MosaikHub Magazine

Georges Michel, un médecin aux multiples chapeaux

lundi 29 janvier 2018

Portrait de médecins Difficile de dresser le portrait de Georges Michel. Difficile de retenir l’essentiel dans la vie d’un historien qui a vécu, assisté ou subi tant d’évènements dans un pays où la courbe de l’histoire épouse trop souvent le tragique. Le Nouvelliste a pris rendez-vous avec une icône, mais c’est un homme très humble qui a reçu le rédacteur du doyen de la presse haïtienne. À chaque fois qu’il s’adresse au radiologue, c’est le journaliste qui répond. Georges Michel, un médecin aux multiples chapeaux.

National -

Vu de travers, Port-au-Prince a perdu les pétales de sa splendeur, du moins de ce qui en reste à chaque fois qu’une goutte de pluie s’abat sur les toits de cette capitale surpeuplée. Au fond du couloir qui mène au service de radiologie de l’Hôpital français, à la rue du Centre, règne un silence sépulcral. Devant son négatoscope, le Dr Georges Michel interprète le dernier examen.
« Il y a une tendinite, vous avez vu juste », a-t-il dit, soucieux et emballé, à sa collaboratrice.
Pour parler de sa vie, il fait confiance à sa mémoire. « Posez-moi les bonnes questions, vous aurez les bonnes réponses. Les faits sont assez clairs dans ma tête. »
Sa vie professionnelle a certainement commencé en août 1972 aux côtés du feu Jean Léopold Dominique à Radio Haïti Inter avant de rejoindre, en 1975, la Radio Métropole pour animer une chronique historique d’éphémérides.

« J’ai été journaliste avant de devenir médecin », a-t-il mentionné tout en rappelant au passage qu’il a été directeur général de la Radio Nationale d’Haïti.
Le Dr Georges Michel a passé dix ans de sa vie a étudier le droit. Avant, il étudiait la comptabilité et l’informatique. Il est l’un des rares auditeurs haïtiens- parmi les 1 500 vivant un peu partout à travers le monde - de l’Institut des hautes études de défense nationale à Paris, en France. Il est, somme toute, journaliste et historien de carrière.

Au regard de ce parcours vertigineux ponctué d’un véritable tohu-bohu académique, le Dr Georges Michel se débrouille comme on fait avec un puzzle. Il sait le pourquoi de chaque étude. Pour lui, l’historien est le journaliste du passé et, la médecine et le journalisme ont en commun la curiosité qu’ils suscitent. C’est en effet, cette curiosité qui a guidé ses choix.

Tout petit, il savait qu’il allait faire la médecine tant sa passion pour des mystères du corps humain, comme la circulation sanguine, était énorme.
A l’école, le temps semblait suspendu à ses attentes. Chaque année, il s’appliquait à l’étude comme s’il jouait sa carrière.
« J’ai passé 13 ans à l’Institution Saint-Louis de Gonzague, là-bas je tenais la tête de ma promotion. Je m’efforçais d’obtenir les meilleures notes en histoire, français, biologie, chimie, physique, en un mot toutes les matières qui devraient me conduire en médecine », s’est-il rappelé.

Ainsi, en 1973, il est rentré à la Faculté de médecine et de pharmacie (FMP) de l’Université d’État d’Haïti pour un cursus de six ans.
Tout de suite après, soit en 1980, il est rentré au service de radiologie de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, connu également sous le nom de l’Hôpital général.
« J’ai choisi cette spécialité parce que c’est une spécialité vaste et tranquille. Vaste, parce qu’elle vous permet de rester en contact avec toutes les autres spécialités. Tranquille, cela me donnait du temps pour organiser ma vie », a-t-il confié.

Depuis qu’il a obtenu son certificat de résidence en 1982, il a offert son service et sa compétence là où le destin et la force des choses l’emmenaient. D’abord au centre materno-infantile de Bon-Repos, puis au service de radiologie à la maternité Isaïe Jeanty de Chancerelles avant de devenir le responsable académique de la formation des résidents à l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, cela fait déjà 16 ans.
Particulièrement intéressé à la transmission du savoir, il enseigne à l’Université Quisqueya, à l’Université d’État d’Haïti, et à l’Université Notre-Dame d’Haïti. Aussi, a-t-il souligné, il enseignait l’histoire militaire à l’Académie militaire, un cours qu’il souhaite éperdument pouvoir réintroduire dans le cursus de formation de la nouvelle armée.

Membre de quatre commissions présidentielles sur la question de l’armée, ancien constituant dans l’élaboration de la Constitution de 1987 dont il dénonce l’amendement « frauduleux » Le Dr Georges Michel, après avoir côtoyé tant de présidents, ne souhaite pas que son nom soit resté dans l’histoire comme un homme de pouvoir.

« Comme je l’avais dit à un ambassadeur américain, le pouvoir, vous le gagnez pour le perdre aux prochaines élections, tandis que l’influence, vous la gardez la vie durant. Je préfère avoir de l’influence », a expliqué l’historien Georges Michel.
Comme c’est le cas pour de nombreux médecins, son meilleur souvenir se résume aux vies qu’il a pu sauver. A ses yeux, rien ne vaut un tel privilège. Son pire souvenir est, sans coup férir à imaginer, les vies qu’il n’a pas pu sauver, notamment celle de sa femme morte en 2017. Pour la postérité, il veut que son nom soit retenu comme un « nationaliste » qui voulait des soins de santé de base pour chaque Haïtien.

« Je n’ai jamais eu l’envie de pratiquer la médecine à l’étranger. Pourquoi ailleurs ? Quand j’ai envie de manger un McDonald’s, je prends un avion pour New York, ensuite je retourne pour servir mon pays », dit-il pince sans rire.

Au bout du compte, Georges Michel- bien qu’il soit un intellectuel médiatique et médiatisé- a su mener une vie reluisante. Son histoire aurait pu s’expliquer à rebrousse-poil, cela n’aurait rien altéré dans l’air, encore moins dans la chanson. Et pourtant, il est difficile d’en parler.

À chaque phrase, l’auditeur attentionné passe du désaccord absolu à l’accord enthousiaste. D’une part, il est très exigeant et veut que chaque mot soit enregistré et écrit dans son contexte spécifique, d’autre part, il est coopérant.
C’est à la portée de tous les médecins de se rappeler la date de leur graduation, mais le Dr Georges Michel se rappelle le nom de tous les étudiants, leurs spécialités, les moindres détails de leurs vies ici et ailleurs.

Il se rappelle le lieu, la date et le nom d’un officier d’immigration qui lui avait demandé, il y a plusieurs décennies, comment est-il possible qu’il soit à la fois médecin et journaliste dans son pays.
A cette question, il se rappelle avoir répondu : « C’est une double opportunité qui m’oblige à servir de deux façons différentes mon pays. »
Georges Michel est une bibliothèque vivante qui conserve des tonnes d’histoires dans sa mémoire. Il faut tout écouter pour les analyser ensuite, pour peu que l’histoire reste et demeure ce miroir du présent qui reflète les rayons du futur.
Cependant, force est de constater que le Dr Georges Michel est confiné dans un éternel apprentissage. On a beau l’écouter à la radio, le regarder à la télévision et lire ses 16 ouvrages, il faut nous habituer à l’idée qu’un jour il s’en ira sans en avoir tout dit comme Jean d’Omersson et Aragon avant lui.

Claudy Junior Pierre pclaudyjunior@yahoo.fr
Auteur


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie