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Quand la corruption prend l’État en otage

jeudi 15 mars 2018 par Charles

La montagne accouchera-t-elle d’une souris ?

Idées & Opinions -

Robert Paret
Depuis l’accession du président Jovenel Moïse au pouvoir, il n’a jamais cessé de clamer haut et fort qu’il ferait de la lutte contre la corruption son principal cheval de bataille. Cette déclaration lui avait valu la faveur de la majorité de la population haïtienne. Même ses opposants avaient cru bon de lui accorder un sursis, tout en le suivant attentivement des yeux. Car, tous les Haïtiens sont unanimes à reconnaître que ce fléau et bien d’autres doivent être combattus parce qu’ils handicapent le développement de la nation.

Lors de son intervention à la tribune des Nations unies, le chef de l’État avait réitéré cette volonté, et sa déclaration avait retenu l’attention. Pour donner plus d’éclat à ses propos, il les avait martelés au quintuple. Une manière de confirmer son inébranlable détermination à combattre ce mal. Bonne note avait été prise par l’Assemblée.
Cependant, nous attendons encore la concrétisation de cet engagement. Du moins, nous espérions voir déjà démarrer les premières actions du gouvernement dans ce sens.
Peine est de constater que malgré les fracassantes déclarations du président rien n’a été fait. On pourrait même dire que la situation s’est aggravée. Car, en dépit de tout, certains individus dénoncés par la clameur publique, par les organismes d’État chargés du contrôle des dépenses de l’administration publique et par la Commission sénatoriale d’enquête courent encore les rues en toute quiétude. Pire, ils affichent leur arrogance par une choquante visibilité et font étalage de biens mal acquis avec une outrecuidance qui n’a d’égale que l’ignorance et la bêtise.
Dans une telle conjoncture, un audacieux pervers peut, en quelques jours, s’endormir pauvre comme Job et se réveiller riche comme Crésus. Sous nos cieux, cela se passe désormais comme une lettre à la poste. Dire qu’il leur arrivera de trouver des avocats assez habiles et aussi malhonnêtes qu’eux pour leur monter un dossier de défense contre toute évidence de culpabilité qu’accompagneront de nombreux moyens dilatoires !
Durant la manne de « Petro Caribe » les certitudes se sont faites encore plus criantes que dans d’autres cas de gabegies administratives auxquelles on nous a habitués. Les malfaiteurs ne se gênant nullement en la circonstance d’afficher leur fortune à tout vent ! Espérant, sans doute, faire croire que leur situation financière n’avait rien à voir avec le gâchis relaté dans la gestion des fonds prêtés par le Venezuela dans des conditions très avantageuses. Comme aurait dit le célèbre journaliste Jean Dominique : « Il ne faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages. » Trop, c’est trop !

N’empêche qu’un grand nombre de fonctionnaires de l’État, de parlementaires et de simples citoyens sont actuellement mis en cause dans des détournements de fonds publics et vaquent normalement à leur occupation sans aucune crainte. Certains se trouvent, selon des informations crédibles, sous la haute protection du pouvoir en place.
De ce fait, d’aucuns pensent que les propos fracassants du président de la République, mille fois répétés, ne sont que des paroles creuses destinées à épater la galerie, pour bercer le peuple d’illusions. D’ailleurs un psychologue me faisait remarquer que la répétition ininterrompue d’un même verbiage cache souvent un traumatisme ou un inconfort.

La mise sur pied de la MINUJUSTH, par l’Organisation des Nations unies dont la mission est le renforcement de l’État de droit en Haïti, devrait être - théoriquement du moins – un mécanisme d’accompagnement des autorités locales en vue de la réhabilitation d’une saine justice en Haïti. Cependant, certaines appréhensions viennent hypothéquer cette éventualité, suite à la décision du gouvernement de prendre à partie la représentante du secrétaire permanent de l’ONU, après que celle-ci ont salué publiquement l’initiative gouvernementale de nommer un juge d’instruction chargé du dossier « Petro Caribe ».
La déclaration de madame Page, de qui relève la MINUJUSTH, au lieu d’être interprétée comme un compliment, lui a valu de vives protestations diplomatiques de la part du gouvernement qui l’accusait même d’ingérence dans des affaires relevant de la souveraineté nationale.

Cet incident provoquera le rappel de l’ambassadeur d’Haïti à l’ONU. La réciproque aurait été menée à l’ONU. Ce qui semble être interprété comme un blâme adressé à madame Page dans les milieux officiels haïtiens. Reste à faire paraître une note officielle de l’institution internationale qui n’a toujours rien dit sur cette décision que le porte-parole de la présidence haïtienne a annoncée publiquement en toute assurance.

Quel sens donner à l’attitude du gouvernement haïtien ?
Méprise ? Jeu politique sournois destiné à dissimuler un malaise ou des craintes en regard de l’analyse de dossiers sensibles par la MINUJUSTH ? Le pot aux roses ! Comme quoi, on pourrait craindre que les yeux de madame la représentante voient trop loin dans les documents et que ses bras, trop longs, atteignent des personnalités politiques ou de la société civile indexées dans des scandales de transactions financières compromettantes ? Nous sommes tous conscients que tout sera mis en œuvre du côté des fautifs pour bloquer l’avancement de la procédure judiciaire. Ne le note-t-on pas, d’une façon évidente, qu’à travers l’imbroglio entretenu au niveau de l’exécutif et du législatif, il existe une incontestable complicité d’intérêts dont le but est de noyer le poisson et rendre impossibles les résultats de la Commission d’enquête sur le dossier de « Petro Caribe » ? D’ailleurs le président Moïse n’a- t-il pas, de son propre chef, opiné sur ce dossier en le traitant d’affaire politique (! ?), au lieu de laisser la justice suivre son cours ? Sa majorité au Sénat ne s’est-elle pas vite pliée à ses injonctions en orientant le compte rendu du rapport selon ses desideratas ? La vigilance du peuple haïtien ne peut être que le seul rempart contre ce genre de manipulation et d’entrave pour que la montagne n’accouche plus d’une souris.
À notre avis, la thèse d’ingérence dans les affaires internes du pays ne tient pas, tant elles ont été multiples et acceptées par la famille politique « Tèt Kale » de l’actuel gouvernement. Qu’on se rappelle la participation de diplomates tels que : Didier Lebret, ambassadeur de France qui portait fièrement ses bracelets roses du temps de la présidence de Martelly ; de Kennet Merten, ambassadeur des Etats-Unis qu’on considérait comme le parrain du président et qui s’est senti habilité à confirmer la nationalité haïtienne du chef d’État ; de Klaus Peter Shick, ambassadeur d’Allemagne qui jouait le rôle de conseiller privilégié de l’ex-président ; de Pamela White ambassadrice des Etats-Unis, qui suivait le président comme son ombre et agissait comme son ange gardien.

Au fait, dans le cas récent de l’insultante déclaration de l’actuel président des États -Unis, Donald Trump, portant atteinte à notre dignité de peuple, ne s’agissait-il pas d’une inqualifiable ingérence ? Le gouvernement haïtien était resté étrangement muet, qu’on s’en souvienne !

Tel est le tableau que présente la République d’Haïti acculée à une situation de précarité et de désastre largement due à la gangrène que représente la corruption. L’éradication de ce fléau, corollaire de l’impunité, doit être l’œuvre de tous les Haïtiens. La reconstruction exige définitivement l’implication de la société civile.

Pèlerin, mars 2018. Robert Paret – roberparett66@gmail.com / paretrobert@yahoo.fr
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