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« Panama papers » : Vladimir Poutine ironise sur une information « vraie »

vendredi 15 avril 2016

Par Isabelle Mandraud (Moscou, correspondante)
Interrogé sur les « calomnies des médias occidentaux », Vladimir Poutine est revenu jeudi 14 avril sur le scandale des « Panama papers » qui, sans le mettre directement en cause, concernent ses proches et nourrissent les soupçons sur sa propre fortune. « Je pensais que ce thème était déjà clos, mais si cela vous intéresse, je peux vous raconter », a commencé par répondre le président russe lors de son intervention annuelle à la télévision, « Ligne directe ».

Avant d’ajouter : « Aussi étrange que cela puisse paraître, ils ne publient pas d’informations fausses. L’information est vraie. » Etrange déclaration, en effet, puisque, selon M. Poutine, ces « vraies » révélations n’auraient été que le fruit d’une « provocation » américaine.

« Il semble, a poursuivi le chef du Kremlin, que [cette information] a été préparée non par des journalistes, mais par des juristes, car ils n’accusent personne en quoi que ce soit, ils tournent autour du pot. » Certes, son vieil ami le musicien Sergueï Roldouguine figure bel et bien dans les documents du fonds panaméen Mossack Fonseca épluchés par le Consortium international de journalistes d’investigation, dont Le Monde, mais « il ne vient même pas à l’esprit » de ces journalistes que M. Roldouguine, comme tout collectionneur, « pourrait dépenser tout l’argent gagné pour l’achat d’instruments de musique ».

Sur un ton plus mordant : « Ici, en Russie, on aurait pu imaginer un pot-de-vin avec des chiots lévriers [de race], mais en violons et en violoncelles, ça, je n’ai jamais entendu. Ces personnes se sont mis le doigt dans l’œil, ou peut-être ailleurs, de façon inattendue. »

« Oreilles des commanditaires »

Néanmoins, l’argent cumulé entre 2009 et 2012 sur le compte de la société Sandalwood Continental détenue par l’ami Roldouguine, qui atteint 2 milliards de dollars (1,7 milliard d’euros), selon les documents épluchés de Mossack Fonseca, a eu tôt fait de susciter quelques calculs sur les réseaux sociaux en Russie. Le journaliste indépendant Sergueï Parkhomenko a ainsi estimé que, sur la base d’un précieux violoncelle vendu 6 millions de dollars à New York, le musicien avait pu s’offrir l’équivalent de « 300 Stradivarius ».

Impossible, pour M. Poutine : « Sergueï Pavlovitch Roldouguine a bien acheté, si je ne me trompe pas, deux violons et deux violoncelles, des objets uniques » – la dernière acquisition ayant coûté, « c’était sur Internet, 12 millions de dollars ». Il a joué récemment à Moscou sur un Stradivarius de 1732, « Stuart », dont « le premier propriétaire » n’était autre que « le roi légendaire de Prusse, Frédéric le Grand », mais « tous les escrocs peuvent se calmer : Sergueï Pavlovitch n’a plus rien, car il a dépensé pour l’achat de ces instruments plus d’argent qu’il n’en avait, et il s’est endetté ».

Retour, donc, à l’argument principal : « Qui se livre à de telles provocations ? » « Nous savons qu’il y a des membres d’institutions officielles américaines », a affirmé M. Poutine. « Au premier article paru » dans le journal allemand Süddeutsche Zeitung (SDZ), le chef de l’Etat s’est d’ailleurs renseigné : SDZ « fait partie d’une holding de médias, et cette holding est détenue par le groupe financier américain Goldman Sachs. Partout, on voit les oreilles des commanditaires, ils ne se cachent même pas ».

Perquisition chez un oligarque

« Plus les élections approchent, plus il y aura ce genre d’informations, a conclu M. Poutine, mais ils doivent comprendre (…) qu’on ne peut pas faire danser ce pays. » Au passage, le chef du Kremlin a repassé le mistigri à Kiev : « On essaie d’attiser cette question des [comptes] offshore, mais, en Ukraine, les oligarques sont toujours au pouvoir et les utilisent. En fait, le système clanique s’est renforcé en Ukraine. »

Quelques instants après la fin de l’émission, qui a duré trois heures et quarante minutes, un communiqué du journal munichois mis en cause paraissait. « Süddeutsche Zeitung n’appartient ni directement ni indirectement à Goldman Sachs. Süddeutsche Zeitung est à 100 % une filiale de Süddeutscher Verlag. Celle-ci appartient à 81,25 % à Südwestdeutsche Medienholding et à 18,75 % à une famille d’éditeurs munichois. Toutes les informations (…) sont consultables dans les registres du commerce. »

Au même moment, à Moscou, le FSB, les services de sécurité russes, et des agents du fisc menaient une perquisition dans les locaux de l’oligarque Mikhaïl Prokhorov, propriétaire du groupe médias indépendant RBK, qui a récemment publié des informations sur l’entourage du président et ses intérêts financiers. Un fonctionnaire, cité par l’agence Interfax, a affirmé que la perquisition était liée à des « soupçons » d’évasion fiscale et de transferts de fonds dans des sociétés offshore.


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