcs industriels. Il a manqué un leadership régional pour faire du campus universitaire de Limonade le point de départ d’une grande université publique du grand Nord, indépendante de l’UEH. Il manque cruellement encore une masse critique de ressources humaines qualifiées pour gérer convenablement les nouveaux investissements. Dans ces conditions, où ce grand Nord n’est pas a même de gérer professionnellement le sol de son territoire, il ne faut même pas encore penser au sous-sol », a longuement expliqué Nesmy Manigat. « On est loin des foires et expositions internationales qu’organise annuellement la très organisée Chambre de commerce de Santiago dans le Cibao, frontalier voisin ou de la grosse machine que représente la PUCAYMAIMA », a renchéri Nesmy Manigat.
Menace de perte d’emplois, « urgence nationale »
L’ex-sénateur Kély C. Bastien a estimé que « quand il y a perte d’emplois ou menace réelle potentielle de perte d’emplois dans un pays comme Haïti, cela devient une urgence nationale ». Pour Kély C. Bastien, une table sectoriel composée d’élus locaux, de parlementaires et d’autres partenaires devrait se réunir périodiquement pour planifier, faire le suivi et anticiper « toutes décisions susceptibles d’agir négativement sur le bon fonctionnement du Parc industriel de Caracol ». « Ce devrait être une priorité du gouvernement central vu son impact sur la création d’emplois dans la zone. »
C’est pourquoi d’ailleurs la décision du Parlement d’augmenter le salaire minimum devrait faire l’objet de discussions préalables avec les acteurs directement concernés pour éviter des conséquences regrettables.
Ne pouvait-on pas négocier une augmentation par étapes dans la loi ? Pourquoi n’a-t-on pas privilégié le mécanisme d’indexation du salaire ? », s’est demandé Kély Bastien qui tire une autre conclusion : « Cette crise, à mon avis, est le résultat d’une conjonction de facteurs tels l’incompétence, la politisation à outrance au mépris des principes élémentaires de la culture managériale de base, l’indifférence, l’irresponsabilité des décideurs politiques (parlementaires et gouvernement) pour adopter des mesures et un comportement proactifs ».
L’ex-député Gluck Théophile a estimé que la quasi majorité des parlementaires du Nord ne comprennent pas les grands enjeux du développement. À cause de ce déficit, ils ne peuvent pas être les interfaces efficaces pour discuter avec le gouvernement et avec les bailleurs de fonds.
Pour Marc Georges, les avancées dans des projets de développement dans le Nord sont retardées par des lourdeurs bureaucratiques. Vu les difficultés, le président de la Chambre de commerce et d’industrie du Nord croit qu’il faut se retrousser les manches. « Je suis optimiste. Je suis d’un optimisme mesuré. Il y a beaucoup de choses faites et beaucoup de chose à faire », a-t-il précisé, appelant, sur tous les sujets d’intérêts nationaux à un dialogue ouvert, franc entre tous les acteurs.
Le journal a tenté sans succès d’entrer en contact avec le sénateur Walnick Pierre pour recueillir son commentaire.
Roberson Alphonse

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