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Pourquoi les riches et les (Blancs) n’aiment pas les livres ? Bloc-notes

mardi 19 décembre 2017

National -

A la FILHA – c’est un peu le cas à Livres en folie, mais moins marqué – la bourgeoisie haïtienne a brillé par son absence.

Elle préfère d’autres salons et les dîners en blanc. On a vu des responsables d’établissements scolaires acheter, selon la bourse de l’institution, parfois rien qu’un livre pour la bibliothèque qu’on imagine modeste. On a vu des jeunes et très jeunes venus de très loin, à pied ou dans les conditions abominables du transport public pour acheter un livre qu’ils jugent trop cher malgré les soixante pour cent de réduction. Mais ils ont fait l’effort. On n’a pas vu les grosses voitures alignées devant le lycée français ou la Union School les jours de classe-parade. On s’est dit : ces gamins ils ne doivent pas beaucoup lire. Leurs parents auraient quand même pu les envoyer avec un chauffeur, une bonne, un garde du corps, comme ils le font en semaine. Ils auraient pu déléguer un comptable pour acheter des livres qu’ils offriraient en cadeau au personnel de leur compagnie. Mais peut-être ne souhaitent-ils pas que leurs employés lisent.
On n’a pas vu non plus les diplomates et les ONG, le représentant ou le représentant du représentant de tel secrétaire général, le directoire de telle ONG, les représentants des services culturels de la plupart des ambassades.
On suppose qu’il n’y a que deux catégories d’Haïtiens pour eux : les victimes et les sauvages, et qu’ils appliquent le principe résumé par cette phrase que je n’en finis pas de citer tant elle est édifiante : « J’épuise mes rapports avec ce pays dans mon travail ». Edifiante mais fausse. Dans le cadre de la FILHA, des concerts de Wooly Saint-Louis Jean, ils n’y étaient pas. Une lecture de textes poétiques par Magali Comeau Denis et François Martrouret au Yanvalou, ils n’y étaient pas. Mais deux heures plus tard, au même Yanvalou, de la musique dansante, bienvenue bières et « gouyad », ils y étaient.
On n’a pas vu non plus les officiels haïtiens. Pas de représentant du président de la République, du Premier ministre, du ministre de la Culture, du ministre de l’Education nationale. Pourtant la Direction nationale du livre est un organisme d’Etat. Il y avait le président du Sénat et le questeur de la Chambre des députés. Tout à leur honneur. Au Yanvalou, lors des lectures, on n’avait pas non plus vu les officiels. Pourtant, s’il faut croire les organisateurs, des cartons leur avaient été distribués.
Ce qu’on a vu, c’est essentiellement des acheteurs ayant moins de quarante-cinq ans. Relativement sûrs de leur goût. Venus acheter tel livre, suivant le travail de tel auteur. Ce qui est sans doute un progrès. Quand les lecteurs ne se fient qu’au hasard, ce n’est pas forcément une bonne chose.
Ce qu’on a vu : l’origine et la condition modeste des acheteurs. Dans ce pays, les officiels, les « aideurs » et les riches apparemment n’aiment pas les livres. Manno, que tu nous manques, qui savais si bien leur parler.

Antoine Lyonel Trouillot
Auteur


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