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Qui sauvera le Champ de Mars de l’abandon ?

samedi 15 décembre 2018 par Charles

Editorial -

Le mercredi 12 décembre 2018, lors de la présentation des programmes sociaux du gouvernement, un exposé a particulièrement retenu l’attention.

Faite par l’Unité de construction de logements et de bâtiments publics (UCLBP), la projection d’une vidéo a plongé l’assistance dans un doux rêve, proche de l’extase. Pendant quelques minutes, les personnes présentes ce soir-là dans la grande salle de bal du Karibe Convention Center ont pu entrevoir un centre-ville de Port-au-Prince idéal, avec pour épine dorsale une cité administrative moderne et grandiose.
Le futur couloir des pouvoirs et de l’Etat est délimité par le palais national dont un concours pour concevoir le bâtiment est lancé et le siège du Parlement qui sera sous peu, très bientôt même, le plus grand immeuble du pays. La Chambre des députés et le Sénat seront logés dans quarante mille mètres carrés. Si une surface de bureaux de quarante mille mètres carrés ne vous dit rien, sachez que c’est l’équivalent de quatre fois l’immeuble de la Digicel à Turgeau…
Avec un tel palais législatif on imagine ce que devra être le palais national si le président de la République ne veut pas apparaître comme un plaisantin et un petit chef face aux colosses du Parlement…
Mercredi, au Karibe, ceux qui ont leur tête sur leurs deux épaules ont très vite cessé de rêver tout en refusant d’insulter l’avenir. Haïti peut redevenir riche comme du temps de la colonie ou hériter d’un nouveau et plus important volet du programme PetroCaribe. Un autre pays peut même tomber d’amour ou de pitié pour nous et nous offrir des milliards à profusion pour construire mille citadelles Henri, la cité administrative et le nouveau centre-ville.
En attendant, au constat de ce qui se passe au Champ de Mars, cela fait longtemps que les mânes d’Albert Mangonès ne peuvent plus se reposer en paix tant le Champ de Mars, la capitale de ce Port-au-Prince ville capitale d’Haïti, n’arrive plus à retenir l’attention de personne. Encore moins celle des autorités qui y habitent, qui y travaillent ou qui en ont la charge.
Après s’être fait défiguré par les travaux commandés par l’Unité de construction de logements et de bâtiments publics (UCLBP) qui ne respectent ni les normes établies pour la principale place publique du pays ni une unité architecturale compréhensible à la vue de ce qui y est érigé depuis le séisme de 2010, le Champ de Mars est livré aux fatras. Aux fatras, mezanmi !
Des herbes d’un mètre de haut assiègent chaque coin de verdure et se disputent l’espace avec tout ce qui ne devrait pas y être. Les statues des héros de l’Indépendance n’intéressent plus personne. Le précurseur Toussaint Louverture a perdu de sa superbe pour se retrouver abandonné dans un réduit coincé entre deux voies de grande circulation. Toussaint Louverture, le Nègre marron, notre illustre soldat-libérateur inconnu, et la statue filiforme des militants qui a remplacé l’Indien du temps des Duvalier se regardent avec tristesse.
La circulation est devenue démentielle aux heures de pointe devant le palais national, chaque chauffeur se disputant la priorité tout en évitant les piétons. Un bout de l’avenue de la République a été récemment fermée aux automobilistes. On ne sait plus quel sens est le bon sens de la rue Paul VI (la rue des Casernes). La rue Montalais, dans sa nouvelle configuration, rencontre les rues Oswald Durand et Paul VI.
Entre klaxons rageurs et murmures de la ville, le Musée du Panthéon national garde jalousement son calme et notre passé dans un écrin à l’architecture particulière et un jardin magnifique. Tandis que la Tour 2004, abandonnée à son sort l’année même de la commémoration de nos deux cents ans d’indépendance, reste l’impuissant et imposant symbole de notre incapacité à définir notre avenir commun. Le musée et la tour, la tour et le musée regardent, impassibles, le tableau quotidien de notre inaptitude à gérer le Champ de Mars et le reste de la ville.
Au Champ de Mars, la mairie a perdu la main dans son combat pour restreindre une partie de la place aux commerces. Elle ne les discipline pas non plus. Ses agents ne nettoient pas la plus belle place du pays avec une régularité compréhensible. Le Champ de Mars est laissé au bon gré du vent ou de la pluie pour bénéficier d’une petite toilette de ses parties intimes, là où l’on mange, copule ou défèque, selon l’heure du jour ou de la nuit.
Entre l’ancien quartier général des Forces armées d’Haïti qui a repris du service et le nouvel immeuble flambant neuf du grand palais des finances en construction (véritable palais des 365 fenêtres), il y a certes la Cour de cassation trop grande pour la justice, mais surtout des manifestations périodiques des employés mécontents du ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales jamais en panne d’une revendication ou de pneus à faire flamber.
Tout cela met de l’ambiance et des embouteillages dans une portion de rue que le constructeur ou le ministère des Travaux publics a oublié de finaliser. Les travaux de finition, les trottoirs, la signalisation, tout ce qui fait d’une rue une rue dans la plus grande place d’une capitale manquent à ce bout de tronçon comme cela manque au Champ de Mars et ailleurs.
La nuit l’éclairage fait défaut. Depuis que nos présidents de la République ne dorment plus dans la résidence officielle que la République met à leur disposition, le Champ de Mars n’est plus le Champ de Mars. La nuit, quand il n’y a pas une croisade au kiosque Occide Jeanty ou un improbable événement au Triomphe qui se cherchent tous les deux un destin, il n’y a que les chattes grises qui montent la garde aux pieds de nos héros.
Reste l’îlot de tranquillité qu’est Le Plaza, hôtel que les plus vieux dénomment encore Holiday Inn, en souvenir du temps ancien où le tourisme avait un avenir qu’on croyait assuré, et le bout bouillonnant de vie entre les vestiges du Rex, lieu d’aisances maquillé, et le haut de la rue St-Honoré, cet ex-palais des poulets, où à toute heure du jour et de la nuit l’on mange, l’on boit et l’on a de la compagnie.
Autant cette portion est animée par les milliers de gens qui y passent ou par les manifestions inattendues des étudiants qui ont leur quartier général à la faculté d’ethnologie, autant la place Pétion dépérit. Dessalines au moins reçoit de bruyantes visites périodiquement ; Christophe est toujours vu avec fierté ; mais Alexandre Pétion, le père du Panaméricanisme ; doit bien se demander quel mal il paie, lui qui n’a pas une statue à Pétion-Ville, pour se faire autant humilier à Port-au-Prince. Le maire Franck Romain avait fait de la place Pétion la plus belle des places du Champ de Mars comme pour le punir de ses ambitions et de ses errements, toutes les édilités de la capitale après lui ont décidé de laisser mourir sa place. Les balançoires et autres jeux pour enfants et les allées rectilignes ne sont plus que souvenirs.
Et pour finir, jetons un regard à la dernière née de nos places publiques du Champ de Mars, cet archipel de places disparates, la place de la Constitution. Érigée en l’honneur de la première Constitution indigène, elle n’a ni tenue ni statue, sinon une colonne qui perd ses plaques une à une et un drapeau national que l’on ne change pas assez régulièrement, au risque de la laisser flotter des fois comme un haillon.
Ah, le Champ de Mars ! Si avant les milliards de la reconstruction du centre-ville on pouvait lui accorder un regard et assurer son entretien, que Port-au-Prince serait plus belle et nos chefs plus fiers de diriger, de protéger, d’embellir au moins une enclave dans la capitale !
Frantz Duval

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