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Élection : coupée du monde, la Gambie attend les résultats

vendredi 2 décembre 2016

Coupure d’Internet, interdiction de manifester dès la publication des résultats... Face au vrai-faux suspense de cette élection, Yahya Jammeh impose sa réalité.

Par Joséphine Johnson

Ce devait être l’élection la plus ouverte, la moins prévisible, mais, après avoir voté en masse ce jeudi 1er décembre, les Gambiens se retrouvent coupés du monde, sans accès à Internet ni communications téléphoniques. Une pratique observée dans d’autres élections récemment en Afrique, comme au Gabon, au Congo et au Tchad, justifiée par le gouvernement par la volonté d’empêcher la diffusion de résultats non officiels.

Pas encore de résultats définitifs

Selon de premiers résultats annoncés à la télévision par la Commission électorale, M. Barrow l’emportait symboliquement sur l’ensemble des circonscriptions de Banjul, avec 49,67 % des voix, devant M. Jammeh, à 42,64 %, et Mama Kandeh, ex-député du parti au pouvoir, candidat d’une nouvelle formation, à 7,6 %. Dès la fermeture des bureaux de vote, qui ont connu une grande affluence, a commencé le décompte des billes déposées dans les trois bidons de couleurs différentes – vert pour Jammeh, gris pour Barrow et violet pour Kandeh –, un système de vote unique dans le monde.

À Banjul, de longues files d’électeurs étaient visibles devant les bureaux de vote, dès l’ouverture. « Par la grâce de Dieu Tout-Puissant, ce sera le plus grand raz-de-marée de l’histoire de mes élections dans ce pays », a lancé Yahya Jammeh, après avoir voté au siège de la Fédération de cricket de Banjul. Comme à son habitude, il portait un boubou blanc et des lunettes noires, tenant un Coran et un sceptre. Yahya Jammeh, porté au pouvoir par un coup d’État en 1994, a été élu pour la première fois en 1996, puis réélu trois fois.

L’opposant Adama Barrow a affiché la même assurance. « S’il [Jammeh] perd, il faut qu’il reconnaisse sa défaite. Et nous savons qu’il va perdre », a-t-il déclaré à l’AFP après avoir voté.

La parole libérée suffira-t-elle ?

Malgré la répression, la parole se libère depuis des manifestations en avril pour réclamer des réformes politiques, puis pour protester contre la mort en détention d’un opposant et la condamnation en juillet à trois ans de prison ferme d’une trentaine de participants à ces rassemblements, dont le chef de l’opposition, Ousainou Darboe.

Un homme d’affaires, Sulayman Jallow, s’est dit impatient d’une alternance, après 22 ans. « Cela fait trop longtemps », a-t-il affirmé, ajoutant : « Nous avons été marginalisés, persécutés et torturés. » « Notre président est un type travailleur, un homme bien, il aime tout le monde », a au contraire estimé Modou Job, 36 ans, peintre en bâtiment.

Résumant la crainte de violences au sein de la population, Kaddy Kanu, une femme de 30 ans, a affirmé que « l’important, c’est que ce soit une élection pacifique. Nous voulons simplement voter dans le calme et rentrer à la maison. » Jammeh a prévenu qu’il ne tolérerait aucune contestation des résultats dans la rue, mais exclusivement devant les tribunaux, assurant que la fraude était impossible.

Face à la menace, Jammeh préfère couper les réseaux

Le ministre de l’Information Sheriff Bojang a justifié l’interruption des communications par la nécessité d’« empêcher les gens de donner de fausses informations, comme au Gabon », en référence aux troubles dans ce pays après la présidentielle du 31 août. « C’est une mesure de sécurité qui sera levée dès que les résultats seront annoncés », a-t-il assuré. Amnesty International a dénoncé dans un communiqué ce blocage qui « dissipe l’illusion de liberté apparue pendant les deux semaines de campagne électorale ».

Selon des analystes et l’opposition, c’est la première fois que le régime, qui a survécu à de nombreuses tentatives de coup d’État, est sérieusement menacé par un scrutin, au terme d’une campagne marquée par l’expression d’un pluralisme inhabituel. Adama Barrow s’est engagé à respecter le mémorandum adopté par l’opposition, qui prévoit la mise en place d’un gouvernement de transition pendant trois ans. En dépit des accusations des ONG et de certaines chancelleries qui dénoncent des disparitions forcées et le harcèlement de la presse et des défenseurs des droits de l’homme sous son régime, Yahya Jammeh compte de nombreux partisans. Beaucoup de Gambiens portent à son crédit la stabilité du pays et certains progrès, notamment en matière d’éducation et de santé. Mais de nombreux autres fuient la pauvreté et la répression.


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