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Ces mots qui nous gouvernent (8) : la gauche

lundi 16 mai 2016

Qu’est-ce qu’être de gauche ? Est-ce être conservateur ou progressiste ? Frédéric Lazorthes se penche sur ce terme qui suscite tant d’interprétations...

Par Frédéric Lazorthes

La gauche française est en guerre avec elle-même. Pour la première fois, sous la Ve République, vingt-six députés issus du parti présidentiel ont tenté de déposer une motion de censure contre leur gouvernement. La querelle porte sur le droit à se réclamer de la gauche. Dans la rue, des locaux du PS sont saccagés. Sur les rangs de l’Assemblée nationale, les « frondeurs » du Parti socialiste dénoncent dans le « projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs », connu sous le diminutif de « loi travail », un renoncement à l’essence de la gauche tandis que les défenseurs du gouvernement mettent en avant une gauche moderne.

La discorde à gauche est une rançon de l’histoire. Ne devrait-on pas plutôt parler de la gauche au pluriel ? Mais dire les « gauches » reviendrait à renoncer à l’efficacité symbolique du mot que la France imposa au reste du monde : celle d’une division de la démocratie en deux camps, l’un attaché au progrès, l’autre à la tradition ; l’un au « mouvement », l’autre à « l’ordre ». Mais, précisément, ce n’est pas un contenu que la langue politique française privilégie, mais une position dans les assemblées. Dès la Révolution française, le « coin gauche » se rassemblait, selon l’observation d’un député de l’époque, « des hommes qui ont des opinions exagérées, mais qui, en général, ont de la liberté et de l’égalité une idée très élevée ». Même, au cœur de la Terreur, lorsque les Girondins furent mis aux arrêts en juin 1793, le « côté droit » de la Convention resta un temps désert… La gauche à la fois se voulait un camp et tout le peuple…

La gauche désignait les partisans des acquis de 1789

Mais où donc passe la ligne de partage ? Au début du XIXe siècle, la gauche désignait les partisans des acquis de 1789. « Toute la France est de centre gauche », selon Stendhal. Le libéral Benjamin Constant défendait l’unité de la gauche. Les Républicains de 1875 étaient des bourgeois de gauche. Mais l’émergence du mouvement ouvrier introduisit une fracture dont les débats actuels, en France, portent la marque, comme d’une colonne absente et évanouie : celle du socialisme. Les frondeurs seraient-ils les derniers gardiens d’un temple abandonné, d’autant plus nostalgiques que l’adieu au socialisme et le renoncement au marxisme n’ont jamais été proclamés afin de préserver ce qu’Aron appelait « le mythe de la gauche » ?

François Hollande l’a bien compris. Qu’importe le contenu de sa politique, l’essentiel réside dans la mythologie qu’elle invoque et dans l’imaginaire qu’elle porte. Paradoxe français, la gauche, depuis 1789, regarde toujours l’avenir à travers le prisme du passé. Le 3 mai, à l’occasion d’un colloque sur « la gauche au pouvoir » célébrant le 80e anniversaire de la victoire du Front populaire et le 25e de l’élection de François Mitterrand, François Hollande prononça l’un de ses discours les plus inspirés. Le fil conducteur : moi président, c’est la vraie gauche au pouvoir. Au fil de ce discours, qui définit la gauche comme le parti de la démocratie, de la justice, de l’égalité et de la « modernisation du pays », Hollande procède à un renversement de la mythologie de la gauche dans son rapport au pouvoir, dont le Littré, à sa manière, portait la marque : « gauche : parti de l’opposition dans les chambres françaises ».

Alors que longtemps la gauche française s’est pensée et vécue comme oppositionnelle, dressée contre le pouvoir, François Hollande réécrit l’histoire de la gauche en en faisant le parti du gouvernement de la France, associé à « toutes les grandes lois de la République ». La gauche, rappelle Hollande, c’est depuis Blum, le courage de gouverner : « La gauche doit, à chaque fois, prendre des décisions difficiles, assumer des responsabilités graves, et parce qu’elle est la France, être en avance même, par rapport à d’autres. »

Nul besoin de faire le deuil du socialisme

Être de gauche, c’est tout simplement assumer de gouverner. Une telle posture vise à la fois à mobiliser un électorat perdu et à séduire cette part croissante de l’opinion qui ne croit plus à la pertinence du clivage droite-gauche. La rhétorique hollandienne emprunte ainsi habilement au gaullisme : le « tragique » de l’histoire continue de peser sur le cours des nations, l’homme d’État est un homme d’« action » qui doit « moderniser » le pays, son sens de la « responsabilité » est sa « grandeur »… Nul besoin, dès lors de faire le deuil du socialisme. Et pour Hollande, la preuve qu’un gouvernement est de gauche, c’est qu’il apporte « toujours des droits nouveaux », sans prendre la mesure que le triomphe des droits individuels a fini par rendre le socialisme obsolète, mais aussi peut-être ce gouvernement républicain qu’il entend incarner.


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