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« Panama papers » : à quoi sert l’offshore ?

vendredi 15 avril 2016

Par Mathilde Damgé et Maxime Vaudano
Le scandale « Panama papers », révélé par Le Monde en collaboration avec 108 médias internationaux partenaires du Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), met en lumière le rôle trouble joué par les juridictions offshores comme le Panama ou les îles Vierges britanniques dans l’opacité des circuits financiers mondiaux. Pour tout comprendre, Les Décodeurs reviennent sur les points clés du système offshore.

Les « Panama papers » en trois points

Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance offshore et des paradis fiscaux.
Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des médias.
Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous le coup de sanctions internationales ont recouru à des montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

Qu’est-ce qu’une société offshore ?

C’est le nom couramment donné aux entreprises enregistrées dans des pays qui proposent une fiscalité très faible et des réglementations très accommodantes, comme les îles Vierges britanniques, le Panama ou les Seychelles.

Ces « sociétés internationales d’affaires » (« international business corporation », ou IBC) n’exercent aucune activité économique réelle sur le territoire dans lequel elles sont enregistrées ; elles servent de simple « coquille » ou d’écran pour des activités exercées ailleurs. Outre la basse imposition, le pouvoir d’attraction des juridictions offshore vient de la facilité de création de sociétés et du faible contrôle sur l’identité de leurs bénéficiaires réels.

D’autres entités offshores, comme les trusts ou les fondations, fonctionnent à peu près sur le même modèle, bien qu’elles ne soient pas à proprement parler des IBC.

Comment crée-t-on une société offshore ?

Il y a généralement plusieurs intermédiaires entre le bénéficiaire réel d’une société et celui qui créé effectivement la structure. Le bénéficiaire peut faire appel à sa banque ou à un cabinet d’avocats fiscalistes pour choisir le meilleur paradis fiscal en fonction de ses exigences. Cet intermédiaire prend alors contact avec un agent de domiciliation de sociétés, qui se charge de tout enregistrer auprès des autorités des différentes juridictions.

La firme panaméenne de domiciliation de sociétés offshore Mossack Fonseca, par exemple, peut recruter des clients depuis son bureau de Luxembourg, puis demander à sa branche aux îles Vierges britanniques de créer la société offshore. Elle propose également divers services supplémentaires, de la redirection de courriers à la fourniture de prête-noms, en passant par des services bancaires.

A quoi ça sert ?

1. Ouvrir un compte en banque

Le scandale « Panama papers » prouve qu’une bonne partie des sociétés offshores enregistrées par Mossack Fonseca ont pour seule activité l’ouverture et la gestion d’un compte bancaire. Plutôt qu’ouvrir un compte directement à leur nom dans une banque suisse ou luxembourgeoise, les clients passent par l’intermédiaire d’une société-écran, à laquelle ils rattachent leur compte en tout anonymat. En effet, l’un des principaux avantages des sociétés offshores est leur opacité, qui permet de dissimuler l’identité réelle des ayants droit des sociétés. Cette méthode est utilisée par certains fraudeurs fiscaux soucieux de soustraire leur patrimoine à l’impôt sur la fortune ou d’exonérer leur descendance de droits de succession.

2. Détenir des biens

De la même façon, au lieu d’acheter directement une maison ou un yacht en leur nom, les clients peuvent le faire avec leur société offshore pour dissimuler leur identité. Si les différents intermédiaires manquent à leur mission de contrôle, cela peut permettre le blanchiment d’argent sale, issu d’activités criminelles ou frauduleuses. Un homme politique corrompu peut par exemple se voir offrir, en échange de certaines faveurs, la jouissance d’une villa à l’étranger détenue par une société offshore.

3. Protéger des fonds

Dans les pays politiquement ou économiquement instables, les élites recourent souvent à des sociétés offshores rattachées à des comptes pour protéger leur patrimoine des expropriations, de l’hyperinflation ou des règlements de comptes en cas d’alternance politique – sans forcément vouloir frauder le fisc. C’est pourquoi, dans les « Panama papers », les fichiers internes de la firme panaméenne Mossack Fonseca, on retrouve énormément d’oligarques russes, de membres de l’élite politique du Parti communiste chinois, ainsi que plusieurs hauts dirigeants des cinq continents. L’offshore est également un moyen efficace de contourner des sanctions économiques internationales.

4. Avancer masqué

D’autres acteurs économiques recherchent dans les sociétés offshores une couche de dissimulation que ne leur offre pas le droit des sociétés dans leur propre pays. Une personne frappée d’interdit bancaire y trouvera le moyen de mener quand même des opérations financières ; un investisseur malin y verra l’opportunité de monter discrètement au capital d’une autre société ; un homme d’affaires au passé douteux pourra remporter des contrats à l’étranger sans que son nom compromette les négociations.

5. Développer des activités à l’étranger

Certains acteurs économiques recourent aussi à des sociétés offshore pour faciliter leur développement à l’international. Pour s’installer en Asie du Sud-Est ou en Afrique, par exemple, certaines sociétés françaises créent de façon transparente des entités offshore communes avec des partenaires locaux. Des montages souvent légaux qui permettent de bénéficier de la faible fiscalité et de la simplicité réglementaire des paradis fiscaux.

Est-ce illégal ?

Non. La plupart des pays autorisent le recours aux sociétés offshores. Dans certaines parties du monde, comme l’Asie ou la Russie, c’est presque normal. En France, où les autorités sont plus méfiantes, les sociétés offshore sont légales à condition de déclarer le compte lié à la société – tous les comptes à l’étranger doivent être déclarés, sans exception, rappelle le Code général des impôts.

Une société sans compte, qui servirait à détenir des biens comme une maison ou un yacht par exemple, ne doit être déclarée que si elle verse des dividendes (il faut alors payer l’impôt sur le revenu) ou si le contribuable est assujetti à l’Impôt de solidarité sur la fortune – ses parts de sociétés, en France et à l’étranger, sont en effet intégrées au calcul de son ISF car il est taxable sur son patrimoine mondial.

Enfin, si cette société héberge une activité commerciale réalisée en France, il faut aussi la déclarer au titre de l’impôt sur les sociétés. Si l’activité est réalisée à l’étranger, la société peut quand même être taxée ; c’est le rôle des dispositifs anti-abus mis en place par Bercy et qui servent à faire « gommer » l’intérêt des régimes fiscaux privilégiés. Concrètement, si une structure établie hors de France est détenue à au moins 10 % par des résidents fiscaux en France et qu’elle est soumise à un impôt sur les bénéfices inférieur de 50 % à celui auquel elle serait soumise si elle était établie en France, elle est taxée.

Pour résumer, l’offshore n’est pas illégal en soi : cela dépend de ce que l’on fait avec.

Alors, quel est le problème ?
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Le problème posé par les juridictions offshores, c’est justement qu’on ne sait pas ce qui s’y passe. Pour préserver leur lucrative activité, les paradis fiscaux ne sont guère enclins à abandonner des pratiques et des services de dissimulation dont leurs clients sont friands.

Les différents niveaux d’opacité offerts par les entités offshore compliquent donc le travail de la justice et du fisc pour récupérer l’argent illégalement soustrait aux impôts ou remonter les circuits de l’argent sale.

Si les pressions internationales ont contraint certains d’entre eux à modifier leurs pratiques, le chemin vers la transparence est encore long, notamment en raison de la faible coopération des autorités locales pour appliquer les standards internationaux afin d’identifier, au-delà des prête-noms, les bénéficiaires réels des sociétés et l’origine de leurs fonds.

#PanamaPapers
Le lexique de l’offshore

Actionnaire(s)
Ce sont les propriétaires déclarés des sociétés offshore. Certains possèdent réellement le capital de ces sociétés, d’autres ne sont que des prête-noms.

Actions au porteur
A la différence des actions nominatives, ces actions anonymes permettent aux propriétaires réels des sociétés offshore de dissimuler leur identité. Ce type de titres, qui organise une opacité totale sur l’actionnariat, est en train de disparaître. Le Panama est l’un des derniers pays à les proposer