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Brexit : après l’abandon surprise de Boris Johnson, le Royaume-Uni au bord du chaos

vendredi 1er juillet 2016

Si le Royaume-Uni, sa population et son économie n’étaient pas en proie au stress post-Brexit, on ironiserait sur des mœurs politiques à mi-chemin entre une tragédie shakespearienne, les Monty Python et House of cards.

Mais l’assassinat symbolique de Boris Johnson – le porte-drapeau de la campagne du « out » au référendum –, perpétré jeudi 30 juin par son ami et allié Michael Gove, ministre de la justice, renforce le sentiment de chaos et de déliquescence de la vie politique dans un pays fier de son vieux système démocratique apaisé et stable.

Une semaine précisément après le vote qui a consommé la rupture avec l’Union européenne (UE) et provoqué la démission du premier ministre, David Cameron, le parti conservateur, engagé dans la procédure de succession, a donné l’image d’une collection de personnages égocentriques et irresponsables se livrant à un jeu de massacre pour assouvir leur ambition, après avoir incité les électeurs à prendre la périlleuse décision de rompre avec l’UE.

Assassiné par Brutus

La ministre de l’intérieur, Theresa May, au nombre des cinq candidats en lice pour le poste de premier ministre, apparaît confortée à l’issue de cette bataille rangée qui s’est traduite par le renoncement du grand favori, Boris Johnson, trahi par son second, Michael Gove.

Ce dernier, qui allait répétant qu’il n’était « pas équipé pour devenir premier ministre », a changé d’avis trois heures avant la clôture des candidatures (à midi jeudi), découvrant in extremis que son compère, l’ancien maire de Londres, n’était « pas fait pour le job ».

Boris Johnson « ressemble à un général qui conduit son armée au son du canon, et abandonne le terrain une fois le champ de bataille en vue », a résumé l’ancien ministre conservateur Michael Heseltine. De son côté, M. Johnson s’est comparé à Jules César assassiné par Brutus.

Pendant tout l’été, les adhérents des Tories vont voter pour sélectionner deux des cinq candidats, puis les départager. Le nom du vainqueur sera révélé le 9 septembre.

Jeudi matin, Boris Johnson avait choisi l’Ermin’s hotel, l’un des QG de guerre de Churchill, son modèle, pour lancer sa candidature. Ses supporters présents dans la salle ne connaissaient pas la teneur de son discours. Après avoir été applaudi à tout rompre, l’ancien maire de Londres, la coiffure blonde inhabituellement domestiquée, a énuméré longuement les tâches qui attendent le futur premier ministre, dont celle de rassembler les camps pro et anti-UE. Il parlait de lui, à n’en pas douter, pensait l’assistance.

Puis il a lancé : « Je dois vous dire, mes amis, vous qui attendez fidèlement la “phrase choc” de ce discours, qu’après avoir consulté mes collègues et considérant la situation au Parlement, j’ai conclu que cette personne [capable de devenir premier ministre] ne pouvait pas être moi. »

Le renoncement de « Boris » avait été si peu anticipé que Theresa May, la ministre de l’intérieur, en officialisant sa propre candidature un peu plus tôt, avait consacré l’essentiel de son discours à se démarquer de M. Johnson, qui devait être son principal adversaire. Elle a ironisé sur le caractère imprévisible et inexpérimenté du personnage.

Sur un ton très « dame de fer », la ministre a mis en avant sa fermeté dans de nombreux dossiers sécuritaires et son expérience des négociations internationales, notamment en matière de terrorisme. « Je m’appelle Theresa May et je suis la meilleure personne pour être premier ministre », a-t-elle modestement résumé.

Alors qu’elle a soutenu très mollement la campagne pour rester dans l’UE, la ministre de l’intérieur a déclaré : « Le Royaume-Uni va quitter l’UE. Le Brexit, c’est le Brexit. La campagne a eu lieu et le pays a rendu son verdict. Il ne peut y avoir de nouvelle tentative de rentrer en catimini, ni de second référendum. » Mme May a estimé que les négociations de sortie avec Bruxelles ne s’ouvriraient pas avant la fin de cette année, et a exclu des élections anticipées.

Michael Gove, candidat surprise

Le retrait de M. Johnson augmente les chances de succès de la ministre de l’intérieur, que des sondages donnaient déjà vainqueure avant le coup de théâtre de jeudi. Mais ces pronostics ignorent l’effet de la candidature surprise de Michael Gove qui, contrairement à Mme May, a été un défenseur acharné du Brexit et s’en prévaut vigoureusement. Proche à la fois de David Cameron et de Boris Johnson, il a manœuvré pour les coiffer tous les deux sur le poteau.

Jeudi matin, avant tout le monde, M. Gove avait renversé la table en annonçant, contre toute attente, qu’il se lançait lui-même dans la course. Les réseaux sociaux se sont alors très vite remplis des innombrables vidéos où M. Gove excluait de devenir le chef du gouvernement. « Je ne peux pas être premier ministre. Je ne suis pas équipé pour être premier ministre. Je ne veux pas être premier ministre », répétait il y a peu encore cet imprévisible personnage.

Les stratégies complexes qui ont conduit à ces règlements de compte en chaîne restent à reconstituer. La presse soupçonne George Osborne, ministre des finances de M. Cameron mais aussi ami proche de M. Gove, d’avoir été à la manœuvre.

Le scénario implique aussi la presse. Un courriel adressé par Sarah Vine, épouse de Michael Gove et chroniqueuse au tabloïd Daily Mail (pro-Brexit), laisse entendre que le magnat de la presse Rupert Murdoch, le propriétaire du Sun et du Times , proche de M. Gove, pourrait avoir joué un rôle.

Lady Macbeth

Dans ce courrier adressé « par erreur » à un tiers et révélé par SkyNews, Mme Vine met en garde son époux contre le manque de fiabilité de Boris Johnson. Elle précise que Rupert Murdoch « éprouve une antipathie instinctive » vis-à-vis de Boris Johnson, par ailleurs chroniqueur dans un quotidien conservateur rival, le Telegraph.

Telle Lady Macbeth, Sarah Vine aurait poussé M. Gove à trahir M. Johnson en lui prodiguant des conseils de méfiance. Pour compliquer le tableau, le Daily Mail, qui emploie l’épouse de M. Gove, soutient Mme May !

Mais la légèreté de M. Johnson a probablement aussi refroidi ses soutiens parlementaires. Au lendemain de son triomphe au référendum, il était parti jouer au cricket dans sa propriété de l’Oxfordshire. Lundi, dans sa chronique dans le Telegraph, il faisait mine de croire que rien ne s’était passé et que les Européens continueraient de pouvoir venir travailler librement au Royaume-Uni. Une assertion qui sonnait comme une trahison de ses propres promesses de campagne.


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