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Bloc-notes -

Les écrivains chez les élèves

mercredi 20 avril 2016

Il est de coutume de dire que tout est mauvais dans le système éducatif haïtien, et la suspicion règne sur les propriétaires ou directeurs d’établissements scolaires. Pourtant, s’il y a bien un secteur que les écrivains haïtiens devraient remercier, c’est celui des établissements secondaires. Pas une semaine sans qu’une quelconque de ces institutions invite un ou plusieurs écrivains à rencontrer des élèves.

Ce n’est pas toujours bien fait, et les rencontres ne se valent pas. Parfois l’apparence des choses se substitue à l’efficacité. Rien n’est fait en amont. Les élèves n’ont pas lu les auteurs qui leur parlent ; des problèmes d’organisation font que le temps déborde et une atmosphère de kermesse rend toute vraie conversation impossible.

Mais le principe de la rencontre avec (et de la reconnaissance) des écrivains vivants reste quelque chose que l’initiative de certains enseignants de langues ou de lettres, parfois celle de responsables d’établissements eux-mêmes fait vivre. Dialoguer avec des jeunes et découvrir à chaque fois les inquiétudes qui les habitent, les espérances qui les animent, et le nombre impressionnant de lycéens des deux sexes qui veulent « entrer en littérature ».

Etre honnêtes avec eux. C’est ce que nous avons tenté, Jean-Euphèle Milcé et moi, samedi, en réponse à l’invitation d’une institution des Gonaïves. Les mettre en garde contre la maladie des mauvais romans d’amour, copies conformes des telenovelas, sans autre projet humain, sans réflexion profonde sur le réel ni le langage, qui fait la petite fortune de quelques nouveaux « auteurs ». Aujourd’hui, un titre qui fait sex–shop, un texte dans lequel il n’y a pourtant ni érotisme ni écriture, une photo de l’auteur(e) faisant des clins d’œil au lecteur, et voilà le nouveau roman au pays d’Alexis, d’Emile Ollivier et de Marie Chauvet.

Etre honnêtes avec eux. Parler franchement. Durement. Faire valoir aussi la nécessité du radicalisme, de ne pas passer son temps à donner raison aux choses simplement parce qu’elles existent. Le radicalisme est nécessaire pour une discussion sérieuse des idées et des pratiques, pour opposer des systèmes de valeurs. Le pire qu’on puisse proposer à la jeunesse c’est de lui faire croire que toutes les choses se valent, que tel roman qu’on pourrait dire de gare est un chef-d’œuvre, que toutes les inscriptions individuelles dans la vie de la communauté ont les mêmes effets ; que l’individualisme et l’engagement sont pareils ; que l’utilisation du savoir ou du statut académique pour sa promotion individuelle et la mise de sa production et de sa pratique intellectuelles au service de la transformation des rapports humains et sociaux, c’est encore la même chose.

Les écoutes aussi

Ces contacts récurrents et de plus en plus systématiques entre écrivains et élèves sont devenus un phénomène important. Il produit du vivant et constitue un nouvel espace d’échanges. Les écrivains en ont conscience qui répondent presque toujours oui à ce type d’invitation. Et, quand ils se déroulent en dehors de Port-au-Prince, ils permettent aux écrivains de voir du pays. Personnellement, les textes des enseignes me fascinent : « Matou restaurant » ; « L’homme n’est plus », je n’ai pas lu la suite, mais je crois qu’il s’agit d’une chapelle funéraire, une ou deux rencontres avec des jeunes porteurs d’idées et de projets, dont le dynamisme est presque envoûtant.
J’avais le choix entre parler de cela et commenter la lettre de Michel Martelly à son successeur. Ces jeunes des Gonaïves m’ont semblé plus intéressants. Commenter la lettre de Martelly, même pour s’en moquer, c’est lui faire beaucoup d’honneur.

AUTEUR

Antoine Lyonel Trouillot

zomangay@hotmail.com
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