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Embargo américain sur Cuba : 1,34 milliard de dollars d’amende pour la Société générale

mardi 20 novembre 2018 par Charles

Les poursuites ne seront définitivement abandonnées qu’après une période probatoire de trois ans. Les Américains conservent plus que jamais le contrôle sur l’usage du dollar.

L’ensemble de ces montants « est intégralement couvert par la provision pour litiges inscrite dans les comptes de la Société générale », a immédiatement souligné la banque. BERTRAND LANGLOIS / AFP
Les Français rêvent sans doute de temps meilleurs, où l’hégémonie du dollar pourra être contestée. Pour l’instant, ils sont pieds et poings liés par la devise américaine. Cinq ans après BNP Paribas, qui avait dû payer 9 milliards de dollars (près de 8 milliards d’euros) à la justice américaine pour avoir utilisé le dollar pour commercer avec des pays sous embargo des Etats-Unis, c’est au tour de la Société générale de passer à la caisse. La banque française a accepté, lundi 19 novembre, de verser 1,34 milliard de dollars (près d’1,2 milliard d’euros) d’amendes pour mettre fin aux poursuites engagées par l’Etat de New York et différentes autorités de régulation américaines. En cause, la violation de l’embargo sur Cuba (et marginalement sur l’Iran et le Soudan) entre 2003 et 2013. Les poursuites ne seront définitivement abandonnées qu’après une période probatoire de trois ans.
« Aujourd’hui, la Société générale a admis qu’elle avait volontairement violé les lois de sanctions américaines et caché durablement ces violations, ce qui a conduit à des milliards de flux de capitaux illégaux via le système financer américain », a déclaré lundi le procureur de New York, Geoffrey Berman, dans un communiqué. « Les autres banques devraient en prendre de la graine. La mise en œuvre des lois américaines imposant des sanctions est et continuera d’être une des premières priorités de ce tribunal et des agences américaines. » Le représentant de l’IRS (Internal Revenue Service, le fisc américain) James Robnett a ajouté que « la mise en œuvre des sanctions est d’une importance vitale pour notre sécurité nationale et l’intégrité de notre système financier ». Avertissement qui laisse entendre que l’attitude américaine sur les sanctions décidées ou à venir sur l’Iran sera des plus dures.
Des transactions dissimulées
Les Américains ont détaillé les griefs faits à la Société générale, une facilité de crédit ouverte en faveur de Cuba en l’an 2000. Entre 2004 et 2010, la banque française a octroyé des facilités de paiement à des banques et institutions cubaines. Au total, quelque 2 500 transactions ont eu lieu pour un montant de 13 milliards de dollars (11,3 milliards d’euros) via le système américain. La plupart visait à financer des achats et ventes de pétrole entre une entreprise de trading néerlandaise et l’entreprise d’Etat cubaine ayant le monopole de la production et du raffinage de brut. La justice américaine reproche à la Société générale d’avoir cherché à masquer ces transactions. Par exemple, 500 paiements libellés en dollars ont été dissimulés en transitant via une banque espagnole, tandis que les employés de la banque étaient invités à omettre toute référence à Cuba dans les messages accompagnant les transferts de fonds.

A partir de 2004, la direction des risques de la Société générale a commencé à tirer la sonnette d’alarme notant dans un email que « toute découverte ou fuite » concernant Cuba entraînerait « la peine la plus rude » et que la justice pénale américaine se concentrait sur les paiements effectués en dollars envers les pays sous embargo. Il fut décidé de réduire la voilure. En 2006, des mémos internes montrent les craintes des employés du groupe Société générale, qui ont vu que les Américains enquêtaient sur la violation de l’embargo iranien et avaient sanctionné ABN Amro. De fil en aiguille, ils pourraient découvrir le pot aux roses cubain. « En enquêtant sur un pays comme l’Iran, les autorités américaines peuvent mettre le doigt des mouvements de fonds dans d’autres pays – tel Cuba. Du moins, c’est ce que nous avons compris. Bien sûr, nous n’avons pas parlé du cas Cuba avec le département conformité de la Société générale à New York. Mais nous avons compris que l’Iran était, dans une certaine mesure, un “moindre mal” d’où le “pire” pourrait émerger », s’inquiète dans un email du 7 février 2006 un salarié de la Société générale, cité par l’accusation américaine.
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L’essentiel des transactions fut stoppé en 2007, ce qui n’a pas empêché, accuse la justice américaine, « la Société générale de poursuivre de telles transactions pendant six années supplémentaires, jusqu’en octobre 2010 ». A cette date, la facilité financière accordée à Cuba fut faite sans dollar. La banque n’a jamais rien déclaré aux autorités américaines, mais s’est fait prendre sur un autre dossier : le Soudan. Deux transactions avec ce pays sous embargo ont été bloquées par des agences américaines en 2012, conduisant la banque à révéler 22,8 millions de dollars (près de 20 millions d’euros) de transactions avec ce pays et d’autres entités sous embargo. Il a fallu attendre 2014 pour que la Société générale, sous la pression d’une enquête générale des autorités américaines, révèle l’existence de la facilité de crédit cubaine et coopère avec la justice américaine et s’engage à renforcer ses procédures de contrôle et de conformité internes. Un audit extérieur évaluera dans 18 mois les progrès faits à New York.
Le mea culpa de Frédéric Oudea
Dans un communiqué, la Société générale précise que « le montant [de la pénalité] est intégralement couvert par la provision pour litiges inscrite dans les comptes de Société Générale. Ces accords n’auront pas d’impact supplémentaire sur les résultats de la Banque en 2018 ». Son PDG Frédéric Oudea a fait le mea culpa de rigueur – « Nous reconnaissons et regrettons les manquements identifiés dans le cadre de ces enquêtes et nous avons coopéré avec les autorités américaines pour mettre un terme à ces dossiers » – et veut voir devant : « ces accords, qui font suite aux enquêtes clôturées plus tôt cette année, permettent à la Banque de tourner la page des litiges du passé les plus importants ».
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Début juin, la banque avait déjà accepté de verser environ 1,3 milliard de dollars (1,1 milliard d’euros) aux autorités américaines et au Parquet national financier (PNF) français pour mettre fin à deux litiges aux Etats-Unis relatifs au taux interbancaire Libor et au dossier du fonds souverain libyen. L’action a perdu 23 % de sa valeur depuis le début de l’année, une performance légèrement plus mauvaise que celle du secteur.
Arnaud Leparmentier (New York, correspondant)


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