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Migration & Développement

OCDE : « la diaspora haïtienne incarne une migration réussie, qui peut contribuer au développement du pays »

vendredi 26 janvier 2018

Malgré des tentatives fragmentées de la part des gouvernements haïtiens d’élaborer des programmes s’appuyant sur certains éléments des migrations, il n’y a pas à ce jour de stratégie systématique, ni de politique spécifique, pour orienter et institutionnaliser des efforts qui permettraient de prendre en compte le phénomène migratoire.

National -

Le constat est sans appel. C’est ce qui ressort du rapport publié récemment par l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) qui traite de l’évolution des migrations en Haïti et examine les travaux de recherche actuels sur les liens entre migrations et développement.
Ce rapport dresse également un tableau d’ensemble des migrations en Haïti. Il donne un aperçu de l’historique et des tendances actuelles de la migration en montrant quelles sont les raisons des migrations, qui sont les immigrés et les émigrés, et les pays de destination.
Haïti est un pays d’émigration nette : une part significative de sa population
vit à l’étranger. On estime que c’était le cas de 1,2 million d’Haïtiens en 2015, soit plus de 11 % de la population. Les principales destinations d’émigration sont les États-Unis, qui accueillent près de la moitié des émigrés haïtiens, la République dominicaine, le Canada et laFrance.
« Aujourd’hui, la diaspora haïtienne incarne une migration réussie, qui peut contribuer au développement du pays, mais cela n’a pas toujours été le cas », avance l’OCDE soulignant au passage que l’un des grands défis pour Haïti est de parvenir à mieux gérer les migrations et à les mettre davantage au service du développement.
Pour qu’un pays comme Haïti puisse formuler des politiques solides, qui soient à même de renforcer les interactions entre migrations et développement, les pouvoirs publics et les parties prenantes doivent être guidés par des données fiables et par des analyses reposant sur des éléments factuels. Or, ces données et ces analyses sont quasiment inexistantes dans le cas d’Haïti.
Néanmoins, la vague d’émigrés haïtiens continue d’augmenter
Haïti est un pays d’émigration nette, avec un stock d’émigrés qui s’accroît. Le stock total d’émigrés, et le stock d’émigrés en pourcentage de la population, ont augmenté au cours des dernières décennies. En 1990, il avoisinait 520 000 (7,4 % de la population). L’instabilité politique, l’oppression économique et/ou les catastrophes naturelles ont amplifié les flux d’émigration.
D’après les données des Nations unies sur la population, les États-Unis sont le premier pays de destination. Le deuxième pays de destination est la République dominicaine. Viennent ensuite le Canada et la France. Les autres grands pays de destination sont des pays voisins : Guadeloupe, Bahamas et Guyane française.
En 2010, au lendemain du tremblement de terre, de nouveaux schémas migratoires sont apparus. Sur une période de cinq ans (2010-15), 40 000 Haïtiens ont émigré au Brésil (dans l’État de l’Acre), en Bolivie et au Pérou. Entre 2010 et 2016, quelque 80 000 Haïtiens se sont établis dans plusieurs grandes villes du Brésil après avoir obtenu un visa humanitaire délivré par l’ambassade brésilienne à Port-au-Prince. Le Brésil est ainsi devenu le sixième plus important pôle de migration.
En 2014, lorsque le Brésil a connu une crise politique et socioéconomique, certains Haïtiens sont restés dans ce pays, mais, pour beaucoup d’autres, celui-ci est devenu un simple point de passage pour émigrer en Amérique du Sud (notamment au Chili et en Guyane française) ou aux États-Unis. Néanmoins, en janvier 2017, plus de 4 500 Haïtiens qui se trouvaient dans des villes frontalières du Nord du Mexique attendaient de pouvoir entrer aux États-Unis.
Pendant le XXe siècle, les migrations en provenance d’Haïti se composaient d’une catégorie spécifique de migrants fuyant la répression politique ou la crise économique : l’élite économique (du milieu des années 50 aux années 60), les travailleurs (années 60 et 70), et la population urbaine et rurale pauvre (depuis les années 70).
États-Unis, bastion de la diaspora haïtienne
Actuellement, ce sont les États-Unis qui comptent la plus importante population haïtienne émigrée, et cette population ne cesse de croître. Selon les données de l’U.S. Census Bureau (2010), elle s’est accrue de 60,8 % entre 2000 et 2010. En 2010, elle était estimée à 881 488 personnes (y compris celles nées aux États-Unis d’un parent haïtien), soit 0,3 % de la population totale des États-Unis.
En 2012, les estimations faisaient état de 664 000 migrants d’origine haïtienne vivant aux États-Unis. Ces chiffres sont toutefois contestés en raison de l’ampleur de l’immigration illégale : certains évaluent entre 1 et 2 millions le nombre d’Haïtiens vivant aux États-Unis.
Les données de 2010 de l’U.S. Census Bureau indiquent que cette population se concentre, à près de 80 %, dans trois États : la Floride, l’État de New York et le Massachusetts. La Floride affiche le pourcentage d’Haïtiens le plus élevé (48,1 %), contre 21,6 % dans l’État de New York et 8,3 % dans le Massachusetts.
En 2012, les Haïtiens vivant aux États-Unis ont envoyé dans leur pays natal plus de 1 milliard USD de fonds. C’est environ quatre fois plus que le volume envoyé par les Haïtiens vivant en République dominicaine.
Quid du TPS ?
Le statut temporaire protégé (TPS), accordé par le Département de la Sécurité intérieure des États-Unis aux Haïtiens, légaux et illégaux, qui étaient entrés dans le pays avant le 12 janvier 2010, était censé atténuer le fardeau humanitaire pesant sur Haïti, avec la possibilité, par le biais des transferts de fonds, de contribuer à la reconstruction du pays.
Cependant, aucune étude détaillant son effet sur l’économie, sur les efforts de reconstruction ou sur le processus de développement en Haïti n’a été menée à ce jour. Pour certains spécialistes, le TPS constitue « une forme d’assistance économique plus stable que les investissements étrangers ou que l’aide publique ».
À l’époque où le TPS a été mis en place, les projections de la Banque mondiale indiquaient qu’il génèrerait 300 millions USD d’envois de fonds supplémentaires au profit d’Haïti, et jusqu’à 1 milliard USD s’il était prolongé.
Canada ou ce besoin sans cesse de main-d’œuvre qualifiée
L’oppression politique a incité de plus en plus de travailleurs haïtiens à émigrer au Canada, où la plupart ont trouvé un emploi d’enseignant dans le secondaire. On dénombrait ainsi 19 316 Haïtiens au Canada en 1963, et 53 587 en 1967.
D’après les chiffres communiqués par le Canada, l’émigration haïtienne dans ce pays a pour l’essentiel eu lieu au cours des trois dernières décennies du XXe siècle. En 2012, le nombre d’émigrés haïtiens au Canada était estimé à 74 000, et le volume des transferts de fonds à plus de 131 millions de dollars américains.
Les Haïtiens émigrés en République dominicaine sont pour la plupart vulnérables et peu qualifiés
La République dominicaine est aussi la deuxième plus importante source de transferts de fonds à Haïti, avec un total de 258 millions USD en 2012. Cependant, l’utilisation de réseaux informels ou clandestins pour ces transferts de fonds explique, là encore, les écarts de chiffres. Comme les données relatives à la population, le volume réel des envois de fonds est donc sous-estimé.
Les Haïtiens qui décident de migrer dans la région font partie des moins instruits et affichent un faible niveau de qualifications, ils se retrouvent le plus souvent à travailler comme ouvriers dans les pays insulaires de destination et sont par conséquent très vulnérables. Ils sont victimes d’abus de la part des employeurs, de violations de leurs droits fondamentaux, et sont constamment sous la menace d’une expulsion.
C’est tout particulièrement le cas des migrants haïtiens en République dominicaine. Malgré la xénophobie et le rejet dont ils étaient l’objet (et dont ils sont victimes encore aujourd’hui), les Haïtiens continuent d’émigrer illégalement à la recherche d’opportunités d’emploi.
Haïti a fourni à la République dominicaine une main-d’œuvre non qualifiée et bon marché, et reçu des millions de dollars de transferts de fonds. À la suite du séisme de 2010, de plus en plus d’Haïtiens ont franchi la frontière poreuse entre les deux pays, la plupart illégalement, si bien que l’on ne connaît pas précisément leur nombre.
Cependant, d’après les estimations de Sigfrido Pared Perez, qui dirigeait alors le bureau des migrations en République dominicaine, la population migrante haïtienne a augmenté de 15 % à la suite du tremblement de terre de 2010. La majeure partie de cette population migrante participe à des activités informelles, et souvent clandestines.
En 2003, par exemple, les estimations du nombre d’Haïtiens vivant en République dominicaine allaient de 600 000 à 1,5 million, et ces écarts de chiffres étaient dus, dans une large mesure, au fait que beaucoup de travailleurs haïtiens avaient franchi illégalement une frontière poreuse et n’étaient donc pas officiellement recensés. Il est toutefois indéniable que les Haïtiens constituent la catégorie d’émigrés la plus nombreuse en République dominicaine : les estimations du pourcentage de cette population migrante vont de 78,8 % à 87,3 %.

Patrick Saint-Pré
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