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Politique : le retour des vieux de la veille

mercredi 2 janvier 2019 par Charles

Les difficultés de Macron et l’absence de leaders dans leur camp respectif ont donné à Nicolas Sarkozy, François Hollande et Ségolène Royal l’occasion de revenir sur le devant de la scène.

Par Alain Auffray , Rachid Laïreche et Laure Bretton
Au fond, c’est un miroir aux alouettes qu’a tendu l’année 2018 à Nicolas Sarkozy, François Hollande et Ségolène Royal. Acteurs de premier plan de la politique française depuis plus de trente ans, les trois grands protagonistes des présidentielles de 2007 et 2012 ont été remis au goût du jour par un concours de circonstances : l’absence de leaders charismatiques dans chacun de leurs camps d’une part et le désamour grandissant des Français pour Emmanuel Macron de l’autre. Toutes proportions gardées, cela fait penser à Barack Obama que les progressistes américains appellent régulièrement au secours pour s’élever face aux dérives présidentielles de Trump, sans jamais passer par la case « nouvelles têtes » démocrates.

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Sans être dupes, les trois « ex » français savourent : la politique, c’est leur oxygène à eux, respectivement élus pour la première fois en 1983 (Nicolas Sarkozy à la mairie de Neuilly) et 1988 (François Hollande, député de Corrèze après une première tentative en 1981, et Ségolène Royal députée des Deux-Sèvres). Leur retour à la une a bien sûr un petit air de revanche - plus médiatique que politique - de l’ancien monde sur le nouveau autoproclamé en mai 2017. Il ressemble aussi à une victoire de l’horizontal - labourer le terrain, serrer des mains, signer des dédicaces, se montrer partout, jusqu’à la table de déjeuner de Macron pour Sarkozy - sur une présidence qui se voulait verticale.
Sauf que de l’effet d’optique à l’effet bœuf, il y a un gouffre. « Tu seras peut-être regretté mais jamais désiré », ne cesse de répéter Jean-Christophe Cambadélis à François Hollande, qui n’en a cure. Les différents refus essuyés par Ségolène Royal n’augurent pas non plus d’un come-back étincelant. Quant à Nicolas Sarkozy, sa lune de miel avec le chef de l’Etat tient plus de l’entreprise d’empêchement de Laurent Wauquiez et de dénigrement de François Hollande. Mais, en politique comme ailleurs, on ne sait jamais. Ces trois-là le savent mieux que quiconque.
Sarkozy, un retraité hyperactif
Non, Nicolas Sarkozy n’est pas de retour. « Cette petite musique est ridicule. La situation politique est suffisamment grave et complexe, on n’a vraiment pas envie de faire les malins », martèle son entourage, agacé de devoir démentir encore la pénible litanie du come-back. « Je n’ai aucune intention de revenir dans la vie politique », a assuré l’intéressé le 19 décembre à Montpellier, lors d’une conférence à huis clos réservée aux cadres du groupe Altrad. La rumeur a enflé tout le mois de décembre, dès la révélation d’un déjeuner à l’Elysée entre l’ancien chef de l’Etat et l’actuel, au plus fort de la crise des gilets jaunes. Trois jours plus tard, le 10 décembre, Emmanuel Macron présentait un plan d’urgence ressuscitant les fameuses heures supplémentaires défiscalisées, créées par Sarkozy et supprimées par Hollande. Champion du « travailler plus pour gagner plus », l’ancien président serait donc devenu le conseiller du nouveau ? L’hypothèse plonge l’opposition LR dans la consternation. Deux ans après son élimination dès le premier tour de la primaire présidentielle de la droite, Sarkozy est de nouveau en tête des sondages, loin devant l’actuel patron de LR, Laurent Wauquiez, le fringant quadragénaire censé incarner le renouveau de la droite. Tandis que les porte-parole de son ancienne famille politique tirent à boulets rouges sur le locataire de l’Elysée, l’ex-chef de l’Etat entretient avec lui les meilleures relations.
« Eruptif »
Il est vrai que Macron a multiplié à l’égard de Sarkozy les marques de considération. Dès le début du quinquennat, le 6 juillet 2017, il était reçu avec son épouse au palais pour un déjeuner avec le couple présidentiel. Quelques mois plus tard, quand sa mère, « Dadu », mourait à l’âge de 92 ans, le chef de l’Etat avait tenu à lui présenter ses condoléances. Le 18 décembre dernier, c’est à la demande de Macron que Sarkozy s’est rendu en Géorgie pour représenter officiellement la France à l’investiture de la nouvelle présidente, Salomé Zourabichvili. « Partager son expérience, échanger avec son successeur, quoi de plus normal », explique un proche de l’ex-président. Ce qui n’était « pas normal », en revanche, c’est que François Hollande n’ait « jamais jugé utile de le faire », ajoute le même. Rue de Miromesnil, dans les bureaux que la République met à sa disposition, Nicolas Sarkozy reçoit à tour de bras. Sa porte reste largement ouverte à tous ceux qui souhaitent le voir, maires et parlementaires, novices et vieux routiers. Il rappelle à qui veut l’entendre que la France est un « pays éruptif » et qu’il ne faut jamais oublier que « le peuple français a coupé la tête du roi ». A l’image de Renaud Muselier, président LR de la région Paca, les sarkozystes sont convaincus que leur ancien patron confronté à la révolte des gilets jaunes aurait su, lui, « faire baisser la température à temps ». Plusieurs visiteurs ont rapporté que cette bienveillance à l’égard d’Emmanuel Macron ne l’empêchait pas d’exprimer son inquiétude avant même qu’éclate la crise de l’automne. « Ça va très mal finir », aurait-il confié à plusieurs reprises, s’inquiétant autant de « l’inexpérience » au sommet de l’Etat que d’une politique excessivement « libérale », qui offrirait un boulevard au populisme. L’entourage de Sarkozy refuse de confirmer cette prophétie. Pas question, décidément, de « faire les malins ».
Désarroi
Selon un député LREM, élu UMP dans une autre vie, « ce qui rapproche durablement Macron et Sarkozy, c’est qu’ils ont deux ennemis communs : Laurent Wauquiez et François Hollande ». Déjà plombé par ses propres maladresses, le patron du parti n’est effectivement pas aidé par son fondateur qui reste, aux yeux d’un grand nombre de militants, le seul et unique chef charismatique. Tandis que tous les dirigeants de LR se donnent un mal fou pour faire de Gérald Darmanin la figure du traître absolu, Nicolas Sarkozy entretient d’excellentes relations avec son ancien bras droit qui aurait eu bien tort, selon lui, de ne pas accepter de devenir ministre des Comptes publics. Interrogée sur la mansuétude de Sarkozy à l’égard de son successeur, la porte-parole LR, Laurence Sailliet, expliquait la semaine dernière devoir se limiter au simple cadre de la courtoisie républicaine. Pour le reste, estimait-elle, l’ancien président ne saurait être l’inspirateur d’un Macron « qui mène une politique issue de son ADN socialiste »… L’argument est baroque. Il donne la mesure du désarroi de ceux qui se rêvent en héritiers de Nicolas Sarkozy.
François Hollande et Ségolène Royal, au Zénith de Paris, le 29 mai 2007. Photo Sébastien Calvet
Hollande-Royal come-back dans les bacs
A chacune de ses prises de parole, François Hollande le précise : la retraite politique ne fait pas partie de son programme. L’ancien chef de l’Etat a renoncé à la présidentielle l’an dernier, mais pas au reste. Il s’est installé dans ses bureaux, rue de Rivoli à Paris, le regard braqué sur les moindres (faux) pas de son successeur. Ancienne ministre de l’Environnement, Ségolène Royal a, elle, été nommée par Emmanuel Macron ambassadrice chargée des pôles Arctique et Antarctique. Lorsqu’on scrute de plus près les trajectoires des anciens conjoints, certains points communs sautent aux yeux : après un quinquennat très compliqué, l’un comme l’autre ne s’attendaient pas à revenir sur le devant de la scène politique aussi rapidement. Et l’un comme l’autre doivent leur come-back à des phénomènes de librairie.
« Jachère »
Avril : le livre testament de François Hollande - les Leçons du pouvoir - déboule dans les bacs quelques jours après le terne congrès du Parti socialiste. Succès immédiat : plus de 150 000 exemplaires écoulés. Pour vendre l’ouvrage, l’ancien président fait la tournée des librairies et des supermarchés. A chaque étape, des centaines de quidams discutent et le remercient avant de repartir avec une dédicace. Hollande revit. Profite. Savoure. Il enchaîne les interviews, tous médias confondus. Une fringale. Et cogne sur Macron, ce « président des très riches ». En juin, il expliquait à Libération : « Je ne dirais pas que je suis un opposant, mais j’imagine qu’il me voit comme ça. » Fin novembre, celui qui fut le président du « ras-le-bol fiscal » s’est arrêté sur un rond-point d’Ardèche pour encourager les gilets jaunes à continuer leur mouvement. De quoi provoquer l’ire de l’Elysée. Revenir - ou plutôt ne pas partir -, mais pour quoi faire ? Préparer la présidentielle de 2022 ? « Il fait du Hollande. L’espace à gauche entre Macron et Mélenchon s’est élargi depuis 2017 : lui, il stérilise la jachère », analyse un pilier du PS. L’intéressé ne promet rien, ne s’interdit rien. Un nouveau « ni-ni ». Lors de ses dédicaces, il lâche aux plus curieux un énigmatique : « On se retrouvera ! »
Octobre : Ségolène Royal publie Ce que je peux enfin vous dire. Succès immédiat, quoique plus modeste : plus de 15 000 exemplaires écoulés. L’ancienne candidate à la présidentielle de 2007 y raconte ses réussites et ses difficultés, celle d’une femme dans un monde politique boursouflé de testostérone. Elle ne retient pas ses coups, Hollande n’est pas épargné. Dans la foulée, elle organise des « rencontres » dans les librairies et s’affiche dans tous les médias. Son livre passe vite au second plan derrière son avenir politique. Ministre de Macron ? Elle ne dirait pas non à Matignon ou à un gros ministère, mais c’est pour les européennes que son nom revient avec insistance. Aux abois, le Parti socialiste est même prêt à lui offrir la tête de liste. Hésitante, Royal consulte à tout va. Elle a proposé à Raphaël Glucksmann, cofondateur du mouvement Place publique, de « monter » une liste. Il a décliné, expliquant que pour lui, c’était l’union de la gauche ou rien. Elle s’est aussi déclarée prête à rejoindre les écolos en laissant la tête de liste à Yannick Jadot : nouveau refus. Elle devrait dévoiler ses intentions officielles fin janvier. Fin novembre, celle qui a transformé son microparti en fondation (Désirs d’avenir pour la planète) disait à Libération : « Je ne sais pas si les Français comprendraient, si je m’engage en Europe, que je parte à Bruxelles. Ceux que je croise souhaitent que je m’engage ici. » Ce qui ne dénote pas d’un enthousiasme délirant. Comme si, à l’instar de Hollande, 2022 trottait dans un coin de sa tête.
« Fenêtre »
Au PS, on s’arrache les cheveux. « On pensait en avoir terminé avec eux, mais non : tu fermes une porte et ils reviennent par la fenêtre alors que les Français ne veulent plus de l’un et l’autre, leur tour est passé », souffle un député. Le nom de Hollande revient souvent, pour en dire du mal. Beaucoup lui reprochent d’avoir « saccagé » le PS et la gauche, et d’avoir ouvert les portes du pouvoir à Macron. Les mots les plus durs viennent de la jeune génération, qui rêve de se faire entendre. Un éléphant ayant gardé le contact avec Royal et Hollande fait les gros yeux face à ces critiques : « C’est vrai qu’une nouvelle génération doit émerger mais si elle n’arrive pas à le faire, elle ne peut s’en prendre qu’à elle-même ! Lorsque Ségolène et François étaient en retrait, qui a réussi à se faire entendre ? » Les vieux loups se sont engouffrés dans la brèche.


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