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Hillary Clinton, première femme candidate à la présidence

mercredi 8 juin 2016

Le 7 juin 2016 a effacé le 7 juin 2008. Ce jour-là, Hillary Clinton avait dû se résigner à entreposer ses ambitions pour rallier Barack Obama.


Elle a fini par prendre sa revanche en devenant mardi soir la première femme candidate à l’élection présidentielle des Etats-Unis. Si elle parvient à rassembler les familles démocrates dispersées par une campagne longue et âpre, elle pourra être une nouvelle fois la première au soir du 8 novembre : la première présidente, la première commandante en chef de l’histoire américaine.

Mme Clinton a bénéficié mardi d’un vote utile qui a laminé les derniers espoirs de son adversaire pour l’investiture, le sénateur indépendant du Vermont, Bernie Sanders, même si ce dernier a promis de faire campagne jusqu’aux ultimes primaires du district de Columbia, le 14 juin.

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Quelques heures plus tôt, Mme Clinton avait pris la parole en début de soirée près de son quartier général de Brooklyn, à New York, devant des partisans transportés par cet instant historique. L’ancienne secrétaire d’Etat, qui n’est pas une oratrice aussi brillante que M. Obama, s’est hissée à la hauteur de l’événement en l’inscrivant dans une perspective optimiste. Une conviction qu’elle ne va cesser d’opposer, manifestement, au tableau volontiers apocalyptique des Etats-Unis peint par son futur adversaire républicain, Donald Trump.

« Grâce à vous, nous avons franchi une étape importante, a lancé Hillary Clinton, c’est la première fois dans l’histoire de notre pays qu’une femme est investie par l’un des grands partis. » « La victoire de ce soir n’est pas celle d’une personne, elle appartient à des générations de femmes et d’hommes qui se sont battus et se sont sacrifiés et ont rendu possible ce moment (…). Cette nuit est la vôtre », a-t-elle poursuivi. Elle a été félicitée dans la soirée par M. Obama pour cette nouvelle page écrite. Ce dernier en avait gravé une autre en étant le premier Afro-Américain désigné comme candidat démocrate en 2008.

Nature prudente et centriste

Elle a pu d’autant plus savourer la victoire, définitivement confortée dans la soirée par des succès dans le New Jersey, le Dakota du Sud, le Nouveau-Mexique et un écart significatif en Californie, le plus important des Etats américains, que – comme en 2008 – un autre sénateur sous-estimé a entravé ce qui devait être une marche paisible vers la nomination. Mme Clinton s’est aussi compliqué la tâche par désinvolture, ou bien par aveuglement. En acceptant, quelques mois après le mouvement Occupy Wall Street, des milliers de dollars pour le prix de discours prononcés pour de grandes banques. En s’empêtrant ensuite dans la polémique née de la découverte d’un serveur et d’une adresse électronique privés utilisés pendant son passage à la tête de la diplomatie américaine, de 2009 à 2013.

Ces taches récentes sur un parcours déjà riche en « affaires » ont ravivé la question de sa « likeability », cette capacité, une incapacité en l’occurrence, à se faire apprécier des Américains. Un sondage de l’université Quinnipiac a souligné en mai que c’est avec M. Trump, et non avec Mme Clinton, que les personnes interrogées préféreraient boire une bière autour d’un barbecue.

Dans une année électorale meurtrière pour les dynasties et pour les carrières politiques classiques, Mme Clinton a ensuite été pénalisée par tout ce qui devait faire sa force : l’expérience considérée comme une soumission à un système politique déconnecté des réalités, un pragmatisme suspect pour les foules transportées par la promesse d’une « révolution politique », des accointances coupables avec Wall Street au moment où le creusement des inégalités devient insupportable pour une partie du peuple démocrate.

Cette colère sourde qui a propulsé le magnat de l’immobilier à la tête du camp républicain a contraint l’ancienne secrétaire d’Etat à forcer une nature prudente, instinctivement centriste, et qui a longtemps baigné dans la « troisième voie » qu’avait incarnée son mari, Bill Clinton, lors de ses deux mandats passés à la Maison Blanche. La campagne laborieusement engagée dans l’Iowa, où elle l’avait emporté sur le fil, et dans le New Hampshire, marquée par une gifle cinglante, a accentué cette évolution.

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L’héritage de Bill Clinton remis en cause

Avant même que les premiers bulletins de vote ne soient comptabilisés, Hillary Clinton avait déjà rejoint le sénateur indépendant du Vermont sur des positions tranchées, que cela soit contre la construction de l’oléoduc géant Keystone XL reliant les gisements de sables bitumineux de l’Alberta canadienne au golfe du Mexique, ou bien contre un traité de libre-échange avec des pays riverains du Pacifique pourtant central dans le « rééquilibrage » vers l’Asie souhaité par le président Obama.

Ce discours plus ferme adopté par une bonne partie des élus démocrates du Congrès sur les termes nécessaires d’un traité commercial international a constitué une remise en cause de l’héritage légué par son mari, le traité de libre-échange avec les pays de l’Atlantique Nord. Mais Mme Clinton ne s’est pas arrêtée là, critiquant avec M. Obama la politique d’incarcération de masse impulsée au cours de ces mêmes années de la présidence de Bill Clinton.

Au fur et à mesure que la campagne s’est durcie, sans parvenir cependant aux sommets acrimonieux atteints en 2008, l’ancienne secrétaire d’Etat s’est montrée moins définitive sur les propositions radicales portées par son rival : l’augmentation du salaire minimum, la gratuité des études supérieures ou encore une protection sociale universelle. Elle s’est même rapprochée de lui sur ce dernier point.

Devant ses partisans, mardi, elle a assuré que les échanges robustes avec M. Sanders « pour augmenter les revenus et réduire les inégalités » ont été « bons pour le Parti démocrate et pour l’Amérique ». Accusée de complaisance vis-à-vis des grandes banques, la future candidate s’est même permis un emprunt à son rival en répétant comme elle l’avait fait ponctuellement lors de ses réunions de campagne qu’elle veillera à la Maison Blanche que « Wall Street » ne dévaste pas une nouvelle fois « Main Street », c’est-à-dire le pays. Elle a également repris à son compte l’impératif pour le gouvernement « d’écouter ses citoyens plutôt que les éminences grises ».

« Les ponts meilleurs que les murs »

Ce glissement à gauche sera certainement mis en avant pour accélérer la réunification du camp démocrate. Elle sera facilitée par le choix fait par M. Sanders de ne pas mettre en avant pendant la campagne les controverses que Donald Trump a promis au contraire d’exploiter. « Les Clinton ont porté la politique d’enrichissement personnel au niveau de l’art », a assuré mardi le magnat de l’immobilier à propos de la fondation créée par l’ancien président démocrate à laquelle il a donné son nom. M. Trump a promis de consacrer prochainement une conférence de presse à ces sujets en début de semaine prochaine.

Le glissement à gauche de Mme Clinton sera certainement mis en avant pour accélérer la réunification du camp démocrate.

Face à cette entreprise de démolition qui a porté ses fruits pour le milliardaire au cours des primaires républicaines, Mme Clinton a martelé mardi le futur mot d’ordre de sa campagne : « Nous sommes plus forts ensemble ». « Les ponts sont meilleurs que les murs, c’est une idée simple mais puissante », a-t-elle ajouté pour se différencier de son futur adversaire, qui veut en ériger un sur la frontière avec le Mexique.

Au terme de quarante années de carrière (sortie de Yale, elle avait travaillé avec l’équipe de juristes chargés de la mise en accusation du président Richard Nixon), Hillary Clinton sait qu’elle ne peut plus susciter la surprise ni transformer la défiance en adhésion. Face à un adversaire républicain qui suscite autant de réactions de rejet qu’elle, mais qui ne cesse de heurter son propre parti, elle compte inlassablement opposer sa mesure et sa connaissance des rouages complexes du pays qu’elle veut présider. La guerrière, aguerrie et complexe, froide et déterminée, est désormais en première ligne. Là où elle a toujours souhaité arriver.

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