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Bloc-notes

Gérald Bloncourt, ou quand meurent les jeunes

mardi 6 novembre 2018 par Charles

Le 25 août, par l’intermédiaire de Virginie Turcotte de Mémoire d’encrier, il me faisait parvenir ce message : « Avant de partir pour l’au-delà, je voudrais parmi mes derniers messages te dire l’admiration que j’ai pour ton travail d’écrivain.

National -

Pour tes émissions et tes rencontres avec les jeunes et les populations de ton quartier. J’ai été très honoré de te rencontrer en Haïti en 2016. Je t’embrasse. Merci pour le pays. Kenbé fèm ! » Je lui avais répondu, et gardant ce message comme un trophée, que je comptais aller le voir ces jours-ci. Mais la mort trop souvent marche plus vite que nous.
Et cette façon qu’elle a de tuer les plus jeunes ! Car Bloncourt était jeune. Il avait gardé l’exaltation, cette qualité de la jeunesse qui fait les engagements et les persévérances. Les vices que la vieillesse fait passer pour sagesse, le blasé, le sceptique, la trahison, l’endormissement, la critique des idéaux d’hier pour être en paix avec soi-même dans ses revenus et son fauteuil ne l’avaient pas encore atteint. Je le revois lisant ses poèmes, invité d’un vendredi littéraire, il y a deux ans. Une énergie allant non dans le sens d’une séduction qui mènerait l’autre à soi, comme les vieux charmeurs qui prétendent avoir tout tenté et être revenus de tout, leur seule vérité demeurant une présence attachée qu’à elle-même. Mais, fermement, dans un appel au débordement, au lancement du soi dans plus fort ou plus riche, dans cette direction de l’aventure collective. Il y a quelque chose - les vieux « sages » diraient de puéril – que je trouve de vivifiant, peut-être d’exemplaire, dans ce dire : « Chacun est responsable pour faire l’amour ou la haine… Toute mon œuvre, tout mon travail, tout le feu de ma vie, toute ma violence, je les ai mis dans une direction à laquelle je n’ai jamais failli. Dans cet Homme et son devenir. »

Avec d’autres, il représentait le versant de gauche de 1946 et ne s’était pas installé dans le reniement lorsque le noirisme triomphant de violence et de ressentiment avait amené quelques-uns à extraire de leur critique de l’Haïti d’avant la critique du mulâtrisme de peur d’être associé au prétendu « pouvoir noir ». Ses propos recueillis par Johann Petitjean éclairent sur son chemin et ses fidélités.
Poète, peintre, graveur, journaliste, photographe, linotypiste, et pleins de choses encore si l’on fait la liste des métiers, fonctions et activités. Et que n’avait-il pas fait, vécu ? La prison, l’exil, et plus tard témoin de révoltes, de guerres, des mille misères du monde.
On n’en fait pas des comme ça tous les jours, dans un monde où l’on nait de plus en plus vieux, sans cause ni idéal. Vient de mourir à quatre-vingt-onze ans un jeune homme qui a traversé son temps avec un sens de l’affrontement de l’actualité misérable de ses frères humains. Un homme jeune de conviction et d’espérance qui terminait son poème « je me souviens » (clin d’œil à Pérec), avec ces mots : « Je me souviens qu’un jour viendra ».

Antoine Lyonel Trouillot
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