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La conversation secrète du FMI qui fait enrager le gouvernement grec

lundi 4 avril 2016

La fuite d’une discussion interne entre hauts responsables du FMI révèle l’extrême tension sur l’exécution du dernier plan de sauvetage à la Grèce.

Par Marc Vignaud

C’est une incroyable conversation sur la Grèce entre des responsables du Fonds monétaire international (FMI) qui a été publiée samedi sur le site de WikiLeaks. Quelqu’un a fait fuiter un échange tenu dans une téléconférence dans une chambre de l’hôtel Hilton à Athènes, le 19 mars, entre le directeur du département Europe de l’institution internationale, Poul Thomsen, sa représentante en Grèce, Delia Velculescu, et une autre représentante du FMI, Iva Petrova.

La retranscription de ce dialogue illustre à merveille le triple bras de fer auxquels s’adonnent en ce moment même les responsables européens, les Grecs et l’institution de Christine Lagarde. Le FMI face aux Grecs ; le FMI face aux Européens, et en particulier l’Allemagne ; les Européens face aux Grecs.

Des mesures « Mickey Mouse »

Au cours de l’échange, les responsables du FMI expriment leur vive inquiétude sur l’avenir du plan de sauvetage de la Grèce décidé l’été dernier. Ils accusent les Grecs de ne pas en faire assez pour redresser leurs comptes publics au niveau fixé dans l’accord de sauvetage. Premier bras de fer. « Ils ne s’en approchent pas. [...] Ils font quelque chose, mais ça reste très peu », s’insurge Delia Velculescu, en évoquant des mesures « Mickey Mouse ». En clair, de souris. Les points de blocage sont nombreux : la réforme de l’impôt sur le revenu et ses exemptions pour les petits revenus ou encore le système de retraite.

La Commission conciliante

Au passage, le FMI déplore l’attitude conciliante de la Commission européenne qui serait prête à se satisfaire de mesures moins ambitieuses de réduction du déficit. « [Les Grecs] n’ont aucune incitation, ils savent que la Commission est prête à faire des compromis », déplore Velculescu. L’institution internationale, elle, ne veut pas céder. « Je ne vais pas accepter un paquet de petites mesures. Je ne le ferai pas », martèle Poul Thomsen.

Sans effort supplémentaire pour redresser ses comptes, il craint que la Grèce ne se révèle incapable de le rembourser, comme le montre une analyse de la soutenabilité de la dette grecque que le FMI garde pour l’instant dans ses tiroirs. Si les cibles budgétaires très rigoureuses définies ne sont pas atteintes, le nouveau plan d’aide européen annoncé à 86 milliards d’euros risque en effet de ne pas être suffisant pour remettre la Grèce sur la voie de la solvabilité.

 « Écoutez, Madame Merkel… » 

C’est pourquoi l’institution basée à Washington se montre également acerbe contre les Européens, en particulier l’Allemagne, pour n’avoir toujours pas ouvert le dossier de l’allègement de la dette grecque. Sans engagement clair sur ce terrain, elle menace de se retirer et de ne pas débourser un centime de plus pour Athènes.

C’est le deuxième bras de fer. « Écoutez, Madame Merkel, vous faites face à une question et vous devez choisir ce qui est le plus coûteux : avancer sans le FMI, même si le Bundestag dit : Le FMI n’est pas partie prenante ?, ou choisir l’allègement de la dette grecque dont nous pensons que la Grèce a besoin pour nous garder dans le jeu. Voilà la vraie question », imagine d’expliquer Poul Thomsen à la chancelière allemande.

Le FMI déplore que cette question n’ait toujours pas été réglée, malgré le poids supplémentaire que fait peser la crise des réfugiés sur Athènes. « Quand cela va-t-il se produire ? Je ne sais pas, je suis surprise que ça n’ait pas déjà eu lieu. Je préférerais pour le salut des Grecs et de tous que cela se produise, tôt ou tard », répond sa collègue Delia Velculescu.

Le défaut, seule menace capable de forger un compromis ?

Si tout va bien, les discussions sur l’allègement de la dette grecque doivent commencer à la mi-avril, alors qu’elles devaient initialement se tenir… en octobre dernier !

Mais les responsables du FMI vont jusqu’à envisager qu’il ne se passera rien avant que tout le monde ne se retrouve dos au mur, par exemple quand la Grèce devra rembourser un prêt en juillet et risquera le défaut de paiement. « Il n’y a rien d’autre autrement qui pourrait forcer un compromis. N’est-ce pas ? Cela va durer une éternité », s’inquiète Poul Thomsen.

Des déclarations immédiatement interprétées par le gouvernement grec comme une volonté du FMI de pousser le pays au bord du défaut de paiement afin de mieux le faire rentrer dans le rang et l’obliger à accentuer la rigueur.

Échange épistolaire entre Lagarde et Tsipras

Si bien que, le 2 avril, le Premier ministre Alexis Tsipras a envoyé une lettre à Christine Lagarde pour la sommer de clarifier la position officielle du Fonds. Dans sa réponse rendue publique dimanche soir (en anglais), la directrice générale a réfuté l’accusation des autorités grecques. « Toute spéculation selon laquelle l’équipe du FMI envisagerait d’utiliser un événement de crédit comme tactique de négociation est un non-sens », balaie-t-elle.

La directrice générale du FMI va jusqu’à demander à Athènes d’assurer le respect de la confidentialité des conversations internes du Fonds en Grèce, une façon de suggérer que les autorités pourraient être responsables de la mystérieuse fuite !

Pas d’atténuation de la rigueur sans allègement de dette

Dans ce jeu de poker menteur, certains estiment en effet qu’Athènes a utilisé la conversation interne au FMI pour jeter de l’huile sur le feu afin d’exclure définitivement le Fonds de la table des négociations et de pouvoir discuter seule avec les Européens un assouplissement du programme d’austérité.

Mais, pour l’instant, Christine Lagarde n’a pas encore jeté l’éponge : elle a autorisé son staff à retourner à Athènes ce lundi pour évaluer les mesures prises par la Grèce, malgré une confiance largement entamée entre les deux parties.

Sur le fonds, la secrétaire générale du FMI justifie sa position dure sur le redressement des comptes grecs : « Comme vous et moi en avons discuté plusieurs fois, y compris récemment au téléphone, j’ai toujours souligné que, s’il s’avérait nécessaire d’abaisser les cibles budgétaires pour avoir une chance de les atteindre, il faudrait aussi prévoir un allègement de la dette plus important », écrit-elle à Alexis Tsipras.

Une manière de rappeler que le principal bras de fer oppose Athènes et le reste de la zone euro, en particulier Berlin. L’Allemagne refuse toujours tout allègement de dette autre qu’un allongement des délais des remboursements ou une baisse des taux d’intérêt.

La tragédie grecque n’est toujours pas terminée.


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