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Face à Donald Trump, Hillary Clinton veut rassembler les Etats-Unis

samedi 30 juillet 2016

Par Nicolas Bourcier (Philadelphie (Pennsylvanie), envoyé spécial) et Gilles Paris (Philadelphie (Pennsylvanie), envoyé spécial)

La course est lancée. En acceptant, jeudi 28 juillet, l’investiture démocrate pour la présidentielle du 8 novembre, Hillary Clinton a fait le vœu de devenir la première femme élue à la présidence des Etats-Unis. L’objectif principal assigné à la convention de Philadelphie était de mettre en ordre de marche un parti fracturé par une longue campagne et l’émergence d’une aile gauche exigeante, incarnée par Bernie Sanders.

Cette mission a été remplie, même si certains soutiens irréductibles du sénateur du Vermont, qui s’est montré, lui, d’une loyauté sans faille, ont tenté jeudi de perturber le discours de l’ancienne secrétaire d’Etat, soulevant en retour de rugissants « Hillary ! Hillary ! » dans une salle pleine à craquer. « Je veux remercier Bernie Sanders. Et vous qui l’avez soutenu, ici et à travers le pays, je veux que vous sachiez que je vous ai entendus. Votre cause est notre cause », a assuré la candidate officielle dès le début de son intervention.

En
Mme Clinton devait ensuite convaincre son public, et, au-delà des murs de Philadelphie, les Etats-Unis tout entiers, qu’elle était prête à la fois pour la fonction et pour affronter son adversaire républicain, Donald Trump. Peu réputée pour ses qualités d’oratrice, elle avait à répondre à un défi redoutable : parler après deux magiciens du verbe, après « l’homme de Hope », ville natale de Bill Clinton, qui s’était exprimé mardi, et après « l’homme de l’espoir » (« hope »), le président Barack Obama, qui avait défendu son ancienne secrétaire d’Etat la veille.

Elle a relevé ce défi à sa manière, sérieuse à défaut d’être lyrique, défendant une politique du quotidien qui se gagne « pas à pas, année après année et parfois même porte après porte », parsemant son propos de récits de rencontres faites au fil de sa campagne.

« Avec votre aide, je porterai toutes vos voix et vos histoires à la Maison Blanche », a-t-elle assuré. « C’est vrai, je suis obnubilée par les détails des dossiers politiques », a avoué celle que ses anciennes collègues du Sénat avaient décrite quelques heures plus tôt comme un bourreau de travail, et qui venait de mentionner le scandale de l’eau contaminée de la ville de Flint (Michigan). C’est « parce que ce n’est pas juste un détail s’il s’agit de votre enfant, s’il s’agit de votre famille. C’est important. Et ce devrait être important pour votre président ».

L’autre but était de répondre au tableau angoissant du pays peint par Donald Trump lors de la convention de Cleveland (Ohio), une semaine plus tôt. « Il veut que nous ayons peur de l’avenir et que nous ayons peur les uns des autres. Mais nous n’avons pas peur. Nous relèverons les défis comme nous l’avons toujours fait. (…) Nous sommes lucides devant ce à quoi notre pays est confronté », a-t-elle soutenu, avant d’attaquer le magnat de l’immobilier sur un point précis de son discours, lorsqu’il avait assuré qu’il était « le seul » à pouvoir répondre aux défis américains. Une phrase pareille doit « vous alerter », a-t-elle dit.

« Les Américains ne disent pas ça, ils disent “nous” allons les régler ensemble », le mot sans doute le plus répété de toute la convention. Elle a promis :

« Je serai la présidente des démocrates, des républicains et des indépendants. De ceux qui luttent, de ceux qui s’accrochent et de ceux qui réussissent. De ceux qui auront voté pour moi comme de ceux qui ne l’auront pas fait. De tous les Américains. »

« Il veut nous séparer du reste du monde », a poursuivi l’ancienne secrétaire d’Etat, qui a invité son public à retirer au candidat jugé « dans la poche » du lobby des armes à feu le bénéfice du doute pour ses dérapages : « La triste vérité est qu’il n’y a pas d’autre Donald Trump. Il est vraiment comme ça. » « Il perd son calme à la plus petite provocation. Imaginez-le dans le bureau Ovale confronté à une crise réelle, a-t-elle lancé. Un homme que vous pouvez appâter avec un Tweet n’est pas un homme auquel vous pouvez confier des armes nucléaires. »

« Heureuse pour les grands-mères et les petites filles »

Puis Mme Clinton devait répondre sur le fond à M. Trump, s’attaquer à la petite musique décliniste qui trouve un écho certain aux Etats-Unis, notamment auprès de l’électorat blanc séduit par ses déclarations contre l’immigration et les traités de libre-échange.« Certains d’entre vous sont en colère, voire furieux. Et vous savez quoi ? Vous avez raison », a convenu Mme Clinton, jugeant que la reprise économique « n’est pas encore à la hauteur ».

La candidate démocrate a patiemment tissé la promesse d’un avenir commun fait d’opportunités, listant les compromis passés avec M. Sanders, pour un meilleur accès à l’éducation supérieure et une meilleure protection sociale. Elle a une nouvelle fois répété son opposition « aux traités [commerciaux] injustes », une exigence de l’aile gauche démocrate qui s’est bruyamment manifestée sur ce point pendant les quatre jours de la convention. Et promis que Wall Street ne l’emporterait jamais sur « Main Street », les Etats-Unis des classes moyennes.

Mme Clinton, qui avait repris pour la dénoncer la thématique des « murs » développée par le magnat de l’immobilier, s’est enfin attachée à souligner la fracture d’une autre muraille.

« Ce soir, nous avons atteint une étape marquante dans le chemin de notre nation vers une union plus parfaite. C’est la première fois qu’un grand parti désigne une femme pour être présidente. Je suis heureuse pour les grands-mères et les petites filles, et toutes celles qui sont entre les deux .(…) Je suis heureuse pour les garçons et les hommes aussi, car quand une barrière tombe pour quelques-uns en Amérique, cela ouvre l’espace pour tous. »

Cette première historique, c’est ce que Vallena Greer, une super-déléguée afro-américaine du Mississippi, a voulu retenir : « Je l’admire tellement, elle est tellement forte. Elle a su garder le cap malgré l’adversité. Elle a mis sa vie personnelle à part pour la chose publique. Les Etats-Unis n’ont toujours pas pris soin des femmes de talent comme Hillary. » Cette grand-mère est venue avec sa petite-fille, Jerrisha, 10 ans, « pour elle, pour qu’elle se dise elle aussi un jour qu’elle peut être présidente ».Les attaques contre la candidate ne la surprennent pas. « Tant de talent indispose la droite. C’était la même chose pour Barack Obama. »

« Nous sommes au milieu d’une grande révolution »

« J’ai toujours su qu’un jour, je verrais une femme entrer dans la Maison Blanche. J’ai pleuré hier, devant Obama et Hillary. Les voir ensemble ainsi sur la scène soulevait beaucoup d’émotions », renchérit Zina Kramer, 71 ans, déjà déléguée pour l’ancienne First Lady en 2008.

« Trump cible l’électorat masculin et blanc, mais il n’y a pas assez de Blancs pour le faire élire »

« Nous sommes au milieu d’une grande révolution, notre société est en train de changer, et les gens perçoivent ce qui en train de se passer, surtout les plus jeunes, on l’a vu dans la mobilisation pour Bernie. Trump cible l’électorat masculin et blanc, mais il n’y a pas assez de Blancs pour le faire élire »,assure Sheryl Abshire, une déléguée de Louisiane. Dans son intervention, Mme Clinton a témoigné de sa volonté de le lui disputer en affirmant : « Le Parti démocrate est le parti des travailleurs. »

Les irréductibles supporteurs de M. Sanders n’ont pas caché leur frustration. « J’aurais aimé voter pour une femme et la voir devenir présidente, mais pas elle, gronde Victoria Bard, 50 ans, élue du Colorado et pro-Sanders, affirmant qu’elle rendrait sa carte du parti dans les prochains jours. Elle a volé le vote, elle est malhonnête, elle fait partie de l’establishment et des gros bonnets. Elle attaque Trump, tout est concentré contre lui, mais elle ne dit rien sur ce qui fait son programme. J’ai toujours voté pour le moindre mal, mais je ne veux plus voter pour le mal tout court. C’est fini. »

Une voix vite masquée par l’allégresse qui a emporté le public à la fin du discours de Mme Clinton. Joni Gutierrez, du Nouveau-Mexique, dansait en agitant des pancartes « Plus forts ensemble ». « Le mur [sur la frontière mexicaine, souhaité par M. Trump]ne sera jamais construit. Les femmes vont toutes aller voter, il y aura plus de femmes dans les bureaux de vote pour battre cet électorat mâle blanc ! Le plus impressionnant est comment Bernie a inspiré la candidate et comment elle a repris ses propositions »,a-t-elle exulté. Après un début de convention tendu, la dernière nuit de Philadelphie était devenue celle de l’espoir pour les démocrates.


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