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En Syrie, des élections en trompe-l’œil

mercredi 13 avril 2016

Alors que les négociations inter-syriennes ont repris à Genève, mercredi 13 avril, des élections législatives se tiennent en Syrie tout au long de la journée. Il s’agit du troisième scrutin organisé depuis le soulèvement contre Bachar Al-Assad en 2011 : des élections parlementaires avaient déjà eu lieu en 2012, avant la présidentielle de 2014. Si ce vote est conforme à la Constitution, il illustre le refus par le régime de toute forme de compromis.

Les bureaux de vote ont ouvert mercredi matin dans les zones contrôlées par le régime : à Damas, dans la région côtière et le centre de la Syrie. Dans les régions où la présence du pouvoir est partielle, comme dans les provinces d’Alep, de Deraa, de Deir ez-Zor ou de la périphérie de Damas, le scrutin ne se déroule que dans certaines parties : à Alep, l’ancien poumon économique du pays, on vote dans les quartiers de l’ouest de la ville, sous contrôle gouvernemental, mais pas dans la zone rebelle, dans l’est.

Le régime contrôle autour de 30 % du territoire, où vivent près de 60 % des Syriens qui sont restés dans le pays. Depuis 2011, au moins 5 millions de personnes ont fui à l’étranger, et plus de 7 millions se sont déplacées à l’intérieur du pays.

Dans deux provinces, il n’y a en revanche aucun bureau de vote : la région d’Idlib (nord-ouest), tenue par une coalition anti-Assad composée du Front Al-Nosra, groupe djihadiste affilié à Al-Qaïda, et de factions en majorité islamistes ; et celle de Rakka, aux mains de l’organisation Etat islamique.
Faut-il s’attendre à voir émerger un plus grand nombre d’élus indépendants ?

C’est peu probable. Selon le journaliste syrien Ibrahim Hamidi, la coalition pro-régime construite autour du parti Baas est assurée d’emporter au moins deux tiers des sièges de l’Assemblée du peuple, comme lors des précédentes élections législatives de 2012. 3 500 candidats concourent pour les 250 postes parlementaires à pourvoir. « Mais il est encore plus difficile aujourd’hui qu’avant qu’il y ait de véritables candidats indépendants, affirme Maha Yahya, chercheuse au Centre Carnegie pour le Moyen-Orient, basée à Beyrouth. Le régime n’est pas en position d’accepter que son autorité soit questionnée. »

« Ce qui est intéressant, c’est le profil des candidats en lice : on trouve des ex-miliciens ou des personnes qui ont pris les armes aux côtés du régime, des hommes d’affaires qui appuient le pouvoir, des personnes qui lui ont donné un soutien idéologique, note M. Hamidi, collaborateur du quotidien panarabe Al-Hayat. Ces gens essaient de se donner une légitimité. Ils ont tiré profit de la guerre et veulent maintenant se poser comme une nouvelle élite. » Les élections pourraient être suivies par l’établissement d’un nouveau gouvernement ou, du moins, par un remaniement ministériel.


Dans quel contexte se déroulent ces élections ?

Le scrutin de mercredi est conforme au calendrier électoral, qui prévoit la tenue de législatives tous les quatre ans. Mais l’annonce de la tenue de ces élections, en février, s’est faite dans des circonstances particulières : elle a eu lieu peu après que Washington et Moscou ont trouvé un accord pour une trêve en Syrie, celle qui reste en vigueur aujourd’hui, même si elle semble de plus en plus menacée. Elle est aussi intervenue alors que de nouvelles négociations inter-syriennes ont repris, tant bien que mal, depuis janvier, afin de trouver une solution politique à la guerre. Ces négociations se basent sur la résolution 2254 des Nations unies, qui prévoit la mise en place d’un organe de transition, la tenue d’élections générales et la rédaction d’une nouvelle Constitution.

La décision du régime de tenir ces élections apparaît donc à la fois comme un geste de défi et comme un refus du compromis. Bachar Al-Assad indique qu’il entend toujours dicter le tempo, malgré les efforts diplomatiques en cours. « Comme lors des précédents scrutins, il s’agit aussi pour le régime de dire que l’Etat se maintient, qu’il continue de fonctionner, ajoute Ibrahim Hamidi. Ces élections ont enfin valeur de carte de négociations pour le pouvoir. »

Le scrutin sera-t-il reconnu par Washington et Moscou, parrains des négociations ?


Les Etats-Unis considèrent comme illégitime le vote de ce mercredi, qualifié de « mascarade » par les groupes de l’opposition que Washington soutient. Quant à la Russie, après s’être dans un premier temps montrée agacée par l’organisation du scrutin, elle affirme que les élections sont « conformes à la Constitution syrienne ». Le chef de la diplomatie russe, Serguei Lavrov, considère qu’elles vont « éviter un vide politique avant la tenue d’un nouveau scrutin régi par une nouvelle constitution ». Si la Russie justifie ce vote, elle conserve toutefois son soutien à la résolution 2254 des Nations unies, qui prévoit un processus de transition.

« Dans tous les cas, ce vote ne redonnera pas une quelconque légitimité à un régime qui est accusé d’avoir commis des crimes de guerre, et qui organise un scrutin tronqué dans un pays en ruines, assure la chercheuse Maha Yahya. Le régime pourra utiliser ce vote pour dire qu’il dispose de l’adhésion d’une partie de la population, mais cela ne changera rien au niveau des relations internationales. »

Laure Stephan (Beyrouth, correspondance)
Journaliste au Monde


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