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Migration

Les sans-papiers haïtiens ne sont plus les bienvenus aux États-Unis

vendredi 23 septembre 2016

Coup de tonnerre dans le ciel jusque-là serein des migrants haïtiens qui arrivaient par centaines aux portes des Etats-Unis depuis la frontière du Mexique. L’administration Obama vient de trancher dans le vif. Avec la reprise totale des expulsions, qui ont pris effet jeudi matin, les Haïtiens qui arrivent à la frontière sans visa seront mis en procédure d’expulsion accélérée. Le message de l’administration américaine à ces migrants Haïtiens est clair. Retournez d’où vous venez ou allez ailleurs.

L’administration Obama, en réponse à une vague de migrants haïtiens qui cherchent à entrer aux États-Unis, a déclaré jeudi qu’il a repris pleinement les expulsions d’immigrants haïtiens sans-papiers. Cette décision met fin à un moratoire de six ans sur les déportations en Haïti jusque-là observé par les autorités américaines.

Après le tremblement de terre de 2010 qui a dévasté Port-au-Prince et ses environs, les États-Unis avaient suspendu les expulsions, en disant que le renvoi des Haïtiens vers leur pays d’origine à un moment de grande instabilité mettrait leur vie en danger. Environ un an plus tard, les responsables ont en partie repris les déportations, en se concentrant sur les personnes reconnues coupables de crimes graves ou celles considérées comme étant une menace pour la sécurité nationale des Etats-Unis.

Mais, depuis le printemps dernier, des milliers d’Haïtiens qui avaient émigré au Brésil en quête de travail ont afflué vers le nord, la plupart du temps par voie terrestre, remontant aux postes frontaliers américains qui mènent à la Californie du sud.

Peu sont arrivés avec des visas américains, mais presque tous ont été autorisés à entrer aux États-Unis parce que les agents d’immigration étaient interdits, en vertu de la modification de la politique d’expulsion, d’utiliser le processus d’expulsion accélérée souvent employé à la frontière pour les nouveaux arrivés sans-papiers.

Au lieu de cela, les migrants ont été placés dans un processus d’expulsion plus lent et ont été libérés, moyennant un rendez-vous à comparaître par-devant le tribunal de l’immigration à une date ultérieure, ont indiqué des responsables. Depuis le début de l’été, la plupart d’entre eux étaient autorisés à rester jusqu’à trois ans dans le pays en vertu d’une disposition de libération conditionnelle humanitaire, ont fait savoir les défenseurs des immigrants au New York Times.

Jeh Johnson, le secrétaire à la Sécurité intérieure, a déclaré dans un communiqué que les conditions en Haïti s’étaient « suffisamment améliorées pour permettre au gouvernement des États-Unis de déporter les ressortissants haïtiens sur une base plus régulière ». « Hier, poursuit le secrétaire Johnson, j’ai ordonné, et ceci immédiatement, que la mise en application de décisions concernant les citoyens haïtiens soit en accord avec les pratiques en vigueur [en ce qui concerne d’autres nationalités], conformément au mémorandum que j’ai signé le 20 novembre 2014 [...] Ces règlements priorisent la déportation de criminels condamnés ou ceux reconnus coupables de délits graves ou multiples, et d’individus appréhendés au niveau des ports d’entrée au moment où ils essaient d’entrer illégalement aux États-Unis d’Amérique. »

Bien que la déclaration de M. Johnson ne mentionne pas l’afflux récent des Haïtiens le long de la frontière sud-ouest, les responsables de la sécurité intérieure, au cours d’une conférence téléphonique avec des journalistes, ont évoqué la vague de migrants comme l’autre facteur clé dans la décision de l’administration.

Selon le Miami Herald, on estime que 2.000 Haïtiens se retrouvent actuellement avec une ordonnance définitive d’expulsion déjà émise par un juge de l’immigration des États-Unis.

Depuis octobre dernier, selon les autorités, plus de 5000 Haïtiens sans visa sont arrivés à San Ysidro qui relie Tijuana, au Mexique, et San Diego aux Etats-Unis. En comparaison, 339 Haïtiens sans visa étaient arrivés à San Ysidro pour l’exercice 2015.

Entre 4000 et 6000 Haïtiens supplémentaires seraient encore sur la route en provenance du Brésil, ont fait savoir les défenseurs des immigrants à San Diego et à Tijuana, selon les estimations, des abris provisoires le long de la route migratoire du Brésil à Mexico.

Une légère hausse des expulsions pourrait ne pas se produire immédiatement. Les déportations exigent la coopération et la paperasse du pays d’accueil, et les responsables de la sécurité intérieure ont fait savoir qu’ils étaient toujours en négociations avec le gouvernement haïtien sur le changement de politique.
Cette annonce intervient moins de trois semaines avant les élections du 9 octobre prochain.

Le président Jocelerme Privert, qui a rencontré très brièvement mardi dernier le président Barack Obama en marge de l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies à New York, a déclaré au Miami Herald que la question de la migration avait été soulevée au cours de leur bref échange. Alors que le flux des Haïtiens n’a pas été soulevé spécifiquement, Privert dit que c’est une préoccupation pour de nombreux pays voisins d’Haïti.

« La solution à ce problème est de créer de nouvelles conditions, de nouvelles opportunités de travail pour les gens », a-t-il dit, notant qu’il a récemment créé une commission à Port-au-Prince pour examiner la question, y compris la façon de traiter les rapatriements. « Cela exige la stabilité et des élections honnêtes, transparentes et crédibles […] »

Selon un communiqué émanant du Bureau de communication de la présidence, au terme d’une rencontre, le lundi 19 septembre au Palais national, avec divers acteurs directement concernés par la problématique des déportations massives d’Haïtiens en situation irrégulière dans certains pays, ces derniers se sont mis d’accord sur la nécessité de la mise sur pied d’une commission permanente à même d’accueillir, encadrer et porter assistance à nos compatriotes en situation difficile à la suite de leur rapatriement forcé.

Dans l’intervalle, selon les autorités, presque tous les Haïtiens arrêtés à la frontière et inscrits au processus d’expulsions accélérées seraient placés dans des centres de détention.

Les représentants ont précisé, cependant, que le droit d’asile continuerait à s’appliquer aux Haïtiens nouvellement arrivés. Un migrant qui craindrait de retourner en Haïti en raison de la menace de persécution ou de torture serait interrogé pour déterminer si cette crainte est crédible. Si un agent d’immigration l’atteste, l’immigrant peut demander l’asile.

Les immigrants haïtiens couverts par statut de protection temporaire ne seraient pas affectés par ce changement de politique. Mais, il affectera des milliers d’Haïtiens bloqués au Panama, au Costa Rica et qui sont en transit dans d’autres nations d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud, partant du Brésil pour atteindre la frontière des États-Unis avec le Mexique.

Un porte-parole du Département d’État américain, Mark Toner, a déclaré au Miami Herald que l’administration américaine était prête à travailler avec les gouvernements régionaux sur une solution coordonnée.

Au cours de l’été, la hausse inhabituelle des migrants haïtiens a été accompagnée d’une hausse tout aussi inhabituelle chez les migrants de plus de deux douzaines d’autres pays, presque tous ont entrepris le voyage le long des mêmes routes difficiles de l’Amérique du Sud, traversant au moins dix frontières.

La vague migratoire a vu les abris provisoires débordés le long du trajet, en particulier à Tijuana, où les quatre principaux abris ont été au-dessus de leur capacité pendant une grande partie des quatre derniers mois, tout en luttant avec des barrières linguistiques et culturelles. Certains migrants, parce qu’ils étaient incapables de trouver un logement ou voulaient éviter de séjourner dans un abri, ont choisi de dormir dans les rues.

Les Haïtiens ont commencé à migrer vers le Brésil en grand nombre après le séisme. Haïti était sous le choc, mais le Brésil était en expansion, et il y avait là-bas un besoin de main-d’œuvre bon marché, surtout avec la Coupe du monde et les Jeux Olympiques qui étaient imminents.

Des milliers d’entre eux sont arrivés au Brésil, souvent en passant par l’Équateur, un pays limitrophe, avec une politique d’immigration laxiste. Au Brésil, beaucoup ont obtenu des visas humanitaires qui leur ont permis de travailler.

Mais, au milieu des convulsions politiques et économiques du Brésil au cours de ces deux dernières années, de nombreux Haïtiens ont perdu leur emploi ou ont sombré plus profondément dans la pauvreté.

La migration vers le nord a commencé sérieusement au cours du printemps, avec un grand afflux à Tijuana à la fin du mois de mai, et la hausse a continué. Certains migrants sont morts pendant le voyage, beaucoup se sont noyés en essayant de passer à gué des rivières en crue.

Le changement dans la politique américaine a pris les défenseurs à San Diego et à Tijuana par surprise.

« C’est un choc complet et total », a déclaré Ginger Jacobs, un avocat d’immigration et présidente du « San Diego Immigrant Rights Consortium. » « Nous sommes très déconcertés par ce qui semble être un [virage] complet [à] 180 degrés en termes de politique. »

Elle a ajouté : « Nous nous opposons à un changement de politique qui ne semble pas refléter tout changement réel dans la réalité. »

Margarita Andonaegui, la coordinatrice d’un abri principal pour migrant à Tijuana, a déclaré au New York Times, mercredi après-midi, qu’elle avait reçu ce qui semblait être des nouvelles encourageantes : les autorités américaines allaient augmenter leur capacité de traitement pour les Haïtiens, de 50 à 150 par jour.

Mais à la lumière de la nouvelle politique d’expulsion, cette information a pris un autre sens.

« Ils vont les recevoir pour les expulser », a déclaré Mme Andonaegui. « Ce sont de mauvaises nouvelles. »

Sources Miami Herald & New York Times

AUTEUR

Patrick Saint-Pré

sppatrick@lenouvelliste.com


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