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Haïti dépense plus pour évaluer ses élèves que pour les former

jeudi 8 septembre 2016

Il était une fois, une famille élargie qui avait 15 enfants. Non sans peine, elle arriva à scolariser 12 des enfants. Après des années de redoublements et d’abandons, 3 seulement finissent par atteindre la classe de rhéto. 2 y échouent et 1 finit par atteindre la classe dite de philosophie.

Alors, toute la famille se réunit pour discuter des résultats de ses 3 bacheliers, dont on est si fiers, « élitisme » oblige. Par honte peut-être, ou fatalisme, personne n’ose aborder le sort des 12 autres enfants, en particulier les 9 autres laissés au bord de la route par le système éducatif.

Le cas de cette famille illustre plus ou moins la situation du pays tout entier. Alors qu’à peine 20% des enfants inscrits à l’école atteignent la classe de rhéto, tout le focus est mis sur les deux dernières années du secondaire.

En 2014, plus de 500 millions de gourdes étaient prévus, comme dépenses directes pour les 4 examens officiels. Le baccalauréat représente plus de 75% de ce montant tandis que bon nombre d’enseignants accumulaient des arriéré de salaires, déjà très bas. Il faut savoir que, dès le mois de janvier, toute la machine du MENFP est mobilisée pour réaliser cette opération qui représente la plus importante activité de ce ministère, incluant tous les coûts indirects. Sans compter les dépenses additionnelles des parents, notamment pour habiller ces bacheliers, tirés à 4 épingles pour la circonstance. Conclusion, de tout temps, on dépense plus pour évaluer un élève du bac que le montant investi pour sa formation pendant l’année de son évaluation. D’où cette décision qui exigeait que les enfants fassent leurs examens avec leurs uniformes de tous les jours. Des milliers d’enseignants (2 967) avaient fini par être payés entre 2014-2015 grâce aux économies de la réforme des examens officiels. Finalement, que peut-on attendre d’un système qui dépense si peu dans la formation des enseignants et leurs conditions de travail ?

Aujourd’hui, la priorité du système éducatif haïtien devrait être le succès pour tous, passant par des salles de classe où les enfants apprennent réellement, peu importe leur profil d’apprenant. Ce débat sur les rescapés du baccalauréat est tout à fait légitime et utile, mais peut paraître comme un déni de la réalité de l’échec scolaire massif que certains appellent un “génocide scolaire”. C’est aussi un gaspillage énorme sans retour social. En effet, depuis plus de 30 ans, près de 80% échouent en rhéto chaque année et environ la moitié de ces rescapés échouent en philo. Mais qu’en est-il de la grande majorité ? D’où l’importance de véritables évaluations bien avant ces examens officiels qui agissent aujourd’hui plutôt comme une “autopsie”, c’est-à-dire, quand il est trop tard. Les parents et l’État ne doivent plus assumer ce coût financier et social énorme de l’échec scolaire.

Il faut davantage d’évaluations, plutôt en salle de classe. De vraies, qui permettent au système d’apprendre réellement du pourquoi des échecs, matière par matière afin d’y remédier, voire améliorer les scores aux examens officiels. Ce n’est pas par hasard que les 12 mesures proposent une évaluation nationale dès la 4e année fondamentale, mais moins coûteuse. Ce n’est pas non plus par hasard que les résultats de 2014-2015 étaient présentés par école et par matière afin de permettre aux écoles de commencer à faire leur propre diagnostic.

Pourquoi 2 examens officiels au secondaire et 13 ans de scolarité avant l’Université (au lieu de 12) ?

Il est un fait que notre système éducatif consomme beaucoup de temps inutiles et inefficaces. Il devra tôt ou tard abandonner le long parcours de ces 13 ans de scolarité (9 du fondamental et 4 du secondaire) pour s’aligner aux 12 années de scolarité avant l’université. Après tout, quelle est la véritable valeur certificative sur le marché du travail du diplôme d’État, jadis bac 1 ? La déclaration finale d’Incheon de mai 2015 à laquelle Haïti souscrit est claire sur cet alignement en son point 6 : “.. nous assurerons 12 années d’enseignement primaire et secondaire de qualité, gratuit et équitable, financé sur fonds publics, dont au moins 9 années obligatoires, débouchant sur des acquis pertinents”. C’est déjà le cas partout autour de nous.

Il est aussi important de rappeler que les travaux de la commission présidentielle du Groupe de Travail sur l’Éducation et la Formation (GTEF), publiés en 2010, soulignaient : « Dès l’année scolaire 2011-2012, il est recommandé d’éliminer les examens de rhéto et d’organiser un seul examen de fin d’études secondaires. Ces examens devront porter sur l’ensemble des connaissances et des compétences jugées essentielles (CCE) qu’un finissant au secondaire doit maîtriser. »

Toutefois, la résistance est et sera énorme et les impacts ne sont pas pour demain. Certes, les quatre examens officiels ont subi quelques modifications. On avait bien connu, bien avant les mesures récentes, l’élimination des langues mortes (le latin en particulier) de même que le retrait des examens oraux au baccalauréat. Mais, les examens officiels, seuls, ont peu d’influence sur le parcours scolaire et ne vont guère suffire pour permettre au système de s’améliorer. Les “bonnes écoles” savent trier les “meilleurs” afin d’avoir de bons scores.

Mieux apprendre, mieux réussir, gagner du temps, mieux dépenser, s’aligner sur un parcours mondial de 12 ans de scolarité avant l’université exige parallèlement qu’on mette des bouchées doubles au niveau de la réforme du curriculum afin de ne pas pénaliser le jeune Haïtien. Bien plus que les examens officiels, l’heure est aussi venue de commencer à comparer les résultats de nos enfants aux autres de la région, en lecture, écriture, mathématique, etc.

Avec ou sans le bac 1, le problème de l’échec scolaire reste entier

S’il est bien évident que l’échec scolaire haïtien commence avant le bac, on peut toutefois rappeler que les résultats du bac de 2016 sont la suite logique des échecs des années antérieures. Ni plus, ni moins, sauf qu’en 2016 tout se passe sur une année et non étalée sur deux. En 2013-2014, sur 165 541 bacheliers de la rhéto, seuls 22.65% avait réussi ; tandis que sur les 70 136 de la philo, 63.53% avaient réussi portant le taux national à seulement de 34.81%. C’est à la suite de cela que les 12 mesures avaient été annoncées, tout en sachant qu’il faudra bien plus que cela et beaucoup d’années de réformes assidues pour inverser la tendance. Il faut chercher les racines de l’échec scolaire ailleurs et bon nombre de rapports et d’articles récents de professionnels haïtiens ont souligné les problèmes liés à la réalité des conditions d’apprentissage dans les salles de classes dès le préscolaire (curriculum, langue, pédagogie, manuels, effectifs, formation des enseignants, budget, etc.)

Tout ce qu’il faut souhaiter est que les réformes allant dans le sens de l’amélioration de la condition enseignante, de la professionnalisation du métier, pessant par le permis d’enseigner (35 000 provisoires déjà distribués) se poursuivent. Il en est de même pour le renforcement de l’Office national du partenariat en éducation, installé en 2015, qui a un rôle clé dans la mise en place du Pacte national pour une éducation de qualité, déjà recommandée dans le rapport/recommandations du GTEF de 2010. Il est aussi souhaitable que l’Inspection générale de l’Éducation nationale et de la Formation professionnelle (IGAENF), installée aussi dans la foulée des 12 mesures, joue pleinement son rôle à la fois de veille et fasse des recommandations sur ce dossier d’échec scolaire. Il en est de même pour les travaux de la Commission nationale de la réforme curriculaire ainsi que la nouvelle politique nationale sur la petite enfance, adoptés et distribués récemment. Il n’y aura pas de miracle. Il faut du temps, de la détermination et davantage de budget pour investir très tôt dans des compétences cognitives de base.

Pour ma part, il est intéressant de constater finalement ce débat citoyen sur le système éducatif haïtien, qui complète ces débats d’experts. C’est l’idée du village tout entier, décideurs publics, penseurs, critiques, citoyens ordinaires qui veillent sur ses enfants, et cela dès le préscolaire. Je dirais même plus, surtout le préscolaire, car il est venu le temps de recommencer dès le début et d’attendre patiemment les résultats. On ne gomme pas en quelques années et avec quelques mesures ou réformes un siècle de retard.

Voilà, mes premières réflexions en ce début d’année scolaire 2016-2017 dans l’espoir que des efforts additionnels seront faits au niveau de toute la communauté éducative pour améliorer le système éducatif.

AUTEUR

Nesmy Manigat, Genève 7 septembre 2016


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