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Comment la Russie renforce sa mainmise sur la Syrie

vendredi 24 mars 2017

Chaque jour qui passe confirme que le président russe Vladimir Poutine est le véritable maître du jeu en Syrie. Avec quel dessein ? Analyse.

En une seule et même journée, Moscou a signifié à ceux qui en doutaient encore que l’avenir de la Syrie passait par elle. Lundi 20 mars, une centaine de soldats russes ont pénétré dans l’enclave kurde d’Afrine (nord de la Syrie), mettant un terme à l’avancée de l’armée turque et des groupes rebelles syriens qui lui sont alliés, dans le cadre de l’opération militaire turque « Bouclier de l’Euphrate » contre Daech et les forces kurdes en Syrie. Ces dernières ont annoncé le même jour qu’elles allaient recevoir pour la première fois un entraînement militaire de la part de Moscou, dans un camp d’Afrine, ce que le ministère russe de la Défense a démenti. Lundi encore, la Russie a indiqué avoir convoqué trois jours plus tôt l’ambassadeur d’Israël à Moscou après le raid mené le même jour par l’aviation israélienne contre un convoi d’armes destinées au Hezbollah libanais, près de la cité antique de Palmyre.

Si l’intervention de la Russie en Syrie lui a permis d’affirmer son statut de puissance incontournable au Moyen-Orient, elle ne s’est pas faite sans pertes humaines. Le 2 mars dernier, Artiom Gorbounov, soldat "chargé d’assurer la sécurité d’un groupe de conseillers militaires russes", a été abattu au cours de la reprise de Palmyre. Ce décès s’ajoute à celui, fin février, de quatre militaires russes dans l’explosion d’une mine artisanale au passage de leur convoi en route pour Homs. Depuis le début de l’intervention russe en Syrie en septembre 2015 à la demande de Bachar el-Assad, ils sont officiellement 27 militaires à avoir perdu la vie dans le pays.

Vrai « faux » retrait

Face à l’émotion suscitée en Russie par ces décès, et pour écarter tout risque de scénario à l’afghane, où l’armée soviétique s’était embourbée de 1979 à 1989, le président russe Vladimir Poutine avait annoncé en décembre une réduction de la présence militaire de son pays en Syrie. À son plus fort, le déploiement militaire russe comptait notamment des avions de chasse de dernière génération (le Su-35S), des bombardiers (Tu-22M3), des batteries de défense antiaérienne ultra-modernes (S-300 et S-400), des corvettes (le Miraj), un porte-avions (l’Amiral Kouznetsov), ainsi que des sous-marins.

Ainsi, un mois après l’annonce présidentielle, le porte-avions russe Amiral Kouznetsov, escorté par son groupe aéronaval, a quitté la base de Tartous, cité portuaire de Syrie et seul point de ravitaillement de la marine russe en mer Méditerranée. Pourtant, au même moment, le président tchétchène Ramzan Kadyrov annonçait l’envoi de soldats pour sécuriser Alep. Or, la Tchétchénie est une République membre de la Fédération de Russie. « Ce n’est pas la première fois que Poutine annonce un allègement de sa présence militaire », affirme le géographe Fabrice Balanche, chercheur invité au think-tank Washington Institute for Near East Policy. Pour ce spécialiste de la Syrie, ce type de déclaration est « réalisé tous les trois à six mois, ce qui correspond à une rotation militaire et à un renouvellement de matériel ». L’expert russe Anton Lavrov le confirme : « Outre le porte-avions Amiral Kouznetsov, il n’y a pas eu de retrait des contingents terrestre et aérien. »

Peu de forces combattantes

Vladimir Poutine avait déjà annoncé en mars 2016 le retrait du contingent russe en Syrie. Sept mois plus tard, Moscou renforçait pourtant sa présence militaire dans le pays, en envoyant des pilotes de chasse, des artilleurs et des commandos supplémentaires. Fin décembre, après la reprise totale d’Alep par les forces de Bachar el-Assad, la Russie agrandissait sa base logistique de Tartous, sur la côte syrienne. Au total, près de 5 000 Russes combattent actuellement en Syrie ; ce chiffre, confirmé par les autorités russes, reste stable depuis le début du conflit.

« La majorité des Russes présents en Syrie sont en charge de la logistique : ce ne sont donc pas des militaires », précise le politologue russe Alexeï Malachenko, spécialiste de l’Orient. Leur mission est essentiellement d’assurer la maintenance de l’aviation militaire russe en Syrie et de l’artillerie. « Une centaine de Russes seulement sont concernés par des affrontements armés, ce sont les SWAT (Special Weapons And Tactics, les unités d’élite, NDLR), les forces spéciales d’intervention, des conseillers et des artilleurs », renchérit le spécialiste Anton Lavrov.

Arrière-pensées politiques

À en croire le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgu, le premier objectif de l’intervention russe en Syrie serait la lutte contre le terrorisme. Pour le Kremlin, il s’agit avant tout de libérer ce pays des djihadistes, ce qui passe par un maintien du président Bachar el-Assad au pouvoir. « Il est important de signaler le fait que nous ne faisons pas qu’éliminer les terroristes sur le territoire de la Syrie mais aussi libérer les Syriens. Nous essayons également de résoudre le problème des terroristes sur notre propre territoire », souligne sur son site le ministère russe de la Défense. Pourtant, depuis le lancement de son intervention militaire en septembre 2015, Moscou s’est davantage attelée à combattre la rebellion anti-Bachar el-Assad, dans l’ouest du pays, que Daech.

« La Russie a deux principales tâches en Syrie, souligne Anton Lavrov : l’élimination complète de l’État islamique, qui nécessitera de collaborer avec tous ceux qui affronteront les djihadistes, et le renforcement du régime actuel, afin d’avoir la garantie d’un État central fort avec lequel il sera possible de se mettre d’accord lors des négociations de paix. » Si Bachar el-Assad a besoin de l’assistance militaire russe pour reconquérir l’ensemble du territoire syrien, l’aide de Moscou n’est pas sans arrière-pensées politiques. « Les Russes veulent faire gagner Bachar el-Assad afin de mieux contrôler le territoire syrien », précise le géographe Fabrice Balanche.

En effet, depuis un an et demi, la Russie profite de son intervention militaire pour avancer ses pions sur le sol syrien. Sur la côte, elle a transformé l’installation portuaire de Tartous en véritable base navale en mer Méditerranée. À Jablé, à 30 kilomètres au sud de Lattaquié, Moscou œuvre à la remise en service d’une base sous-marine datant de l’époque soviétique. La Russie a également construit, à l’été 2015, une base aérienne à Hmeimim, au sud-est de Lattaquié. Pour Fabrice Balanche, la stratégie russe en Syrie dépasse clairement le cadre du pays. « Ce n’est pas seulement l’enjeu de deux ou trois bases pour avoir accès à la mer Méditerranée, explique le chercheur. La présence russe en Syrie demeure un enjeu capital pour que Moscou pèse sur la géopolitique internationale. Elle est donc durable. »


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