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Martelly, l’ultime dérapage…

mardi 2 février 2016

Ecran de fumée pour masquer l’échec d’un quinquennat. Peut-être. Obsession de l’enculade. Aussi. Michel Martelly, du char au palais, du palais à un char, a perdu l’art de faire rire.

Le quinquennat de Michel Martelly s’achève. Son bilan n’a rien de flatteur. Le taux de croissance du PIB, 1,7 % en 2015, raconte les tracas d’une économie qui coule à pic. La gourde a perdu plus de 25 % de sa valeur pour s’échanger à 62 gourdes pour un dollar en quelques mois. L’inflation, 12,5 %, a doublé par rapport aux prévisions du début du dernier exercice budgétaire. La dette, sous Tèt Kale, s’est creusée en cinq ans : 2 milliards de dollars. 6 millions d’Haïtiens vivent dans la pauvreté avec moins de 2 $ par jour. D’autres sont sur la frontière de l’extrême pauvreté à cause de la décote de la monnaie locale. Les promesses de changement du président Michel Martelly, notamment aux paysans décapitalisés, ont tourné court. Son népotisme, ses fréquentations sulfureuses ne l’ont pas aidé. Il n’a pas eu le loisir de voguer sur un fleuve tranquille, lui qui n’avait pas organisé d’élections en quatre ans mais rêvé de mettre son dauphin sur la chaise bourrée. Pour se venger des critiques, sans prendre la part qui lui revient de ce gâchis, le président Michel Martelly avait toujours menacé de laisser sortir Sweet Micky, son moi artiste, salace, « trash » qui avait joui d’une permissivité inouïe dans le passé. Parmi ses cibles, Liliane Pierre-Paul, une icône de la presse haïtienne, victime de la dictature des Duvalier. Depuis dimanche, le chef d’Etat encore en exercice, au « nom de la liberté d’expression », attaque Liliane Pierre-Paul qu’il désigne par Ti Lili et Jean Monard Métellus, chroniqueur politique et animateur du plus grand show politique en Haïti, Ranmase, qu’il appelle Ti Mona. Sa méringue « Ba l Bannann », un mélange de référents à connotation sexuelle, charrie aussi un symbole : la banane, la marque de son dauphin, Jovenel Moïse. « Ba l bannann nan tou kale, ak tout po », « Yes manman », sont les armes d’un président en mal d’un coup d’éclat, d’un écran de fumée pour détourner l’attention de son échec qui impactera le pays pendant plus que les cinq prochaines années. Sans être Freud, l’écrivain Lyonel Trouillot met le président sur le divan. « Michel Martelly semble ne connaître qu’une joie et un principe. Son action, sa pensée, son système symbolique : l’enculade », a confié Lyonel Trouillot au journal. « Il se pourrait que sa méringue rate ses cibles et n’ait rien qu’un effet de miroir », ajoute-t-il. Pour le docteur Roland Léonard, journaliste, spécialiste en musique, cette méringue est une « vengeance bouffonne dans la tradition de Sweet Micky, avec son goût de la caricature et de l’invective salace ». Yves Lafortune, avocat, spécialiste en administration publique, ne s’attarde pas à commenter. Il refuse sec. « De mon lieu de citoyen, je dis non à la bêtise et à la laideur sous toutes ses formes », justifie-t-il, en faisant autre chose. Il est dans l’exaltation d’un modèle. « Consultations et Résultats rend hommage à Madame Liliane Pierre Paul du fait de son engagement sans relâche pour le respect du peuple haïtien, la défense des libertés publiques, la démocratie, l’égalité des sexes ». Ce geste, explique Yves Lafortune, « peut constituer une part de don à la construction de la citoyenneté ». Les élites haïtiennes sont appelées sur le front pour dire « non à la bêtise, à la laideur et enfin à tout ce qui nous diminue », fend Yves Lafortune. Lisa François de Fanm Yo La, elle aussi, est dans l’hommage comme réponse à la flétrissure. « Je veux saluer le travail de Liliane Pierre-Paul et marquer ma solidarité avec cette icône de la presse qui a derrière elle plus de trente années de lutte pour la démocratie, la liberté d’expression », confie Lisa François, coordonnatrice de Fanm Yo La qui trouve que « c’est dommage qu’un chef d’Etat qui a des responsabilités utilise son pouvoir pour faire des attaques et viser des objectifs qui ne sont pas nobles ». Pour Hérold Jean François, directeur de Radio Ibo et président de l’ANMH, il est hors de question de diffuser cette méringue.« Nous ne pouvons pas diffuser la méringue carnavalesque d’un prédateur de la liberté d’expression », affirme Hérold Jean François. Michel Martelly ne peut pas se draper dans la liberté d’expression, conquête de haute lutte, pour exprimer son intolérance de chef suprême qui rebiffe face à la critique dans l’exercice de ses attributions de président de la République. « Michel Martelly n’est pas un simple citoyen. C’est le président de la République. Ses actions sont publiques et commentées dans le cadre de ses fonctions. Ce n’est pas comme si on mentait à son sujet », explique le président de l’ANMH. Peu loquace, le magnat de la presse, Patrick Moussignac, P.D.G. de Radio -Télévision Caraïbes (RTVC) et d’autres médias, confie que cette méringue ne sera pas diffusée. « Je suis membre de l’ANMH. C’est un membre de l’ANMH qu’on a attaqué. C’est une position de solidarité », indique-t-il. Dans ce concert de non, il y a des animateurs. Ti Mèt, animateur de compas à Radio Kiskeya, indique qu’il ne jouera pas cette méringue. La radio ne diffuse aucune méringue cette année. Zagalo, sur Radio Solidarité, a la même consigne. L’animateur dit avoir observé l’existence d’une polémique depuis la diffusion de cette méringue dans laquelle les références à des journalistes sont claires pour certains, pas clairs pour d’autres. Après quelques secondes, Zagalo souligne tout de go : « Je n’y vais pas par quatre chemins, la position de tout journaliste est de ne pas jouer cette méringue ». Jean Lucien Borges, P.D.G. de Radio Tele Ginen d’Haïti qui a une grande couverture nationale, confie n’avoir pas encore écouté ni reçu le carnaval. « Donc, je ne sais rien de lui », indique le patron de médias. « Je joue toutes les méringues qui correspondent au standard de la radio. S’il n’y a pas de bêtise et de la diffamation », souligne Jean Lucien Borges. Albert Chancy de Radio Télé Super Stars n’a pas retourné l’appel sollicitant ses commentaires. Le secrétaire général de l’AJH, Jacques Desrosiers, a condamné un nouveau dérapage de toute une série pendant le mandat de Michel Martelly. Carel Pèdre, animateur d’un show sur Radio One et gestionnaire du site Plezi Kanaval, confie que la méringue Ba l bannann a été joué 106 000 fois en 24 heures. Cependant, l’animateur observe que l’accueil est partagé. Sur la Toile, les fans de Sweet Micky aiment et ceux qui n’aiment pas le président trouvent qu’il n’est pas normal qu’un président s’attaque à des journalistes dans une méringue puisqu’on assimile Ti Lili ak Ti Mona à des membres de la presse. « J’ai diffusé cette méringue ce matin parce que je diffuse toutes les méringues populaires, surtout celles qui ont du succès sur Plezikanaval », selon Carel Pèdre. « La question de savoir si je la diffuse ou pas ne s’était pas posée pour moi parce que je n’avais pas posé la question pour les 632 autres méringues », indique l’animateur de radio. Sur la Toile, il y a des réactions d’indignation. Certains, en revanche, supportent le chef de l’Etat tandis que d’autres estiment que les journalistes ne devraient pas être des intouchables dans la société. Mais, pour comparer la gravité du geste, sur tweeter, une abonnée a simplement osé la comparaison pour montrer l’énormité de la chose : « Imagine Obama interpréter cette chanson pour se venger de Diane Sawyer ou de Anderson Cooper ».
Roberson Alphonse

robersonalphonse@lenouvelliste.com


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