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A Gaza, « rien n’est certain sur le chemin périlleux de la réconciliation » entre Hamas et Fatah

mercredi 4 octobre 2017

Notre correspondant à Jérusalem, Piotr Smolar, décrypte la visite du premier ministre palestinien dans la bande de Gaza, une première depuis plus de deux ans.

Le premier ministre palestinien, Rami Hamdallah, a réuni son gouvernement dans la bande de Gaza, mardi 3 octobre, une première depuis 2014 censée matérialiser le retour de l’Autorité palestinienne aux commandes du territoire aux mains du Hamas. « Nous sommes ici pour tourner la page de la division et restituer au projet national son juste cap qui est la création d’un Etat » palestinien, a déclaré M. Hamdallah.
La réconciliation initiée entre le Hamas et le Fatah suscite un espoir immense au sein de la population, soumise au blocus égyptien et israélien. Dans un tchat, notre correspondant à Jérusalem, Piotr Smolar, a répondu aux questions des internautes.

Alain : Bonjour, quelle serait la prochaine étape de ce processus de réconciliation entre factions palestiniennes ? Y a-t-il des raisons d’être cette fois optimiste quant à une résolution plus globale du conflit israélo-palestinien ?
Piotr Smolar : Il faut séparer les questions de la réconciliation et de la résolution du conflit. Sur le premier point, il faut mesurer à quel point le gouffre à combler entre les factions palestiniennes est profond, après dix ans. D’autres tentatives de réconciliation ont échoué ces dernières années. Rappelons que début juin 2014, un gouvernement d’union nationale avait été proclamé ; il n’a existé que sur papier.
Cette fois, les choses semblent engagées plus sérieusement. La détermination du Hamas, en particulier, est claire. Le mouvement islamiste armé veut réintégrer les institutions politiques palestiniennes, rompre son isolement et se débarrasser aussi de la gestion des affaires quotidiennes à Gaza, qui représentent une avalanche de problèmes.
Rien n’est certain sur le chemin périlleux de cette réconciliation. La prochaine étape aura lieu au Caire, sans doute la semaine prochaine, avec des représentants du Fatah et du Hamas. Ils devraient aborder notamment la question fondamentale des employés dans les différentes administrations. Ensuite ? Nul ne le sait à ce stade. Mais les factions se disent toutes favorables à des élections générales, pour régénérer le système politique à bout de souffle. A ce stade, on est encore très, très loin de cette perspective.
Citoyen européen : Peut-il y avoir une véritable réconciliation et une acceptation par la communauté internationale tant que le Hamas ne reconnaît pas Israël et ne renonce pas à la violence ?
Piotr Smolar : Il existe aujourd’hui un consensus international puissant, en coulisses, en faveur d’une réconciliation palestinienne. Même les Etats-Unis l’envisagent d’un œil favorable.
Aujourd’hui, le Hamas donne tous les gages internes, entre factions, pour renoncer au contrôle politique de la bande de Gaza. Mais dès lors qu’il redevient une simple faction politique sur l’échiquier palestinien, le Hamas prétend qu’il n’est pas obligé de reconnaître formellement Israël. J’ajoute que dans sa charte idéologique, révisée au printemps, il a essayé de dépoussiérer les formules et de gommer les relents antisémites épouvantables qui marquaient sa charte d’origine. En outre, depuis la guerre de l’été 2014, le Hamas a respecté un cessez-le-feu total.
Ce dernier a opéré un virage stratégique vers la réconciliation palestinienne, en pensant notamment à l’après-Abbas, qui est âgé de 82 ans. Ce n’est pas pour préparer en parallèle une nouvelle guerre contre Israël, dans l’immédiat. En revanche, demander au Hamas une reddition complète, qu’ils déposent toutes leurs armes et leurs roquettes, semble pour l’heure irréaliste.
Citoyen européen : Comment Israël peut-il accepter cette réconciliation et négocier en faveur d’un Etat palestinien dès lors que le Hamas conserve sa branche armée à Gaza ?
Piotr Smolar : Il faut distinguer les différentes voix en Israël. Pour la droite, cette possible réconciliation est une mauvaise nouvelle politique, dans la mesure où les divisions palestiniennes et l’existence de l’ennemi Hamas à Gaza ont toujours été un encouragement à ne rien faire, à ne rien proposer, et à poursuivre la colonisation.
Benyamin Nétanyahou s’est exprimé aujourd’hui, dans la colonie de Maale Adumim : « Nous ne sommes pas prêts à accepter des réconciliations bidons dans lesquelles la partie palestinienne se réconcilie en apparence au détriment de notre existence. Notre point de vue est très clair pour tous ceux qui veulent entreprendre cette réconciliation : reconnaissez l’Etat d’Israël, démantelez la branche militaire du Hamas, cessez la connexion avec l’Iran, qui appelle à notre destruction (…). »
En somme, le premier ministre israélien, au lieu de se féliciter du fait que l’Autorité palestinienne (AP) essaie de reprendre le contrôle de la bande de Gaza, prive déjà de légitimité la future forme de pouvoir qui pourrait émerger.
Claude : Bonjour, l’idée d’une réconciliation entre Hamas et Fatah n’est-elle pas une très mauvaise nouvelle pour Israël, qui pourrait se voir « poussé » par la communauté internationale à reprendre le processus de paix ?
Piotr Smolar : La position des officiels israéliens est paradoxale. Les responsables militaires sont très lucides, ils plaident depuis longtemps pour des gestes forts afin de desserrer l’étau autour de la bande de Gaza, soumise au blocus israélien et égyptien. Mais encore une fois, sur le plan politique, la droite se sentait à l’aise dans la situation où le Hamas était le seul maître de Gaza. La fracture entre la Cisjordanie et Gaza éloignait encore davantage la perspective d’un Etat palestinien.
Cela étant dit, l’administration Trump a pris le pari de réussir là où tant d’autres présidents américains ont échoué : parvenir à la paix, à une solution négociée. Depuis six mois, les envoyés spéciaux de Trump ont fait la navette, sans rien dévoiler de leurs propositions. On attend une esquisse de plan d’ici à la fin de l’année.
Mais que veut Nétanyahou ? Il aime tant évoluer dans la zone grise. Cerné par les affaires, il n’arrête pas de donner des gages aux colons, pour consolider sa base. Est-il prêt à risquer sa coalition pour reprendre des négociations avec les Palestiniens ? On peut en douter.
Agaza : Quel est l’état d’esprit des Gazaouis aujourd’hui ?
Piotr Smolar : Les scènes de liesse populaire qui ont accompagné hier l’arrivée du premier ministre, Rami Hamdallah, et des autres membres du gouvernement étaient à la hauteur du désespoir de la population. La bande de Gaza est une langue de terre de 40 km insalubre et surpeuplée, collée à la mer, où les eaux usées sont rejetées, faute de traitement, faute d’électricité. Le chômage des jeunes dépasse 50 %.
Dans ces conditions, et après tant de désillusions passées, les Gazaouis ne se sont mis à croire que très récemment à la possibilité d’une réconciliation entre factions. Leur impatience est aussi porteuse d’un risque, celui de la déception, de la colère : au-delà de certaines mesures symboliques et fortes, comme la hausse possible du nombre d’heures d’alimentation en courant chaque jour, les dossiers de la transition sont ardus, techniques, et réclameront du temps.


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