MosaikHub Magazine

Tafta : le traité de libre-échange Europe-États-Unis expliqué aux nuls

mardi 26 avril 2016

Que négocie-t-on ? Risque-t-on de manger du boeuf aux hormones ou du poulet lavé au chlore ? Quel est le calendrier ? Notre analyse.

Par Marc Vignaud

Le 13e round de négociations sur le traité de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis a commencé lundi 26 avril à New York. Il doit durer jusqu’au vendredi 29 avril. En discussion depuis juin 2013, ce projet de partenariat fait l’objet d’intenses critiques de part et d’autre de l’Atlantique. Aux États-Unis, les deux principaux candidats aux primaires, Hilary Clinton et Donald Trump, affichent leur hostilité au projet porté par Barack Obama. Ils estiment que les travailleurs américains en seraient les grands perdants. En Allemagne aussi, la population semble de plus en plus réticente, malgré la volonté d’aboutir d’Angela Merkel : des dizaines de milliers de personnes ont manifesté samedi à Hanovre, dans le nord du pays, à la veille d’une visite de l’actuel président américain. De son côté, le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, Matthias Fekl, a estimé que sur "l’ensemble des sujets, aucun intérêt n’est pris en compte de la manière que nous souhaitons". Tour d’horizon des enjeux autour de cette discussion hors norme.

Que négocie-t-on ?

L’idée d’un accord de libre-échange entre les deux premières puissances économiques du monde a été lancée en 2011 dans un contexte de crise économique, sur fond d’échec des négociations multilatérales dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ses défenseurs estiment que l’intensification des échanges commerciaux et des investissements bénéficiera à la fois aux États-Unis et à l’Europe. L’accord porte sur trois grands thèmes : l’accès aux marchés respectifs de l’UE et des États-Unis, la coopération en matière de réglementation et les règles encadrant le commerce entre les deux blocs.

Le premier revient à réduire les barrières tarifaires qui existent toujours entre les États-Unis et l’Europe. Malgré leur forte diminution au fur et à mesure des accords de libre-échange multilatéraux (5,2 % du prix des produits en moyenne en Europe et 3,5 % aux États-Unis, selon les estimations de l’Organisation mondiale du commerce), elles sont encore très élevées outre-Atlantique sur le textile et l’habillement (respectivement jusqu’à 42 % et 32 %).

Mais l’Europe et les États-Unis cherchent avant tout à lever les obstacles "non tarifaires" à leurs échanges commerciaux. Cela revient à s’attaquer aux restrictions à la fourniture de services et à éviter la duplication des obstacles réglementaires. Cela pourrait passer par un travail de longue haleine pour la convergence des normes ou encore par leur reconnaissance mutuelle sur la base des standards définis par l’organisation internationale de la normalisation (ISO). Une voiture homologuée en Europe le serait par exemple automatiquement aux États-Unis ou l’inverse. Le travail a été mené sur les ceintures de sécurité, qui fournissent une protection équivalente des deux côtés de l’Atlantique, malgré les différentes exigences techniques. Ce processus, conduit notamment aussi dans la chimie, les produits pharmaceutiques ou le matériel médical, est censé bénéficier particulièrement aux petites entreprises, qui n’ont pas la même capacité à absorber les coûts induits par le respect de réglementations équivalentes mais différentes. L’enjeu est majeur : une telle harmonisation doit permettre à l’Europe et aux États-Unis d’imposer, à terme, leurs standards réglementaires au niveau mondial.

Enfin, le Tafta – acronyme anglais pour "traité de libre-échange transatlantique"– doit permettre de définir de nouvelles règles en matière de commerce et d’investissement. Cela passe, par exemple, par le très controversé projet de tribunal arbitral chargé de juger les différends entre les États-Unis ou l’Europe (voir ci-dessous).

La Commission européenne met en avant une étude indépendante de mars 2013 pour vanter les bénéfices potentiels de l’accord. La croissance de l’économie européenne serait stimulée de 120 milliards d’euros, entraînant des bénéfices pour les entreprises, mais aussi pour l’ensemble des particuliers. Ses exportations avec les États-Unis représentent 18,3 % du total et ses importations 12,2 % du total, ce qui fait de l’État fédéral le principal partenaire commercial de l’UE (15,2 % de son commerce extérieur).

Quel est le calendrier ?

La négociation n’a véritablement commencé que lorsque les 28 pays membres de l’Union européenne ont confié un mandat de négociation à la Commission européenne, en juin 2013. Depuis, les négociations traînent en longueur. Les négociateurs espèrent conclure d’ici la fin de l’année. C’est-à-dire avant la clôture de la présidence Obama et alors que l’opposition monte contre le libre-échange aux États-Unis. Mais cette échéance risque d’être dépassée, étant donné la complexité des discussions. Si elle aboutit, la négociation devrait être approuvée, et par le Parlement européen et par les États membres au Conseil européen ainsi que par chacun des parlements nationaux, puisque certains aspects (mineurs) de l’accord devraient probablement être de la compétence exclusive des États. Si ce n’était pas le cas, la France ferait barrage à l’accord.

Y a-t-il un problème de manque de transparence ?

De nombreux élus se plaignent du manque de transparence des négociations. "Chacun sait que l’Union européenne négocie avec les États-Unis un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP), mais personne ne sait ce qu’il contient. À l’heure où l’objectif affiché par beaucoup est de conclure un accord en 2016, il faut se battre pied à pied, comme le fait notre gouvernement, pour obtenir de la transparence, car ce n’est pas un privilège mais un droit", expliquent 60 députés et sénateurs PS, dans une tribune publiée dans Le Monde.

Une critique partiellement fondée. Confrontée de longue date à cette critique, la Commission essaie tant bien que mal d’afficher de régler le problème en organisant des consultations publiques ou avec des acteurs concernés (industriels, ONG...) tout en préservant la confidentialité des négociations. Elle rend compte des débats aux États membres. Début avril, le directeur général de la Direction du commerce de la Commission européenne, le Français Jean-Luc Demarty, a par exemple répondu aux questions de la Commission des affaires européennes du Sénat. La Commission européenne a aussi rendu publique sa position de négociation sur la coopération réglementaire, l’agriculture (notamment sur les vins et les spiritueux), les services financiers ou encore sur les services, l’investissement et le commerce électronique, mais aussi sur les cosmétiques, les produits pharmaceutiques, les véhicules, le textile, l’énergie, les PME, la propriété intellectuelle, etc.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie