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L’infidélité, on en parle ou pas ?

mercredi 25 avril 2018 par Charles

Pour la chroniqueuse de « La Matinale du Monde » Maïa Mazaurette, la question est de savoir si les conjoints ont intérêt à parler ouvertement de leurs infidélités.

Tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous : la formule parcourt l’imaginaire du polar autant que notre culture sexuelle. Et si le contexte associe actuellement silence et violence, confession et transgression, les choses ne sont pas toujours si dramatiques. Dans le cas de l’infidélité, le silence peut laisser passer les anges. Ou réveiller nos démons.
Avant d’aborder nos débordements, encore faudrait-il s’accorder sur la définition de l’infidélité. Le flou artistique est non seulement connu mais entretenu. Lançons donc les hostilités sans attendre : nous refusons de définir la tromperie parce qu’une règle sans contours est impossible à respecter. Côté pile, nous ne voulons pas dire, côté face, nous ne voulons pas savoir – sauf chez les polyamoureux et autres ultraminorités, qu’on serait en peine de décompter.

Le modèle normatif reste celui de LA conversation – « faut qu’on parle ». Nos représentations, nourries de comédies romantiques et de séries américaines, montrent des couples réglant leur degré d’engagement en cinq secondes, armés de pyjamas assortis et de verres de 80 litres de chardonnay. Le processus est facile, évident. Mais en pratique, personne ne se conforme au script (et aucun individu raisonnable ne boirait de chardonnay).
La première raison est biologique : en début de relation amoureuse, le déferlement hormonal nous rend virtuellement aveugles aux rivaux potentiels (University College London, 2011). Dans ces conditions, pourquoi risquer un conflit en imaginant l’inimaginable ?
Quelle place pour l’infidélité psychique ?
Libération sexuelle ou pas, nous voulons croire que l’amour protège des tentations. Du coup, pour préserver la bulle amoureuse, nous laissons nos casseroles dans le placard. Peut-être n’avons-nous pas envie de réactiver des expériences passées douloureuses. Peut-être désirons-nous entretenir le mystère, respecter une certaine pudeur. Il y a enfin une question de pragmatisme.
Nos relations précédentes nous ont probablement confrontés à deux terrifiantes réalités : non seulement le chardonnay est un cépage dégoûtant, mais nous sommes faillibles. Auquel cas nous sommes bien obligés de prendre en compte la possibilité de dérapages futurs. Pour le dire prosaïquement : nous nous taisons pour nous laisser de la marge. Pour pouvoir dire qu’on ne savait pas.
Pourtant, en théorie, rien ne s’oppose à une contractualisation de l’infidélité. On pourrait l’imaginer renégociable à chaque beaujolais nouveau. Mais nous risquerions encore une asymétrie : que se passe-t-il si l’un commence à convoiter la femme du voisin mais pas l’autre ? Devra-t-on prévoir des demi-fidélités, des systèmes de compensation – tu vas voir ailleurs, mais tu fais la vaisselle ? Si nos contrats de mariage comportent plus de clauses concernant le chien que l’exclusivité sexuelle, ce n’est certainement ni par paresse ni par oubli.
L’exigence d’exclusivité contient en outre une violence implicite indéniable : nous rendons morale une question immorale. Sous quel prétexte revendiquer, en 2017, la possession d’un corps autre ? Tes fesses sont miennes mais pas tes mains ; tes baisers mais pas tes paroles ? Comment cadrer les relations sans contact, quand 20 % des Français ont déjà connu des rapports sexuels virtuels (IFOP 2016) ? Et l’inconscient ? 28 % des femmes ont déjà fait l’amour en pensant à un autre, tandis que 51 % ont déjà fauté dans un rêve érotique (IFOP 2017). Quelle place pour l’infidélité psychique sur l’échiquier moral ?
Un tiers des femmes et la moitié des hommes
Cette complexité n’interdit pas la conversation. A condition de se munir d’un solide stock de papier-brouillon… et de quelques heures de disponibilité.
Bien sûr, vous pouvez aussi très consciemment refuser l’examen de conscience. La cachotterie fait partie du piment extraconjugal, et parmi les mille raisons qui poussent à la tromperie, l’affirmation de son individualité n’est pas la moindre. On ne veut justement plus penser pour deux, encore moins n’être qu’une « moitié ». Ce besoin d’égoïsme constitue l’une des thèses défendues par la sexothérapeute Esther Perel dans son nouvel essai, The State of Affairs. A ce titre, annoncer une infidélité serait contre-productif : si le privé redevient public, autant rester à la maison.
Même chose une fois l’acte commis : si on a évité le sujet avant, pourquoi en parler après ? Faute avouée, à moitié pardonnée… à moitié effacée ? S’il faut tromper mais parler, ou fauter mais avouer, nous voilà condamnés à découper nos aventures en morceaux : le corps contre l’âme, la liberté physique contre la possession intellectuelle, la sortie de route occasionnelle contre la soumission par défaut. Autant demander la moitié du beurre, l’argent de la pénurie et un sexto de la crémière.
D’autant que le Français lambda peut difficilement jouer la carte d’une pénitence héroïque : nous sommes, au monde, le pays le plus indulgent envers l’adultère (Pew Research Center, 2014). Un tiers des femmes et la moitié des hommes ont déjà « fauté » (IFOP 2016, 2017) : nous ne sommes pas face à un événement improbable. Loin de là.
Vider l’intégralité du linge sale
Dans ces conditions, pourquoi « en » parler ? Cependant, si réellement la culpabilité vous ronge, la sociologie vous recommande de vider l’intégralité du linge sale, sans omission. En effet, selon une étude publiée dans le Journal of Personality and Social Psychology (2014), les demi-confidences soulagent moins que la vérité entière. Elles empêchent d’aller de l’avant et augmentent le sentiment d’anxiété.
Et si l’attitude la plus généreuse consistait à se taire ? Car même avec les meilleures intentions du monde (quoique tardives), la révélation suggère une culpabilité initiale du conjoint… et une possible récidive. Vous pouvez accuser les monothéismes, le sentimentalisme, la naïveté contemporaine ou le menu de la cantine, mais vos partenaires vont prendre sur eux.
Même si vous avez trompé par pur opportunisme, même si vous jurez sur la tiare du pape François que ça n’a rien à voir avec d’éventuelles frustrations de couple, votre parole sera remise en question. Et c’est bien naturel. Les humains ont une fâcheuse tendance à chercher des causes aux événements. Et pour donner un exemple qui fâche : les femmes les plus infidèles sont aussi les moins satisfaites dans leur couple, tant sexuellement qu’émotionnellement. Alors certes, il peut y avoir de la fumée sans feu. Mais il peut aussi y avoir le feu au plancher.
Enfin, et nous entrons là dans l’eau vraiment trouble de l’infidélité, certains jouissent de voir et de laisser voir. Catherine Millet en témoignait récemment au micro de France Inter, au sujet de son roman autobiographique Jour de souffrance : « Je me servais de photos, de témoignages dans des correspondances que j’ouvrais, ça me mettait dans la tête des images, et ces images me faisaient jouir. »
Nous approchons ici du candaulisme, cette pratique consistant à observer, voire à encourager, les aventures de son conjoint. La catégorie s’appelle « cuckold » sur les plates-formes X et, pour information, ce mot-clé est 28 % plus populaire en France qu’ailleurs en Europe. Par ailleurs, les hommes sont deux fois plus susceptibles de faire cette recherche que les femmes, surtout s’ils ont entre 35 et 44 ans (Pornhub Insights, 2017). Un chiffre qui remet encore une dose de flou dans notre angle mort. On n’y voit rien. Et si c’était le but ?


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