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Justice du XXIe siècle : les 5 mesures qui vont fâcher la droite

mercredi 11 mai 2016

Divorce sans juge, suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs, droit de se syndiquer pour les magistrats… Ce que contient la loi Urvoas.

Par Marc Leplongeon

Jean-Jacques Urvoas va devoir déployer tous ses talents d’équilibriste s’il compte faire adopter à l’Assemblée nationale son projet de justice du XXIe siècle. Porté en son temps par Christiane Taubira, le texte, marqué à gauche, se veut « concret et pragmatique ». Et prévoit un allègement de nombreuses procédures (surendettement, Pacs, changement de prénom, etc.). Mais il est loin d’être aussi consensuel que veut le faire croire la chancellerie, si bien que l’opposition promet d’être farouche la semaine prochaine en séance plénière. Tour d’horizon des mesures les plus polémiques.

Divorce sans juge, divorce plus cher ?

Le gouvernement souhaite faciliter la vie des 66 000 couples qui divorcent chaque année par consentement mutuel. Selon les tribunaux, les délais d’attente peuvent être extrêmement longs : il faut compter entre trois et sept mois pour les juridictions les plus engorgées. Selon des statistiques fournies par la chancellerie, 99,9 % des divorces par consentement mutuel sont homologués par le juge, soit leur quasi-totalité. Le ministère propose donc de s’en passer. Chacun des époux devra avoir recours à un avocat qui veillera à ses intérêts. La convention de divorce sera ensuite homologuée sur la forme, non plus par le juge mais par le notaire. Le couple aura la possibilité de se rétracter dans un délai de 15 jours.

Pour Jean-Jacques Urvoas, ce nouveau divorce représente un gain de temps considérable pour les juridictions. L’obligation pour chacun des époux d’avoir recours à un avocat garantit à la partie la plus faible que ses intérêts seront convenablement protégés, assure-t-on place Vendôme. Un mécanisme doit cependant être trouvé pour empêcher que les prix des divorces ne flambent. « Ce n’est pas parce que les gens prennent deux avocats que le coût du divorce sera multiplié par deux », promet la chancellerie, sans toutefois convaincre. L’opposition est féroce. Le barreau de Paris a redit ces derniers jours son « attachement à l’intervention du juge ». « Au vu de la montée des intégrismes, un tel désengagement de l’État donne un pouvoir aux autorités religieuses alors que l’ordre public ne peut être garanti que par le juge », écrit le conseil de l’ordre dans un communiqué. Côté politique, la droite conservatrice devrait protester contre une mesure qui, après le mariage homosexuel, facilite une certaine désorganisation du modèle familial.

Suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs : une mesure laxiste ?

C’est une vieille marotte de la gauche et une promesse de François Hollande : faire primer l’éducatif sur le répressif, revenir à la spécificité de la justice des mineurs et en finir avec ces tribunaux correctionnels, instaurés par Nicolas Sarkozy, qui les jugent comme des adultes. Les TCM, comme on les appelle, jugent les mineurs récidivistes de plus de 16 ans poursuivis pour des délits graves punis d’au moins trois ans d’emprisonnement. Ces tribunaux traitent « moins de 1 % des contentieux concernant les adolescents », selon les chiffres fournis par la chancellerie, et sont donc considérés comme inutiles. La droite estime que les supprimer reviendrait à envoyer un message de laxisme et d’impunité aux jeunes délinquants. Une « idéologie dangereuse », selon le député LR Éric Ciotti. Dans les faits, les TCM ne proposent cependant pas davantage de peines de prison que les tribunaux pour enfants.

Infractions routières : un « délit de non-délation », selon Devedjian

Le ministre de la Justice, comme sa prédécesseur Christiane Taubira, a voulu dépénaliser certaines infractions routières. L’objectif était de remplacer les amendes pénales par de simples contraventions, plus rapides à prononcer. Ce faisant, le ministre privait cependant les magistrats de la possibilité d’infliger une peine de prison. La proposition, trop dure à avaler par l’opinion, avait suscité un tollé de la droite et des associations de victimes, lesquelles affirmaient que le message envoyé aux usagers de la route était catastrophique. Jean-Jacques Urvoas a donc trouvé une solution : les chauffeurs arrêtés pour avoir conduit sans permis ou sans avoir assuré leur véhicule seront désormais astreints à une contravention automatique de 800 euros. Ils ne seront donc plus convoqués devant le tribunal. L’officier de police judiciaire (OPJ) qui procède au contrôle aura cependant toujours la possibilité de saisir le procureur s’il estime le comportement trop grave.

Mais le projet de loi va encore plus loin et prolonge ce qui existe déjà en matière d’excès de vitesse. Désormais, lorsqu’une personne sera filmée sans son casque de moto ou sans sa ceinture de sécurité, elle sera verbalisée automatiquement. Les sociétés devront également livrer obligatoirement le nom de leurs employés qui ont été flashés par un radar dans leur voiture de fonction, sous peine d’être astreintes à une lourde contravention. « Un délit de non-délation, s’emporte en commission des Lois le député libéral Patrick Devedjian. Une atteinte à la liberté de conscience. Un texte immoral ! »

Des magistrats syndiqués !

Une mesure suscite particulièrement l’ire de la droite. Le gouvernement souhaite inscrire dans l’ordonnance de 1958 régissant les statuts de la magistrature le droit pour les juges de se syndiquer. Un droit qui existe déjà en pratique et qui est très contesté par Les Républicains depuis l’affaire du « mur des cons » du Syndicat de la magistrature. « L’affaire du mur des cons a instauré un malaise profond et accru la défiance des Français envers la justice », assure Éric Ciotti. Qui ajoute : les expressions syndicales « introduisent une confusion entre la fonction et la conviction » et portent atteinte à l’image de neutralité et d’impartialité que doivent renvoyer les magistrats. Dans l’affaire des écoutes Paul Bismuth, Nicolas Sarkozy lui-même avait tenté d’obtenir la récusation d’une juge pour son appartenance au Syndicat de la magistrature. Sans succès.

Un véritable juge des atteintes aux libertés

Enfin, le gouvernement souhaite faire du juge des libertés et de la détention (JLD) un juge spécialisé, au même titre que le juge d’instruction ou le juge des enfants. Il serait désormais nommé par décret du président de la République et ne pourrait plus être déplacé par le président de juridiction selon son bon vouloir. Malgré des pouvoirs très importants, le JLD jouit aujourd’hui de peu de considération. Il peut pourtant ordonner et prolonger des mesures de détention provisoire, autoriser ou pas des perquisitions et prolongations de garde à vue. C’est donc un rouage essentiel dans la machine pénale. Après avoir augmenté les pouvoirs du procureur en matière antiterroriste, Jean-Jacques Urvoas veut faire du JLD un véritable juge des atteintes aux libertés, un contrepoids au parquet. La droite tique et ne donnera peut-être pas son aval au projet.


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