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Lettre à ma fille sur les élections Bloc-notes.

mercredi 28 septembre 2016

Te voilà en âge de voter. Je n’avais pas cette chance lorsque j’avais ton âge. Un président à vie nommait les députés qui échangeaient parfois le blanc de leurs habits de cérémonie pour le bleu des tontons macoutes. C’est quand même un progrès pour la population de pouvoir choisir ses représentants.
Même si l’on constate de par le monde que les représentants des peuples les représentent de moins en moins, et qu’une fois élus, les élus changent de discours, de pratiques et se contentent d’obéir au diktat des puissants. On constate aussi qu’ici comme ailleurs, il est des candidats qui ne disent rien ; d’autres qui crient, d’autres qui ne semblent pas trop bien savoir ce qu’ils disent et ne donnent guère l’impression qu’il y a du cœur derrière les mots.
Il y a ceux qui te diront qu’ici comme ailleurs, voter n’a pas ou plus de sens. Je les entends. J’entends aussi ceux qui disent qu’il faut à chaque instant de la vie politique prendre ce que l’on peut et choisir le moins pire.

Te voilà en âge de voter. Mais à part cette liberté que le sang, le courage de héros anonymes t’offre aujourd’hui, peu de choses ont changé. Comme si ce pays s’était installé dans des continuités successives qui participent d’un même temps long marqué par des écarts sociaux inacceptables.

En haut, nous avons appris avec ces écarts, à en profiter. Ils sont devenus pour nous la norme, et il nous est difficile de voir comme nos égaux ceux qui ont eu la part congrue. En bas, nous avons profité de colères légitimes pour des sorties individuelles, des réussites personnelles qui n’ont guère modifié les structures sociales. Si j’osais te donner un conseil, je te dirais que c’est contre cette continuité qu’il faut voter. Celle qui fait les porteuses d’eau et les analphabètes. Celle qui fait des citoyens qui ont deux langues et d’autres qui n’en ont qu’une. Et, dans ces continuités successives, celle qui fait que, depuis quelque temps, nos dirigeants ne dirigent pas, mais s’inclinent, obéissent. Le meilleur de ces élections qui viennent n’est peut-être pas leur résultat, mais le semblant de regain de dignité qui marquait leur tenue.
Si j’osais te donner un conseil, je te dirais qu’y a-t-il donc ici à préserver ? Un système éducatif qui marche ? Un système de santé ? Une éthique républicaine ? Des droits pour tous protégés par l’État ? Rien, devant l’inacceptable, n’est plus avilissant, limitatif et saugrenu que la peur de rompre.

Si j’osais te donner un conseil, je te dirais, peut-être y a-t-il dans le lot, ni saint ni prophète, quelque chose pouvant aller dans le sens de la rupture, vers l’égalité citoyenne. N’est-ce pas cela qu’il faut chercher si citoyenne tu te veux, si humaine tu te crois ? Si tu ne trouves rien de cela, tu peux aussi rester chez toi. T’es trop jeune pour donner ta voix à cette odieuse continuité.

AUTEUR

Antoine Lyonel Trouillot

zomangay@hotmail.com


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