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Mario Delatour et Boukman Eksperyans font résonner les arbres à la forêt des pins

mercredi 14 décembre 2016

Les habitants de la forêt des pins étaient les invités d’honneur vendredi dernier à la première de « Kiskeya rive Ayiti : men ki kote pyebwa yo fè ? », la version en créole du film documentaire de Mario Delatour. Le ministre de l’Environnement avait fait le déplacement au massif de la Selle ainsi que les ambassadeurs de Suisse, de France et d’Allemagne. Ils ont voulu saluer les efforts de la population et des gardes forestiers pour préserver une des dernières forêts natives d’Haïti. Le décor naturel majestueux et les sons et couleurs envoûtants de Boukman Eksperyans ont contribué à la magie de cette soirée unique.

Un événement culturel sans précédent a réuni plus d’un millier de femmes, d’hommes et d’enfants vendredi soir au parc national de la forêt des pins. Emmitouflés dans des vêtements bariolés pour se protéger du froid à 2000 mètres d’altitude, certains ont marché jusqu’à quatre heures pour découvrir la version créole de « De Kiskeya à Haïti : Mais où sont passés nos arbres ? » et assister au concert de Boukman Eksperyans qui a suivi la projection.

Film mémoire et manifeste poétique basé sur le travail de l’agronome Alex Bellande et porté par les mots et la voix de Dolores Dominique Neptune, la dernière œuvre de Mario Delatour refuse de voir le déboisement comme juste une affaire de paysans. « Contrairement à ce que l’on pense, insiste le réalisateur, le paysan haïtien a une grande connaissance des arbres, il n’est pas le bûcheron national. Il ne faut donc pas rejeter toute la faute sur lui, car il y a toute une histoire derrière les problèmes de déforestation et d’érosion qui remonte aux colonies. » Cette dégradation de l’environnement est cependant à prendre au sérieux. Comme l’a rappelé Swan Fauveaud, directrice de l’ONG Helvetas en Haïti, active depuis 13 ans à la forêt des pins, « la vulnérabilité d’Haïti aux catastrophes naturelles est liée à la déforestation ».

Si la racine du mal est profonde, la disparition des forêts d’Haïti n’est pas une fatalité. Depuis 2003, plus de 800,000 arbres, soit 600 hectares, ont été replantés dans le parc national naturel de l’Unité II de la forêt des pins. Pour Jean-Luc Virchaux, ambassadeur de Suisse en Haïti et initiateur de la soirée, c’est la preuve qu’il est possible de changer les choses, avec le concours de la population. « Si en Haïti, il y a une belle forêt, c’est grâce à vous ; s’il y a la dignité, c’est grâce à vous », a-t-il lancé aux habitants et aux gardes forestiers, dont les efforts sont à présent reconnus au niveau national. L’ambassadeur a aussi souligné le rôle important joué par le ministre de l’Environnement.

Ce dernier, Simon Dieuseul Desras, a tout d’abord rendu hommage au chanteur Kessy, décédé ce jour-là. Il a salué les dignitaires présents, dont l’agronome Desmarattes, directeur du parc, ainsi que les ambassadeurs de Suisse, de France et d’Allemagne, qui n’ont pas été découragés par les longues heures sur une piste caillouteuse. Applaudissant la démarche de Mario Delatour, il espère, non sans humour, que le réalisateur répondra dans son prochain film à la question : « Quand est-ce que les arbres vont revenir ? » Le ministre a rappelé que les paysans coupaient du bois quand ils n’avaient pas d’autre choix pour survivre.

Offrir une alternative économiques aux familles vivant à proximité des zones boisées est donc une priorité. Parmi les spectateurs vendredi, beaucoup avaient reçu une aide financière pour développer l’agriculture et l’élevage en lieu et place des pratiques destructrices pour les arbres, comme la coupe illégale d’arbres ou la fabrication du « bois gras ». « C’était extraordinaire pour moi de voir ce film », a témoigné un habitant après la projection. Cela fait sept ans qu’il a renoncé à couper des arbres si bien qu’il a demandé aux autres de faire de même.

L’ONG Helvetas, maître d’œuvre du programme de soutien aux familles et de reboisement, passera le flambeau au ministère de l’Environnement l’année prochaine. Swan Fauveaud est confiante que l’État mènera à bien sa mission. Une collaboration entre le ministère et les habitants de l’aire protégée s’est développée depuis plusieurs années. Claude Phanord, responsable du programme au niveau de la coopération suisse, a ajouté : « Le but de cette soirée est également de faire connaître un exemple de gestion réussie d’une forêt en Haïti. »

Le corps de surveillance environnementale est aussi un allié indispensable. Jean Lerius Pierre dirige une équipe de huit personnes. Il n’hésite pas à appréhender ceux qui s’adonnent à des pratiques illégales. « Nous travaillons très dur », a-t-il confié. Il souhaite cependant plus de soutien de la part de l’État : « Nous allons demander au ministère de prendre en charge le corps. »
Au niveau technique et de la mise en scène, l’événement n’avait rien à envier aux meilleurs festivals internationaux en plein air. Ecran géant monté par Phénol Georges, décor naturel de rêve, qualité du son, tout y était. Avec, en prime, la touche onirique des images du photographe Josué Azor projetées sur les pierres d’une maison ancienne. Les principaux intéressés en ont redemandé. Des responsables d’autres sections ont demandé que le film soit projeté chez eux, comme Jean-Baptiste Fritz, président de Belle Frecher.
Point noir de l’événement : les nombreux barrages sur la route de Marigot et l’attaque du réalisateur par un bandit. Il a cassé les vitres de sa voiture à coups de pierre avant d’être arrêté.

La réalisatrice Laurence Magloire, qui a monté le film, était à la régie. En plus d’assurer la qualité technique, elle s’est assurée que les messages de sensibilisation passent auprès de la population : « Lorsque les gens se voient à l’écran, l’impact est énorme, ils retiennent deux ou trois messages dans une soirée. »

Avant de nous laisser emporter par la musique de Boukman Eksperyans, qui a clôturé l’événement dans une explosion de sons et de couleurs, nous avons retenu une. Les forêts d’Haïti, malheureusement surexploitées depuis les temps de la colonisation, sont le meilleur rempart contre les catastrophes dites naturelles. Elles peuvent sauver des vies : protégez-les, elles vous protègeront.
AUTEUR

Elena Sartorius esartorius@geneva-link.chs


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