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Le pays des génies Bloc-notes

mercredi 2 août 2017

Si l’autoflagellation est aussi dangereuse que ridicule – cette bêtise de dire : « nous sommes tous coupables », elle a trouvé un contraire pas moins inquiétant, un sentiment d’autosatisfaction selon lequel tout est bien.

Voici quelques-unes de ces vérités courantes : tout livre écrit par un citoyen haïtien est un chef-d’œuvre et gare à qui oserait dire le contraire. Les conditions de vie des Haïtiens sont excellentes, et les trois pouvoirs de l’Etat, les classes dominantes font tout pour qu’elles deviennent encore plus paradisiaques (même un paradis peut être amélioré) qu’elles ne le sont déjà, et gare à qui oserait dire le contraire.
Le niveau général d’éducation de la société et la qualité de la production scientifique, en sciences dures comme en sciences humaines, sont exceptionnels, et toute lecture critique d’un quelconque élément de cette production constitue un acte de dénigrement de la nation et une attaque personnelle contre le producteur émérite. Et il convient au nom des intérêts supérieurs de la nation de clouer au pilori toute personne ayant élevé la voix ou manié la plume pour semer le trouble dans le concert d’excellence nationale dont les échos ont atteint tous les continents.
Aura-t-on jamais vu pays se portant aussi mal avec autant de place pour la
vanité, le quant-à-moi, l’autocomplaisance, les oscars, césars, palmes d’or auto-attribués. Après tout, chaque ancien ministre, chaque futur ministre, chaque auteur, chaque artiste, chaque figure de la vie publique, chaque entrepreneur, chaque chef de service, chaque directeur général, chaque personne accordant une entrevue sur un quelconque sujet, pourrait dire « je suis la vérité et la vie ». On n’en n’est pas loin avec les « lisez mon livre, tout est dedans », « si l’on m’avait écouté… », « j’ai la solution » ou mieux « je suis la solution ».
On peut imaginer une grande foire aux égos, un immense cocktail où tout le monde se félicite, fier d’on ne sait quels accomplissements intellectuels, sociaux, progressistes dont les preuves ne sont pas faites, un pacte de distribution de compliments pour éviter la solitude du discours critique et par peur d’être critiqué soi-même. Ah, la joie du vulgaire quand on combat un effort de pensée critique ! Bien fait pour l’emmerdeur ou l’emmerdeuse qui ose questionner la justesse d’un point de vue, les effets d’une pratique ? C’est tout de suite que des voix s’élèvent pour dénoncer le crime ; « arrêtez donc d’emmerder les gens avec vos doutes, vos réserves, puisqu’on vous dit que tout est bien. Laissez-nous dormir sur nos lauriers. Nous avons tant fait, nous sommes si brillants, savants, beaux, efficaces… »
On peut chanter comme un crapaud, il faut dire que c’est une voix d’or. Ecrire comme un pied, il faut dire que c’est Dante-Marquez-Goethe en une seule personne. Avoir échoué dans la gestion des affaires publiques, il faut dire que c’est un génie de la vie politique.
Oui, nous sommes tous des génies. Envoyons-nous des fleurs. Là est le chemin de la victoire contre l’injustice, le malvivre et l’ignorance.

Antoine Lyonel Trouillot
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