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1681 : Le nègre est un meuble (code noir) ; 2018 : Le nègre est une merde (Donald Trump)…

mercredi 17 janvier 2018

National -

Les propos outrageants du président des États-Unis ne m’ont pas surpris. L’insulte étant l’argument des ignares. Ma surprise aura été la réaction d’Haïtiens, profitant des insanités racistes de Donald Trump, pour régler, à visière levée, leurs comptes avec leur société, leurs compatriotes, finalement, avec eux-mêmes.

Ce débordement d’aigreur et d’autoflagellation m’a interpellé. Ont-ils pris la mesure des paroles du président avant d’ applaudir et d’en faire l’écho ?
Ceci ressemble à la culpabilisation de la jeune fille violée, légitimant le violeur. La victime qui mériterait donc le sort que lui inflige son bourreau.
Tous les frustrés se sont donnés la main. Les lavalassiens déçus, les mécontents de la situation chaotique du pays, les dénigreurs des masses haïtiennes, les antibourgeois, les duvaliéristes nostalgiques, les anti-tèt kale, et autres calomniateurs d’Haïtiens et d’Haïti, à temps perdu…
Revenons aux propos utilisés : « Shithole », littéralement, « trou de merde », dans un trou de merde, on retrouve évidemment, la merde. De tels propos révèlent chez le patient, pardon, chez le président, ce que Freud qualifierait d’un tempérament anal… Évidemment, il visait les habitants de ces pays qu’il dit ne pas vouloir recevoir aux USA… Il nous considère tous comme des déchets, de la chiure… Nous, tous ! Ces millions d’hommes et de femmes haïtiens, latino-américains et africains, bref, presque tout ce qui n’est pas blanc…
Ce sont des propos viscéralement et indiscutablement racistes ! avant toutes autres considérations ; traitons-les comme tels, rejetons-les et condamnons-les ! Arrêtez de vous faire hara-kiri !
Le raciste, c’est connu, est dans le déni d’humanité envers le racisé. Le raciste ne vous déteste pas parce que vous n’êtes pas "bon" mais parce qu’il s’est construit dans sa tête une image malsaine de vous. Idée bien résumée par Carole Reynaud-Paligot, « le processus de racialisation consiste à assimiler l’individu à un groupe homogène dont les caractéristiques sont figées, uniformisées et dévalorisées(...) un groupe dominant active certaines catégories dans le but de les rejeter hors de la communauté ».
Le code noir promulgué en mars 1685 par Louis XIV venait légaliser le racisme et l’esclavagisme. Cet acte politique faisant suite à une publication qui suggérait le nouveau paradigme des races humaines, une trentaine d’années auparavant de Isaac la Peyrere. C’était dorénavant le divorce avec l‘idée jusqu’alors acceptée de l’origine unique de l’humanité. Il fallait construire les races pour justifier la traite des nègres d’Afrique. Avant, la tribu, la peuplade, et notamment la religion étaient les principaux critères d’identification.
Les bases de la division humaine en races étaient posées. Gobineau, au dix-neuvième siècle (1853), paracheva le mensonge de la race inférieure avec objectif de justifier la parcellisation et la colonisation de l’Afrique avec son essai. "De l’inégalité des races humaines" auquel Anténor Firmin sera une des rares voix de l’époque à répondre (en 1885). Dans" De l’égalité des races humaines", Chaque guerre,chaque crime de l’humanité a sa justification idéologique.
De plus, les pays de merde ou leurs opposés, pays de rêve, sont des concepts subjectifs, qui ne peuvent exister qu’en pensée. En réalité, nous idéalisons selon des critères rattachés aux intérêts des groupes qui lancent la propagande. Saint-Domingue, la plus rentable colonie du monde, fierté de la France et convoitise des autres puissances impérialistes, fut qualifié « perle des Antilles » au XVIIe siècle par la métropole française, pour sa production sucrière. Pourtant aux yeux des colons blancs cette perle n’était qu’une colonie, outrageusement et injustement exploitée par la métropole à son avantage. Du point de vue des mulâtres et des affranchis, Saint-Domingue était plutôt une société inégalitaire qui leur refusait l’accès aux mêmes droits et privilèges que les blancs. Quant aux centaines de milliers d’esclaves, cette perle les faisait royalement chier, car ils se sentaient traités comme la coquille vide qu’on rejette, après que l’on se soit emparé du contenu…
Certes, en 2018 nous tirons de l’arrière. Nous n’avons pas fait mieux en 214 ans d’indépendance que de maintenir une société d’exclusion et de misères, modélisée sur l’époque coloniale, par des « choix imposés » ou délibérés. Notre système distinguant et séparant l’élite des masses d’anciens esclaves fut la genèse de cette cassure dont nous cherchons encore à recoller les morceaux aujourd’hui. Au lieu d’un pays, nous avons créé un paradoxe.
Haïtiens, Haïtiennes, si nous voulons sortir du moyen-âge, projet légitime et urgent, Trump ne saurait être notre inspiration. À ses disciples haïtiens, je dis : changez de maître. Les causes de notre sous-développement sont complexes. Heureusement, certains auteurs ont compris la nécessité de les décortiquer et de nous proposer leurs explications. Lisez quelques-uns comme Gérard Barthelemy, une recherche minutieuse et approfondie ; Thomas Madiou, la meilleure version de l’histoire d’Haïti ; Roger Gaillard, le plus pertinent analyste historique ; Michel Soucar dont le sarcasme n’enlève rien à sa rigueur ; Roumain, le bourgeois le plus sensible à la cause paysanne ; Laënnec Hurbon, un auteur qui ne fait aucun compromis avec la médiocrité. Évidemment, cette liste est non exhaustive.
Il est évident que notre pays est dans un état lamentable. Il est plus qu’urgent d’y remédier. Mais abordons nos défis avec sérénité et solidarité, comme l’Allemagne et le Japon de l’après-guerre.
Les humains ont progressé depuis l’antiquité. Nous avons fait des conquêtes scientifiques, nous avons vaincu certaines maladies ravageuses, les droits sociaux sont de plus en plus reconnus. Mais la race humaine, dans une perspective planétaire, est encore à l’état primitif, en quête de son humanité. Cela n’en fait pas une planète de merde, dans la dimension cosmique.
Notre terre est menacée de destruction nucléaire et de catastrophe écologique... Nous avons choisi au niveau mondial un système de valeurs qui place le bonheur dans l’accumulation matérielle et la course à l’armement pour la protéger. Or, la surprise est que la quête de la richesse tue plus que la pauvreté. Même le suicide se porte mieux chez les riches.
La plus grande ironie est que les responsabilités de cette possible et de plus en plus probable échec collectif reviennent aux quelques pays de rêve, de la planète. Ce sont les analyses de l’ONG OXFAM qui le précisent dans un rapport intitulé : « What happened to the seasons ? ». Cette étude démontre chiffre à l’appui l’impact désastreux des catastrophes naturelles causées par les pays riches sur ceux-là que Trump qualifie de « shithole country ». L’ONU renchérit en annonçant que les effets de la course incontrôlée aux richesses de ces pays causeront 3 fois plus de désordres écologiques, a l’orée de 2030.
Et les conséquences se répercuteront, de cette manière, sur les pays moins avancés :
- Destruction de récoltes et insécurité alimentaire ;
- Sécheresse et rareté d’eau potable ;
- Pauvreté renforcée et immigrations forcée.
La prochaine vague de migration sera des "réfugiés climatiques". Autrement dit, les « pays de miel » contribuent largement à foutre la planète dans la merde.
Je ne vous invite pas à leur lancer la première pierre. Ce n’est pas la solution. Nous sommes UN. Une race humaine faisant l’expérience de la vie matérielle dans le même vaisseau, la Terre. Chaque pays en est les cabines indépendantes. Nous ne pouvons réussir le voyage que collectivement, dans une atmosphère de collaboration et de respect réciproque.

Aly Acacia
Auteur


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