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Rivière Grise/Irrigation/USAID

mercredi 17 janvier 2018

Barrage Bassin général : des millions de dollars « gaspillés », selon Rudolphe Boulos
Plus de huit millions de dollars américains ont été injectés par l’USAID dans la construction d’un barrage en palplanches sur la rivière Grise, en 2014, à hauteur de Bassin général, à Dumay, section communale de Croix-des-Bouquets. Avec la dégradation accélérée du bassin versant ayant provoqué l’élargissement du lit de la rivière, le barrage a cédé peu après sa mise en service. Des travaux temporaires du MARNDR -nonobstant les brèches du canal principal- permettent à des milliers d’agriculteurs d’avoir accès à l’eau de la rive droite dont le débit a fortement diminué au cours des ans. Sans détour, Rudolph Boulos, agriculteur, qui appelle à des travaux plus conséquents à Bassin général, a estimé que l’argent a été « gaspillé », « gagote ».

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A Dumay, sur la rive droite de la rivière Grise, non loin de la vanne de prise, entre plusieurs dizaines de mètres linéaires de gabion estampillés MARNDR, USAID Haïti et un monticule d’alluvions dressé temporairement, l’eau, à un débit faible, moins de 0,40 mètre de haut en ce début de janvier 2018, s’écoule vers le canal principal. Dans le lit de la rivière dont l’élargissement au fil des ans raconte la dégradation avancée des bassins versants en amont, il y a des palplanches métalliques. Ces palplanches renversées ont été placées dans le cadre de travaux de barrage effectués en 2014, financés par l’USAID à hauteur de plus de 8 millions de dollars, exécutés par Winner, projet de Chemonic’s International.
Plusieurs riverains interrogés, dont Rita Désulmé, agricultrice, et Jean Jacques, éleveur et agriculteur, le barrage fait avec ces palplanches a cédé quelques mois après son installation. « Pour retenir l’eau, il faut un ouvrage de qualité. Les palplanches n’ont pas assez de force pour contenir la rivière en crue. Encombré de sédiments, le système construit par l’USAID n’a pas donné de fruit », a confié au journal Lionel Vilière, qui s’est présenté comme un technicien de la direction départementale de l’Ouest du ministère de l’Agriculture. Pour parer au plus pressé, c’est le ministère de l’Agriculture, dans le but de permettre aux agriculteurs de planter le pois d’hiver, qui a effectué les travaux temporaires, une sorte de digue d’alluvions pour canaliser l’eau qui sert « à mouiller 4500 hectares ».
L’agriculteur Rudolph Boulos, en porte-parole de l’Association des irrigants de la rivière Grise (AIRG), a descendu en flammes l’USAID. « Ce n’est pas normal que dix millions de dollars du peuple américain, donnés au peuple haïtien à travers l’USAID soient ainsi gaspillés », a-t-il balancé, soulignant que « l’ingénieur du ministère de l’Agriculture avait prévenu que ce qui allait être fait ne tiendrait pas ». « Ceux qui ont exécuté ces travaux savaient », a martelé Rudolph Boulos, soulignant qu’il y a des choses plus « graves ». « J’ai été à Washington au mois de juillet au nom de l’Association des planteurs de la rivière Grise. J’ai parlé à des ingénieurs de l’USAID qui m’ont dit que le dessin qu’a exécuté cette entreprise a fait ce qu’elle devait faire. J’ai demandé quoi ? Elle a échoué. C’est normal », a rapporté Rudolphe Boulos. « Les ingénieurs de l’USAID m’ont dit exactement ce que les ingénieurs du ministère de l’Agriculture ont dit en ce qui concerne ces travaux. Tout ce qu’ils ont fait ici n’aurait jamais pu tenir », a poursuivi Rudolph Boulos, estimant que « le gouvernement américain ne peut pas permettre qu’un tel gaspillage (gagote), qu’un scandale pareil se produise sans inspecter le travail fait par Chemonic’s ».
Il a indiqué que le gouvernement américain devait envisager de mettre un ou deux millions de dollars pour faire ces travaux selon les instructions des ingénieurs du ministère de l’Agriculture. Il faut aussi que l’État prenne ses responsabilités, qu’il a prise en partie en faisant une action temporaire pour sauver la récolte d’hiver de pois, de calalou, d’épinard, fouiller et remettre en condition le bassin général enfoui sous des tonnes d’alluvions. Sans oublier, a-t-il insisté, de faire des travaux de préservation des bassins versants en amont, de sécurisation et d’entretien des infrastructures du barrage une fois réhabilitées. 10 000 agriculteurs, soit quelque 50 000 personnes, dépendent du système d’irrigation du Bassin général, a indiqué Rudolph Boulos. Leurs activités génèrent autour de 10 millions de dollars de revenus directs. « Sans eau, les agriculteurs n’auront pas un sous », a-t-il poursuivi.
« Quand Winner est venu, ils ont voulu faire un travail plus durable… Pour faire ce travail plus durable, il n’y a pas beaucoup de choix. Soit on refait le barrage, ce qui coûterait très cher. Il y a toujours des études pour faire le barrage mais il n’y a jamais d’argent pour le faire. La solution prise a été de faire un barrage avec des palplanches posées de manière transversale dans le lit de la rivière pour que l’eau de la rivière rentre directement dans le canal primaire. Avec la dégradation du bassin versant, le lit de la rivière s’est élargi et les palplanches ont plié. Elles n’ont pas pu contenir la force de la rivière. A ce moment-là, le travail a raté son objectif. Quand même il y a une petite quantité d’eau qui est entrée dans le canal principal, a confié au journal l’agronome Jean André Victor dont la dernière visite à Dumay remonte à un mois. Les gens se plaignent de ne pas avoir de l’eau pour planter des haricots. Quand vous regardez, il y a suffisamment d’eau qui entre. Il y a un problème dans la distribution. Quand le canal primaire est abîmé à plusieurs endroits, cela crée des inondations. La population se plaint. Elle accuse les autorités locales. Celles-ci disent qu’elles n’ont aucun intérêt à faire, a expliqué l’agronome Jean André Victor, qui souligne qu’avec le temps, la rive droite de la rivière Grise a perdu 50 à 60 % de son débit. Il n’y a pas de manifestations parce que la plaine du Cul-de-sac est urbanisée. Il y a moins de demandes. Ceux qui se plaignent sont ceux qui font des cultures rapides d’épinard, de pois... Il y avait des pompes pour pallier le manque d’eau, il n’y a pas d’électricité, à Dumay, haut et bas Babohen, a indiqué l’agronome Jean André Victor, qui souligne que cela constitue un vrai problème pour ceux qui vivent de l’agriculture.
Le Bassin général est l’un des derniers systèmes d’irrigation de la colonie. Il n’a pas pu être inauguré. Après un siècle, l’ingénieur Nau avait demandé qu’il soit utilisé, mis à contribution, au service des agriculteurs, a indiqué Jean André Victor, qui souligne que « jusqu’à aujourd’hui l’État n’a jamais mis un sous dans le budget pour l’entretien et la conservation du système ». « Il y a plus de cinquante ans, quand j’étais étudiant, le bassin général était enfoui sous des mètres de sable, a expliqué l’agronome Victor. Cependant, à cette époque, l’eau de la rive gauche de la rivière Grise arrivait à Damien, à Sarthe. Elle était alimentée par un siphon aujourd’hui bouché. Aujourd’hui, il n’y a plus d’eau sur la rive gauche. Il ne reste que la rive droite », a déploré Jean André Victor, plus de cinquante ans d’expérience au compteur.
Jean Robert Estimé, responsable de Winner, contacté par le journal lundi, n’a pas souhaité faire de commentaire. Ses instructions consistent à référer le journal à l’USAID pour avoir toutes les informations, en communiquant, lundi, un e-mail d’un employé de l’USAID. Le journal n’a pas encore eu de retour de l’e-mail envoyé la semaine dernière au bureau des affaires publiques de l’ambassade américaine pour obtenir un commentaire de Gene Thomas, responsable de l’USAID en Haïti.
Roberson Alphonse

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