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L’infidélité ou l’amour flou

mercredi 25 avril 2018 par Charles

Dans son livre « Je t’aime, je te trompe », la thérapeute américaine Esther Perel pose un regard original sur l’aventure extraconjugale. Loin du rejet ou de la trahison, elle peut vivifier le couple.

« Mais sucer est-ce que c’est vraiment tromper ? Oui quand même ? » Il n’est pas courant que des inconnus se posent ce genre de questions lors des soirées parisiennes. Cela faisait partie des bavardages autour du buffet pour la publication du livre d’Esther Perel, Je t’aime, je te trompe. Repenser l’infidélité pour réinventer son couple (Robert Laffont, 304 p., 14,99 euros). Une nuit d’insomnie, me raconte une jeune femme présente, elle est tombée sur le livre audio Mating in Captivity, le précédent ouvrage de l’auteure. Elle a pleuré jusqu’au matin et ne sait plus bien ce qui l’a touchée. De toutes façons, être tolérante face à l’infidélité, confie-t-elle, « ça ne m’a pas empêchée de me faire larguer comme une vieille merde ». Elle est venue seule. Allez savoir pourquoi rares sont ceux qui vont en couple écouter une sexothérapeute expliquer en quoi l’adultère n’est pas une anomalie.
« Je vais vous demander de lever la main si vous avez déjà été affecté par une infidélité, que vous en ayez été l’auteur, la victime, la troisième personne, les enfants… » Toutes les mains se lèvent, sauf celle de mon voisin. « Regardez autour de vous… Dites-vous qu’il faut arrêter d’y penser comme à une anomalie », dit Esther Perel.
« Aventure », « fantasme », « désir »

En observant autour de soi, entre les gens qui se sont assis sur les marches de l’escalier de ce loft, on se dit que rien n’indique qu’on est à Paris. Une affiche de la campagne de 2008 de Barack Obama est encadrée au mur près de tableaux modernes mêlant des images de New York. Il y a des cendriers Audrey Hepburn, à côté desquels personne ne fume, des étagères chargées d’œuvres de Gotlib ou de Steve McQueen.
Esther Perel s’adresse à nous en anglais, parce qu’il y a des gens ce soir qui ne comprennent pas le français. « Not tou fast plize », demande quelqu’un. « Vous pourrez poser vos questions dans votre langue, j’en parle neuf », répond Esther Perel. Le journaliste David Goodhart a écrit que le monde se divisait désormais entre les « somewhere » et les « anywhere », les gens de quelque part et ceux de n’importe où. On est clairement ce soir avec ceux qui sont de partout. L’hôtesse de la soirée travaille surtout à New York où elle est « DJ de Fashion weeks ». Si, ça existe comme métier. Le buffet mélange des minibagels et des minihot dogs plantés de petits drapeaux américains, des tomates piquées de drapeaux italiens, du saumon fumé et des blinis.
« Je vais vous demander de balancer des termes qui nous viennent à l’esprit quand on parle d’infidélité… » « Evasion », lance une première voix. Les mots arrivent d’abord timidement. « Aventure ». « Fantasme ». « Désir ». Puis en rafale. « Renaissance ». « Risque ». « Fun ». Quand Esther Perel reproduit cet exercice aux Etats-Unis, elle entend des termes que personne n’a prononcés ce soir : « trahison », « addiction », « mensonge ». Et quand elle prend la parole entre le Mexique et l’Argentine, on lui envoie « passion » et, inévitablement, « vengeance ». En amour, on est toujours de quelque part.
« Ce n’est pas la peur de la mort qui pousse à l’infidélité, mais la conscience de la mort. Quand quelque chose pousse quelqu’un à se demander quelle autre personne il pourrait être. » Esther Perel
Son attachée de presse et son éditrice chez Robert Laffont boivent du petit lait. Après son premier livre consacré au désir au sein du couple, elle a donné une conférence Ted Talks visionnée plusieurs millions de fois. Pour le deuxième sur l’infidélité, elle a eu le génie de faire le show d’abord et d’en extraire un livre ensuite. Elle a créé un podcast « Where should we begin ? » (« par où commence-t-on ? »), fait de montage de consultations de couples. La veille, elle s’entretenait avec les équipes d’un site de rencontres qui souhaitent qu’elle intervienne en tant que consultante, puis montait sur la scène du Théâtre des Mathurins lors d’une soirée organisée par My Little Paris. Esther Perel est une entreprise à elle toute seule, mais elle a le don de le faire oublier. Les journalistes qui l’interrogent finissent immanquablement par lui raconter leur vie. Et l’interview tourne à la consultation.
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« Autrefois, si votre père avait vécu une histoire extraconjugale, vous vous en aperceviez à sa mort en retrouvant des lettres dans les placards. Aujourd’hui, vos enfants cherchent un truc sur votre smartphone et tombent sur un message », note la thérapeute. Elle souligne les attentes irréalistes que l’on fait peser sur son couple, auquel on réclame prévisibilité et aventure, sans prendre conscience de la difficulté à conjuguer les deux. « Ce n’est pas la peur de la mort qui pousse à l’infidélité, mais la conscience de la mort. Quand quelque chose pousse quelqu’un à se demander quelle autre personne il pourrait être. »
La différence entre les Américains et les Français, dit-elle, c’est celle entre ceux qui considèrent que « c’est mal » et ceux qui pensent que « ça fait mal ». Au cours des conférences américaines, elle prévient : « Je sais ce que vous pensez, avec mon accent français, je dois être favorable à l’infidélité. » La Belge n’est ni pour ni contre, juste opposée à l’idée que la transparence soit forcément une vertu.


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