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Frédéric Lenoir : "La joie est un acte de résistance individuel et collectif"

vendredi 27 novembre 2015

L’auteur du best-seller "La Puissance de la joie" livre ses conseils pour distiller de la joie dans nos quotidiens, après les terribles événements de Paris.

Propos recueillis par Jérôme Cordelier

La joie contre les obscurantismes ! L’écrivain Frédéric Lenoir a fait de ce sujet, qui n’a pas toujours bonne presse, un best-seller. Publié il y a quelques semaines, La Puissance de la joie (Fayard) trône dans les listes des meilleures ventes de livres. Alors que la France est encore sous le choc des attaques qui ont ensanglanté Paris, et que l’hommage national aux victimes vient d’avoir lieu aux Invalides, nous avons demandé à Frédéric Lenoir quelques conseils pour être heureux.

Le Point : Comment défendre la joie dans la période sombre que nous vivons ?

Frédéric Lenoir : C’est justement dans de telles périodes qu’il est bon de le faire. Et avec force ! Ceux qui nous attaquent cherchent à généraliser la peur. La meilleure chose que nous ayons à faire, donc, c’est de cultiver la joie de vivre. Comme l’ont montré Spinoza et Nietzsche, la joie est le signe d’un accroissement de notre puissance vitale. Quand on est dans la joie, on se sent exister plus et mieux. Et, en l’occurrence, en agissant ainsi, nous opposons une logique de vie à la logique de mort que l’on tente de nous imposer. C’est un acte de résistance individuel et collectif.

Mais comment cultiver la joie ?

La joie ne se décrète pas, mais on peut créer un climat favorable, un état d’esprit pour permettre à ce sentiment d’émerger. On peut, par exemple, être attentif à tous les petits plaisirs que procure la vie, être présent à ce que l’on fait. Développer des qualités de présence aux autres,savourer les bons moments de la vie.

Pas facile en ce moment…

Oui, mais, comme le souligne le philosophe Clément Rosset, le grand paradoxe de la joie est qu’elle peut être présente malgré toutes les souffrances de la vie. Elle nous tombe dessus comme une grâce ! J’ai été contacté par une personne dont les deux fils avaient perdu leurs petites amies, sous leurs yeux, au Bataclan. Elles s’étaient inscrites à la conférence sur la joie que nous devions donner trois jours après les attentats aux Folies Bergères, à Paris. On se demandait s’il ne fallait pas annuler, et cette personne m’a appelé pour me dire : "Surtout, n’annulez pas : on a besoin de cette bouffée d’air." La soirée a eu lieu, très peu de personnes ont annulé, et on a vécu un moment très intense de communion et même de joie partagée, malgré la peine qui habitait aussi notre cœur en pensant aux nombreuses personnes victimes de cette barbarie.

Vous vous faites le chantre de la joie qui, pourtant, n’a pas bonne presse. C’est presque un gros mot chez nous…

Oui, du moins chez les intellectuels depuis le XXe siècle, pour qui joie a quelque chose de naïf. Et pour cause. C’est une émotion, on ne peut pas la raisonner. Et c’est quelque chose qui nous échappe, de mystérieux. Les philosophes contemporains préfèrent parler du tragique de l’existence, de la question du mal. Pourtant, selon moi, la joie ne s’oppose pas au tragique. Nietzsche, par exemple, est à la fois un grand penseur du tragique et un grand philosophe de la joie. Comme Spinoza ou Montaigne qui considéraient que le sens de la vie était de faire grandir la joie autant qu’on le peut, malgré toutes les épreuves et les difficultés de l’existence.

Avez-vous quelques conseils à donner à vos contemporains pour surmonter la peur et faire grandir la joie ?

J’en donne beaucoup dans mon livre. Outre développer la qualité d’attention et de présence dont j’ai parlé, on sera beaucoup plus joyeux si on sait conscientiser les bons moments de l’existence, les petits plaisirs du quotidien, et si on apprend à remercier la vie plutôt que de se plaindre en permanence. Le soir, ainsi, avant de m’endormir, je me remémore les moments joyeux de la journée et je dors beaucoup mieux que quand je ressassais les moments pénibles ! Autre qualité à cultiver : la persévérance dans l’effort. Bien des joies proviennent d’un effort surmonté. Mais aussi de cultiver la relation, l’amour et l’amitié, le don, la bienveillance, car les plus grandes joies viennent de la convivialité, du partage, de la communion.

Et sont différentes des plaisirs, précisez-vous dans votre livre…

Bergson souligne que le plaisir est "une ruse que la nature a inventée pour la survie de l’espèce". Si nous n’avions pas de plaisir à manger ou à faire l’amour, nous dépéririons et ne nous reproduirions pas. La joie est plus intense que le plaisir, car elle signifie la plénitude de la vie. Mais précisons, comme l’exprime Spinoza, qu’il y a deux états de joie. D’une part, les joies passives, liées à des idées erronées, qui ne correspondent pas à une vérité. D’autre part, les joies actives qui sont adossées à une connaissance juste du réel. Par exemple, si je tombe amoureux de quelqu’un sur lequel je projette plein de choses imaginatives, je suis dans une joie passive (de type passionnel) qui se transformera tôt ou tard en tristesse ou en haine ! Alors que si mon amour est fondé sur une vraie connaissance de l’autre, la joie sera plus forte et plus durable.

Ce genre de discours peut apparaître comme celui d’un martien à certains, ne croyez-vous pas ?

Pour les révoltés, les cyniques et auprès d’une certaine intelligentsia parisienne, peut-être. Mais je peux vous assurer que je rencontre partout en France et dans le monde des gens pour qui la joie de vivre est quelque chose de naturel qu’il est important de cultiver, car c’est une des conditions essentielles du bonheur individuel et collectif... comme l’a très bien montré Spinoza, qui n’est pas le dernier des idiots !


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