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Elections en Catalogne : un scrutin aux multiples inconnues, dans une région très divisée

jeudi 21 décembre 2017

Le pourcentage élevé d’indécis et la forte participation attendue pourraient faire basculer, jeudi, les résultats d’un côté ou de l’autre. Ou rendre la région ingouvernable.

Une Catalogne fatiguée a commencé à voter, jeudi 21 décembre, lors d’élections régionales exceptionnelles convoquées par le gouvernement de Madrid dans le cadre de la mise sous tutelle de la région. Fatiguée par trois mois de tensions et par les profondes divisions de la société catalane. Fatiguée mais très mobilisée, car on s’attend à un taux de participation qui pourrait dépasser les 75 %. Les bureaux de vote ont ouvert à 9 heures et fermeront à 20 heures.
Les sondages, très serrés, annoncent un coude à coude entre les blocs indépendantistes et non indépendantistes. Mais le pourcentage élevé d’indécis, de plus d’un quart des votants, et la forte participation attendue, pourraient faire basculer les résultats d’un côté ou de l’autre. Ou rendre la Catalogne ingouvernable.
Le contexte
La coalition indépendantiste qui a pris le pouvoir en Catalogne après les élections de septembre 2015 a bravé la Constitution espagnole pour organiser un référendum d’autodétermination illégal le 1er octobre. Le 27 octobre, la majorité indépendantiste a proclamé l’indépendance au Parlement catalan de la « République catalane ».
Immédiatement, le Sénat espagnol a voté l’application de l’article 155 de la Constitution, qui permet la mise sous tutelle des régions rebelles. Le gouvernement de Mariano Rajoy a aussitôt destitué l’ensemble de l’exécutif régional, pris le contrôle de la Catalogne et annoncé la convocation d’élections anticipées le 21 décembre.
Trois jours plus tard, la justice espagnole a mis en examen pour « rébellion, sédition et malversation de fonds publics » les membres du gouvernement catalan. La tête de liste de la Gauche républicaine catalane (Esquerra Republicana de Catalunya, ERC), Oriol Junqueras, est en prison préventive. L’ancien président catalan Carles Puigdemont, candidat de la liste Ensemble pour la Catalogne, a fui en Belgique, d’où il se présente toujours comme le « président légitime » de la région. Le Tribunal suprême espagnol a toutefois finalement retiré, le 5 décembre, le mandat d’arrêt international qu’il avait émis à son encontre.

Que disent les sondages ?
Les sondages de ces dernières semaines sont presque unanimes : ils dessinent une Catalogne ingouvernable, où Oriol Junqueras, le vice-président catalan déchu qui dirige le parti ERC, recueillerait autant de voix que la formation de centre droit antinationaliste et « unioniste » Ciudadanos, sans qu’aucun des deux partis ne soit en mesure de remporter une majorité absolue. Deux blocs, pour ou contre l’indépendance, semblent se dessiner, avec un pourcentage de près de 45 % des voix chacun. Au milieu, la coalition de la gauche radicale Catalunya en Comu-Podem, qui refuse d’adhérer à l’un ou l’autre de ces blocs, pourrait jouer les arbitres.
Mais après deux semaines de campagne où les deux blocs ont martelé les mêmes arguments pour ou contre la sécession, jouant sur la peur du « 155 » pour les indépendantistes ou la « voie sans issue » d’une république catalane pour les « constitutionalistes », personne n’ose faire de pronostics.
« En tant que politologue je peux vous dire en toute certitude que personne n’a aucune idée de ce qui va se passer jeudi, la meilleure chose est de s’armer de patience et d’aller voter », tweetait, mercredi, l’analyste Roger Senserrich du think tank Politikon.
Les forces en présence
Le scrutin de jeudi va permettre de mesurer le poids réel du mouvement indépendantiste catalan. Pour Carles Puigdemont, « il n’y a pas de plan B » et le choix est clair : lui ou le premier ministre Mariano Rajoy. L’ancien président ne demande qu’une chose, « le retour du gouvernement légitime », même si sa formation Junts per Catalunya (Ensemble pour la Catalogne), créé à sa mesure pour ce scrutin, ne l’emporte pas. Sa victoire serait un camouflet pour M. Rajoy, qui l’a destitué.
Pour la Gauche républicaine il s’agit de « continuer à construire la république » déclarée unilatéralement le 27 octobre, même si le parti sécessionniste a depuis quelque peu nuancé son message en laissant notamment entendre que des discussions « bilatérales » étaient possibles avec Madrid.
La Candidature d’union populaire (CUP), formation révolution d’extrême gauche, est la seule à défendre de continuer à implanter la République catalane de manière « unilatérale ». Elle accuse ses anciens alliés parlementaires sécessionnistes d’avoir renoncé à se séparer de Madrid. « Si nous faisons preuve de la moindre hésitation, ils nous annihileront et nous dénigreront en tant que peuple », a déclaré lors d’une réunion publique le candidat de la CUP, Pere Vidal Aragonés.
Dans le camp favorable à l’union avec l’Espagne, Ciudadanos et sa candidate Ines Arrimadas veulent en finir avec la possibilité d’une indépendance catalane. S’ils venaient à gagner, cela bouleverserait l’échiquier politique catalan. Le nationalisme domine en effet en Catalogne depuis quarante ans et la région n’a eu qu’un président non nationaliste, José Montilla, un socialiste, par le jeu d’alliances.
« Nous allons nous réveiller de ce cauchemar », a lancé Mme Arrimadas en parlant de la sécession qui a fait fuir plus de trois mille entreprises, qui ont transféré leur siège social hors de la région. « Ça va se jouer à une poignée de voix, personne ne peut rester chez soi », a-t-elle insisté lors de son dernier meeting.
Le candidat du Parti socialiste de Catalogne (PSC), Miquel Iceta, estime également que « le processus [d’indépendance] est loin d’être fini » et que « tout peut empirer » si les sécessionnistes gagnent les élections.
Le Parti populaire catalan s’attend à une chute électorale brutale qui pourrait le réduire à un rôle de figuration au parlement régional, avec près de 5 % des voix, raison pour laquelle M. Rajoy a participé activement à la campagne ces derniers jours.

Dans un bureau de vote dans le quartier de Gracia, à Barcelone, le 21 décembre. GEORGES BARTOLI / DIVERGENCE POUR "LE MONDE"
Qui l’emportera chez les indépendantistes, Puigdemont ou Junqueras ?
Au sein du camp indépendantiste, les couteaux sont tirés et les attaques fratricides se sont multipliées durant les derniers jours de la campagne. Le principal dirigeant indépendantiste emprisonné, Oriol Junqueras, a lancé lundi, sans le nommer, une flèche en direction de Carles Puigdemont, exilé à Bruxelles, en déclarant qu’il était resté en Catalogne parce que lui refusait de se cacher. « Je ne me cache pas parce que j’assume ce que je fais, j’assume mes actes, mes décisions, mes sentiments et ma volonté », a-t-il déclaré dans une interview accordée depuis la prison d’Estremera, près de Madrid, à la radio catalane Rac 1. Ce à quoi M. Puigdemont a répondu qu’il avait, lui, choisi « d’affronter la justice européenne ».
Tous les sondages donnent M. Junqueras en tête du bloc indépendantiste, ce qui pourrait compliquer la formation d’un gouvernement séparatiste, car pour M. Puigdemont, les élections doivent servir à restaurer son gouvernement et en former un nouveau reviendrait à « légitimer le 155 ».
L’opération « Borgen » du PSC
Miquel Iceta, tête de liste du Parti socialiste catalan (PSC), sait bien que les sondages ne lui donnent qu’une quatrième place, derrière les deux formations indépendantistes et le parti de centre droit Ciudadanos, mais il estime qu’en cas de blocage, il serait le seul à réunir suffisamment d’appuis pour former un gouvernement.
C’est ce qu’il appelle l’« option Borgen », du nom de la série danoise dans laquelle la chef d’une petite formation centriste devient première ministre, car elle est la seule capable de rassembler suffisamment de soutiens.
Il pourrait essayer de gouverner avec la formation Catalunya en Comu-Podem et le soutien externe de Ciudadanos et du Parti populaire (PP), si le bloc « constitutionnaliste » ne parvient pas à obtenir la majorité absolue.
Pour Mariano Rajoy, un pari très risqué
En convoquant des élections régionales, le 27 octobre (les troisièmes depuis 2012), M. Rajoy a voulu « restaurer la légalité » en Catalogne et prendre de cours les indépendantistes, un pari très risqué, d’autant plus que le chef du gouvernement n’a pas su capitaliser les dividendes politiques de la mise sous tutelle de la région. C’est son grand rival, Ciudadanos, qui dès le début de la crise avait demandé le déclenchement de l’article 155, qui a réussi à se présenter comme le défenseur de l’unité de l’Espagne.
C’est pourquoi le PP a considérablement durci son message ces derniers jours. Il s’est ainsi vanté d’avoir « décapité » le mouvement indépendantiste, selon les termes de la vice-présidente du gouvernement, Soraya Saenz de Santamaria, qui a également accusé les sécessionnistes de « déloyauté » envers les Catalans eux-mêmes.
« Nous sommes du bon côté de l’histoire », a dit M. Rajoy, mardi, à Barcelone, venu soutenir son candidat en Catalogne, Xavier García-Albiol.
Or le PP, qui n’a jamais eu d’assise solide dans la région, risque de se retrouver en dernière place, derrière la CUP. « Le premier parti en Espagne pourrait devenir une anecdote électorale en Catalogne, a souligné, dans un entretien à la radio espagnole, Pedro Sanchez, tête de file du Parti socialiste (PSOE). Dans ces circonstances, comment pourrait-il résoudre cette crise ? »


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