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Et si Manno avait chanté Jovenel Moïse...

mercredi 13 décembre 2017

Editorial -

Yon ti jenòm pase
Nan yon machin byen kage
Pwojè sou kont li li ye
Lajan pou l gaspiye
Manno Charlemagne chantait ce texte il y a des lustres.

Il y décrivait ces projets dits de développement qui essaimaient ici et là dans le pays dans les belles années de la dictature des Duvalier- oui, il y a eu aussi de belles années, avec de la croissance économique, une détente politique et une pause de la répression. Les projets, comme aujourd’hui, finissaient sans fin heureuse. Saupoudrage et maquillage peuvent-ils engendrer le développement ? Oh que non !
Manno Charlemagne aurait pu continuer, gouvernement après gouvernement, à chanter les mêmes travers des projets de développement. On a tous vu ces dernières années les pauvres résultats laissés sur leur passage par la horde des ONG après le 12 janvier 2010. On connaît toutes les retombées minimalistes des milliards de PetroCaribe. Les rapines, la gabegie, la mauvaise gestion, la corruption ambiante ne peuvent pas conduire au développement. C’est un constat.
Manno Charlemagne ne chantera plus pour peindre nos errements, pour nous ôter des yeux les toiles d’araignée. A 69 ans, le crabe a eu raison de lui.
Il y a des siècles, Manno tonnait : « ODPG plis AID se malpwòpte ». Qui se souvient de l’Organisme de développement de la plaine des Gonaïves (ODPG) ? Qui remarque les progrès de l’action de l’AID, devenu USAID, dans le pays ?
Un siècle remplace un autre, un projet suit une désillusion, on enfile les mêmes perles pour le bonheur des consultants, pour empiler les rapports et entretenir l’illusion que ce qui se fera demain n’est pas pareil aux échecs d’hier. Mais comme le taguait Jean Michel Basquiat sur les murs de Manhattan, c’est SAMO. "The same old shit".
Le week-end écoulé, à Marbial, non loin de Jacmel, on célébrait les 70 ans de la naissance de la coopération internationale en Haïti. Un projet de l’Unesco, organisme naissant à l’époque, avait vu le jour dans cette localité. 70 ans c’est l’âge qu’aurait eu Manno Charlemagne en avril 2018. Qu’est-ce qui a changé en Haïti depuis les années Estimé dans la coopération internationale ? Manno Charlemagne aurait pu chanter encore et encore les espoirs perdus et les rendez-vous ratés sans trop de difficultés.
Manno Charlemagne meurt, pendant que le président Jovenel Moïse entame son premier voyage en Europe. Sous les ors du palais de l’Elysée, l’annonce de ce lundi, en grande pompe, concerne 30 pour l’environnement et 50 millions pour l’éducation. Un don français. Nous en sommes tout heureux.
Manno aurait pu en faire une chanson.
En mai 2015, de passage en Haïti, François Hollande avait fait la promesse des 50 millions pour l’éducation. On ne saura jamais si c’est la France qui tarde à honorer sa parole ou si c’est Haïti qui est incapable de mettre ses devoirs au propre pour fournir le terrain d’atterrissage adéquat aux 50 millions d’euros.
Ah, Manno aurait pu chanter cela si bien sur sa guitare sèche avec sa voix chaude.
Alcibiade, pas l’orateur, homme d’État, et général de la Grèce antique, mais le plus ancien comédien en activité du pays, avait eu la malchance de faire dire à un des personnages de son spectacle dominical sur Radio Caraïbes : « Tout peyi ap devlope, Ayiti ap anvlope ». Il y a de cela un siècle. Biad fut inquiété par les sbires de la dictature des Duvalier, rapporte-t-on.
Qui remplacera Manno Charlemagne ou Alcibiade pour décrire notre peu d’aptitude à avancer quand nous ne détournons pas les projets de leurs objectifs ? Qui dénoncera avec talent nos tares pour nous forcer à mieux faire ?
Manno Charlemagne meurt, il ne nous laisse pas meilleurs qu’avant ses chansons. Ce n’est pas sa défaite, c’est notre catastrophe.

Frantz Duval
Auteur


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