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Kits scolaires surfacturés : d’autres responsables risquent leur poste

jeudi 31 août 2017

Si l’on prend le président Jovenel Moïse au mot, d’autres têtes devront tomber en rapport au dossier de surfacturation de kits scolaires. S’il n’y a pas de corrompus sans corrupteurs, une autre évidence saute aux yeux : le non-respect de la loi comptabilité publique et de la Constitution.

National -

Roosevelt Bellevue, objet de calembours mouillés d’acide, est livré, sans être condamné par la justice, à la vindicte populaire depuis sa révocation mardi, quelque 48 heures après que Scoop Fm a révélé une affaire de surfacturation de kits scolaires. Pourtant, la moquerie des uns et des autres devrait être le cadet des soucis de Roosevelt Bellevue si l’on prend au pied de la lettre le tweet du chef de l’Etat, Jovenel Moïse, soulignant « qu’un acte de corruption suppose la présence de corrupteurs et de corrompus » et que « tous sont passibles des mêmes peines ». Le glaive de la dame aux yeux bandés devrait frapper.
Entre-temps, mercredi, la fuite d’une lettre sur les réseaux sociaux fournit de nouveaux éléments. Dans cette lettre adressée au ministre de l’Economie et des Finances, le ministre des Affaires sociales et du Travail demande que soit autorisé le paiement des factures dans le cadre du programme de la rentrée des classes. Pour le fournisseur National Trading Group (Nif 00637-419-8) il y a un montant de 23 925 000,00 gourdes, pour AGP Papeterie (Nif 00577821-8) 13 200 000.00 gdes, l’entreprise Haïti Supply (Nif 000762-081-5) 24 145 000.00 gourdes, Energitek (Nif 000-368-072-2) 23925 000.00, N G A Entreprise (Nif 000 673 988-4) 24 200 000.00 gourdes et Kayimit Sales and services (000 -406-030-0) 9 994 600.00 gourdes. Le montant total de ces factures, selon la lettre, est de 119 389 600.00 gourdes.
Le journal n’a pas pu entrer en contact avec un responsable de Energitek. Les deux numéros de téléphone trouvés à côté de l’adresse à Delmas 75 de cette entreprise sur Google.com sont répondus par un homme qui dit ne pas savoir ce qu’est Energitek. En revanche, jointe au téléphone, la responsable de Kayimit Sales and services, entreprise basée à St-Marc, Mme Sophia S a confirmé avoir préparé des kits scolaires pour le ministère des Affaires sociales. C’est une information confidentielle, a-t-elle répondu poliment à une question sur le coût à l’unité.
Le journal n’a pas pu vérifier si, sur cette liste, il y a des entreprises dont les propriétaires sont des gens puissants ayant des connexions en haut dans l’univers Tèt Kalé, de l’ex-président Michel Martelly au président Jovenel Moïse. Par rapport au respect de la procédure définie par la loi, le journal a appris de deux conseillers de la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif qu’aucun contrat n’a été avalisé dans le cadre de ce dossier. « Non, non, non, ils n’ont même pas été soumis à l’appréciation de la CCS/CA », a expliqué ce conseiller, soulignant que la Cour « devrait être consultée sur tous les projets de contrats à caractère commercial et financier conformément à l’article 200.4 de la Constitution ». « La Constitution a préséance sur tous les autres instruments juridiques dans la hiérarchie des normes », a-t-il expliqué.
Interrogé sur le seuil défini par la loi pour qu’il y ait appel d’offres et l’implication de la Commission nationale de passation de marchés publics, ce conseiller à la Cour supérieure des comptes et du contentieux administratif a indiqué qu’il s’agit de 20, 25 et 40 millions de gourdes respectivement pour les contrats de prestations intellectuelles, de fourniture et de travaux.
A côté du choix de ne pas consulter la CSC/CA pour avis, les montants de ces six contrats du ministère des Affaires sociales à ces fournisseurs sont en deçà du seuil pour recourir à la CNMP. « La surfacturation est un acte de corruption au regard de l’article 5 de la loi du 12 mars 2004 portant prévention et répression de la corruption. Elle est punie de la réclusion, selon l’article 5.8 de cette loi », a expliqué ce conseiller à la CSC/CA. « Le dossier a été discuté ce matin et il a été décidé de diligenter une enquête », a expliqué un autre conseiller à la CSC/CA.
Ceux et celles qui connaissent le fonctionnement de l’Etat mettent leurs têtes à couper que le ministre Roosevelt Bellevue ne peut pas avoir agi seul, en dehors de l’administration du ministère des Affaires sociales composée en principe du directeur général, de l’administrateur, du comptable public ou de son cabinet particulier. Le ministre révoqué n’a répondu à aucun appel du journal pour fournir des informations à ce niveau. Le journal ne sait toujours pas si le ministère de l’Economie et des Finances a décaissé en dépit du fait que la CSC/CA a été contournée. Oui, si ces opérations ont été recouvertes du manteau de la loi sur l’état d’urgence. Le ministre de l’Economie et des Finances n’a pas encore répondu aux questions du journal à ce sujet.
Cependant, une source au MEF a confié au journal que le paiement de ces factures a été effectué sur la rubrique budget de l’investissement, géré par le ministère de la Planification et de la Coopération externe. La requête, sortie du ministère des Affaires sociales, a été acheminée au ministère de la Planification pour être prise en charge par le budget d’investissement. Au niveau de la direction du budget, il a été dit qu’il n’y avait pas de contrat, pas d’appel d’offres, juste des factures envoyées par les compagnies bénéficiaires, a indiqué cette source au ministère de l’Economie et des Finances, soulignant que selon toute vraisemblance, « les montants ont été éclatés à dessein pour éviter le seuil de la passation de marché ». En ce qui concerne la surfacturation, cette source a indiqué que « le contrôleur financier ne dispose pas de barème pour apprécier une surfacturation ». Ce travail devrait être fait au niveau du ministère sectoriel à travers la requête d’au moins trois proformats, a expliqué cette source, qui confie au journal que les chèques ont été délivrés au ministère des Affaires sociales pour le paiement de ces fournisseurs. Après cette étape, la direction du Trésor a liquidé le paiement fait dans la rubrique investissement public, géré par le MPCE, a insisté cette source au MEF.
Mais entre-temps, joint par téléphone, le ministre de la Planification et de la Coopération externe, Me Aviol Fleurant, est catégorique. La requête en question ainsi que ce dossier « ne sont jamais passés par le MPCE à travers la direction du suivi et de l’évaluation de l’investissement public ». « Le MPCE n’est pas impliqué dans la question de kits scolaires. Cela ne relève pas de nos attributions. Et ceci, depuis sous le gouvernement de M. Enex Jean-Charles », a insisté Aviol Fleurant. Cela concerne le ministère de l’Education nationale et le ministère des Affaires sociales, a-t-il dit.
« Je parlais au PM hier, il m’a dit que des ministres n’ont pas bien fait les choses. Pour le ministère de l’Education, c’est entre 15 et 20 dollars. C’est ce que m’a dit mon administrateur », avait révélé le ministre de l’Education nationale, Pierre Josué Agénor Cadet, qui n’avait pas révélé les noms des ministres concernés. « Je ne suis pas concerné par ce problème », avait-il dit, soulignant avoir eu une réunion avec le PM sur le contenu et le prix d’un kit.« En ce qui concerne les kits scolaires, cette année, c’est le FAES qui fera toutes les distributions. Les 36 000 du ministère de l’Education nationale ont été acheminés au FAES pour distribution. L’Unicef, sous supervision du ministère de l’Education nationale, distribuera environ 150 000 kits scolaires. Ce sera fait dans 7 départements pour 507 écoles », avait indiqué le ministre, qui souligne que le pays dispose de 2 504 écoles nationales. Quid de l’achat des kits ? Cela a été fait par l’unité de passation de marché au ministère de l’Education nationale. Il y a eu appel d’offres, a expliqué Pierre Josué Agénor Cadet.
La présidence avait annoncé l’ouverture d’une enquête sur ce dossier. Par rapport aux zones d’ombre, aux contradictions étalées dans la presse. Si certains parlementaires de l’APPRIS qui ont désigné Roosevelt Bellevue pour entrer au gouvernement enfoncent la tête dans le sable de l’embarras, le sénateur de l’opposition Antonio Cheramy a convoqué le Premier ministre Jack Guy Lafontant le mardi 5 septembre pour faire la lumière sur ce qui est appelé le « kitgate », la pointe de l’iceberg dans les mauvaises pratiques dans l’administration publique, soutiennent certains, estimant que si toutes les institutions concernées font leur travail, d’autres têtes devraient tomber pour corruption, négligence, fautes professionnelles graves.

Roberson Alphonse
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