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Gare au commandant Lorijèn

vendredi 28 avril 2017

National -
On parle beaucoup de créer du travail. Les législateurs (si tant est qu’ils se penchent sur quelque chose) s’y penchent. Des organisations patronales proposent, applaudissent. La dynamique à la mode, c’est la création d’emplois. Bien. Mais n’oublions pas la boutade d’un homme politique du XXe siècle : l’esclavage, c’est le plein emploi. La question de la condition des travailleurs ne peut ni ne doit être évacuée sous prétexte qu’on doit créer des emplois. N’importe quel emploi ? Dans n’importe quelles conditions ? La question de la condition des travailleurs dans un pays structuré pour produire de l’inégalité ne peut être une question secondaire. Et ce personnage mythique, vendu comme les grandes entreprises nous vendent le père Noël, qu’est devenu « le créateur d’emploi », nous savons de quels dégâts il est capable en l’absence d’un contrôle strict de ses activités.

Je ne veux pas accabler mes confrères et amis de la presse. Tous travaillent dans des conditions difficiles. il faut de la persévérance pour produire des émissions d’information qui sortent de la frénésie du bulletin de nouvelles, aller au fond des choses autrement sérieux que telle déclaration de tel parlementaire, du tragi-comique de l’officiel et du sensationnel. Je pense à cette émission (il en est d’autres sur d’autres médias) comme « nou tout anndan » de Radio Kiskeya, un regard constant sur le monde rural et les sections communales, choses qui ne font la une que quand l’eau (merci à l’ONU), la sécheresse ou la violence y sèment la mort. C’est précieux, informatif, un regard consacré à la condition paysanne. Sauf erreur de ma part, la condition ouvrière, celle du travailleur manuel en général, et du travailleur tout court, n’a pas encore cette chance. Or, il y a là une réalité qui mérite d’être mieux connue de ceux qui ne la vivent pas. Il y a aussi un devoir d’informer les gens de leurs droits. La vie du monde du travail n’a pas la place qu’elle mérite dans le paysage médiatique.

En cette veille de fête du travail, une pensée pour les écrivains, chansonniers (n’en déplaise aux « artistes » qui estiment que leur littérature devrait parler que d’eux-mêmes) qui ont porté ici le chant des travailleurs, leur assurant une présence dans notre conscience de nous-mêmes, éveillant notre sensibilité à leur réalité. Le roman : Alexis, Roumain, Saint-Amand, Lespès et ses « semences de la colère » dont on ne parle sans doute pas assez. La poésie : Castera, Pierre Lajoie… Les chansons. SHADA « M travay anpil, lajan m piti, ki jan pou m fè pou m al nan peyi m ? » Libète, « jou poko leve n ap travay ?... men tout moun se moun se granmèt ki kreye n…. » Les unes dont les auteurs sont connus. D’autres qui sont nées dans les temps et sur les lieux mêmes du labeur, dont les auteurs sont anonymes, comme ce « Kòmandan Lorijèn » que la voix de Jean Coulanges nous a conservé.

Parler création d’emplois oui. Mais gare au commandant Lorijèn. Dans le respect des droits des travailleurs. Dans ce monde du travail, il y a tant de choses contre lesquelles se révolter. Il conviendrait que cela aussi soit plus présent dans la vie publique. Il est toujours suspect de parler de travail sans parler de la condition des travailleurs.

Antoine Lyonel Trouillot

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