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Assassinat de Kennedy : « Oswald était sur les radars de la CIA. Pourquoi n’a-t-elle pas agi ? »

jeudi 26 octobre 2017

La publication, jeudi, des derniers documents en rapport avec l’affaire pourrait révéler des dysfonctionnements au sein de l’agence, selon le professeur d’histoire Corentin Sellin.

Les dernières archives sur l’assassinat de John F. Kennedy (JFK) devaient être rendues publiques et accessibles en ligne jeudi 26 octobre. Cinquante-quatre ans après cet attentat à Dallas (Texas), le 22 novembre 1963, l’ouverture de 3 100 documents inédits pourrait endiguer les nombreuses théories du complot autour de cette affaire.
Professeur agrégé d’histoire, spécialiste des Etats-Unis, Corentin Sellin explique les enjeux de cette publication.
Que faut-il attendre de la déclassification des dernières archives ?
Les chercheurs espèrent d’une part avoir plus d’informations sur le voyage effectué au Mexique par Lee Harvey Oswald, deux mois avant qu’il assassine JFK, et d’autre part approfondir certains éléments montrant que la CIA n’a pas fait correctement son travail de repérage.
Sans remettre en cause la conclusion du rapport de la commission Warren, selon lequel Oswald a agi seul, les documents rendus publics cet été [issus de la précédente vague de déclassification, en juillet 2017] mènent en effet à s’interroger sur l’attitude de certaines agences de renseignement. A Mexico, Oswald s’est rendu à l’ambassade de Cuba, où il a vraisemblablement rencontré des responsables soviétiques et cubains. La CIA a bien été alertée par son antenne locale.
L’ancien marine avait été renvoyé à cause de sa santé mentale déficiente et avait ultérieurement essayé de s’installer en Union soviétique. Il avait peut-être tenu des propos menaçants contre la sécurité de l’Etat. Oswald était sur les radars de la CIA. Pourquoi alors n’a-t-elle pas agi ? Et dans quelle mesure a-t-elle caché, après coup, des éléments révélant ses dysfonctionnements internes ?
L’ouverture des archives est-elle un coup politique de Donald Trump ?
Ce n’est pas lui qui a décidé de les publier. Le président américain avait seulement le pouvoir éventuel d’y mettre son veto, comme le spécifie la loi de 1992. Celle-ci était une réponse au film JFK [d’Oliver Stone] sorti en 1991, qui s’inspirait d’une théorie conspirationniste. L’idée pour le Congrès de l’époque était de prouver aux citoyens américains qu’il n’y avait pas eu de complot et que l’Etat ne cachait rien.
Donald Trump reste dans sa ligne politique. Il a eu de nombreuses conversations avec son ami conseiller d’Etat et conspirationniste sulfureux Roger Stone, persuadé que le président Lyndon B. Johnson [1908-1973] a fait assassiner JFK et favorable à l’ouverture de toutes les archives concernant l’affaire.
Le Washington Post rapporte que M. Trump s’est entretenu avec lui jeudi 19 octobre, avant d’annoncer sa décision samedi 21 octobre. La CIA et le FBI avaient demandé de bloquer la publication de certains documents. Fidèle à sa posture – « je ne vous cache rien, je livre au peuple la vérité » –, M. Trump a préféré suivre l’avis de son ami conspirationniste plutôt que celui de son administration.
Lire aussi : Donald Trump autorise la publication d’archives sur l’assassinat de John F. Kennedy
Quelles sont les principales théories du complot qui circulent ?
Le livre le plus connu, Crossfire [« tirs croisés »], émet l’hypothèse qu’il y avait plusieurs tireurs à Dallas. Son auteur, Jim Marrs, explique ainsi la fameuse image du film de Zapruder dans lequel la tête de Kennedy semble basculer en arrière, puis en avant sur le troisième coup mortel. Il y aurait eu, selon lui, un tireur en face, alors qu’Oswald était positionné derrière.
Deux thèses circulent sur l’origine de cette « conspiration ». Ce serait un complot au sein de l’Etat, impliquant la CIA et ultimement le président Johnson qui en aurait été le bénéficiaire. Certains responsables de la CIA se seraient ainsi vengés d’avoir été malmenés par Kennedy après l’opération de la baie des Cochons [désastreuse expédition à Cuba en 1961].
Deuxième hypothèse : un complot de la mafia. Le grand parrain de l’époque, Sam Giancana, aurait été furieux de l’ouverture d’une enquête le visant, alors qu’il avait aidé JFK à gagner l’élection présidentielle de 1960 contre Richard Nixon dans l’Illinois, grâce à un trucage à Chicago. J. F. Kennedy entretenait par ailleurs une liaison avec sa maîtresse principale, ce qui lui aurait déplu.
Enfin, la troisième grande famille conspirationniste pense qu’un complot a été fomenté par une puissance étrangère, en particulier Cuba, en rétorsion à la politique très agressive de M. Kennedy sur l’île. Avec les documents publiés en juillet cette année, cette thèse reprend de l’ampleur.
Qu’est-ce que JFK représente aux Etats-Unis aujourd’hui ?
Son mythe est toujours vivant. Il incarne le rêve d’un Etat qui assumerait son rôle de puissance impériale, tout en conservant ses idéaux de pureté démocratique. JFK est associé, par exemple, à l’enrôlement de la jeunesse américaine pour partir en mission humanitaire un peu partout dans le monde, il aurait prôné une politique de désarmement, de rapprochement avec l’Union soviétique…
La réalité est beaucoup plus nuancée, mais son image traverse les générations car elle permet aux Américains de vivre la conscience apaisée par rapport à eux-mêmes. Son assassinat a alimenté l’idée d’un avant et d’un après, qui a contribué à le mythifier. Sa présidence représente une période de forte croissance, une Amérique apaisée. C’est l’Amérique juste avant le Vietnam, le conflit racial de la fin des années 1960, la contre-culture.
Cette reconstruction, a posteriori, oublie évidemment que Kennedy fut le premier responsable de l’embourbement au Vietnam et de la guerre ensuite déclenchée par Johnson. En outre, la famille Kennedy reste une vraie puissance politique. Le petit-neveu de JFK, le jeune Joseph P., a été élu représentant du Massachusetts au Congrès.
Certains au sein du Parti démocrate aimeraient en faire l’arme anti-Trump. La présence de l’ancien président Bill Clinton à une manifestation caritative la semaine dernière a pu être interprétée comme un adoubement.


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