Les Lambert poussés vers la sortie, Don Kato et Jackito élus dans la nouvelle tour de Babel du Sénat

Après la publication des résultats préliminaires des élections sénatoriales qui se sont tenues le 25 octobre dernier, et avant les contestations qui, sans nul doute, vont suivre, la configuration du Sénat haïtien augure d’une nouvelle période d’incertitude politique en Haïti. Aucun parti ou plateforme n’est en passe de détenir la majorité au Grand corps. Si les résultats ne changent pas, à la suite des contestations qui peuvent survenir, dix partis politiques (LIDE, Verite, PHTK, AAA, Pitit Dessalines, KID, PONT, Fanmi Lavalas, OPL, Alternative et INITE) sont déjà représentés au Sénat et trois autres formations (Bouclier, Lapeh, Consortium) en course dans les départements du Nord, du Centre et de la Grand’Anse vont possiblement grossir la liste. Une nouvelle tour de Babel politique prend forme sous nos yeux, d’autant que les résultats préliminaires pour les députés reproduisent l’atomisation du paysage politique haïtien dans les deux chambres. Cette diversité est une vraie plaie démocratique ces dernières années. Mais en fait, le Sénat, comme pour les cinq dernières années, se divisera en pro et anti Tèt Kale, le mouvement politique du président Michel Martelly, un chanteur parvenu à la tête de l’État. Trois chanteurs, deux visions Parlant de chanteurs, deux nouvelles idoles s’apprêtent à faire leur entrée au Sénat. Antonio Cheramy, “Don Kato”, avec 297 260 votes lors du second tour de l’élection sénatoriale dans l’Ouest, et Jacques Sauveur Jean, Jackito, avec 40 947 voix dans le petit département (peu peuplé) du Nord-Est. Les deux hommes sont les symboles des lignes de fracture politique du pays. Les deux avaient fait campagne pour René Préval et sa plateforme INITE avant de prendre deux chemins opposés. Kato est un anti-Martelly viscéral, Jacques Sauveur Jean ne jure plus que par l’équipe Tèt Kale. Banni à plusieurs reprises du parcours carnavalesque à cause de ses méringues critiques contre le pouvoir Tèt Kale, « Don Kato », figure de proue de la plateforme Verite, a défait son compétiteur, l’homme d’affaires Alix Didier Fils-Aimé, ancien président de la Chambre de commerce et d’industrie d’Haïti, lui aussi candidat sous la bannière de la plateforme politique Verite. Dans le Sud-Est, il y a eu un séisme politique. Coup d’arrêt au règne quasi dynastique des Lambert. Joseph Lambert (PHTK), ex-président du Sénat, ex-conseiller politique du président Martelly, a été battu ainsi que son controversé petit frère Wenceslas Lambert (PHTK). Le Sud-Est a choisi Dieupie Chérubin, KID, qui a obtenu 51 251 votes, 28,78%, et Ricard Pierre de Pitit Dessalines qui a glané 50 437 votes, 28,32%. Si Ricard Pierre est élu, cet ancien parlementaire sera le premier sénateur issu du parti de Moïse Jean Charles. On ne sait pas pour l’instant si les frères Lambert vont exercer des recours. Dans le Nord-Ouest, pour le 2e tour des sénatoriales, Onondieu Louis du KID, le parti du Premier ministre Evans Paul, est arrivé en tête avec 49 273 votes, soit 37,69%. Il est suivi d’Evalière Beauplan du PONT, qui, avec 47,754 votes, soit 36,53%, est en route pour obtenir un nouveau mandat de sénateur. Dans le Nord-Est, Ronald Larêche, Verite, a décroché 52 020 votes, soit 39,42%, et Jacques Sauveur Jean (PHTK), chanteur devenu entrepreneur agricole, a obtenu 40 947 votes (31,03%). Ronald Larêche, ex-député, était président de la commission des Affaires étrangères de la Chambre basse. Le KID d’Evans Paul fait surface Pour l’Artibonite, Carl Murat Cantave du KID a obtenu 96 383 votes, soit 53,39%. Cantave devra attendre la publication des résultats définitifs afin de confirmer cette nette victoire. C’est la première fois que le KID d’Evans Paul est en position de faire élire trois de ses candidats au Grand corps. Au Sénat, CMC rejoindra Youri Latortue (AAA), élu au premier tour sur tapis vert après une décision du BCED qui avait suscité beaucoup de controverses et une note du CEP pour interdire le mode de comptage qui lui a permis d’être élu. Youri Latortue, ancien sénateur, conseiller du président Michel Martelly et président d’un parti à forte implantation régionale dans le département de l’Artibonite (AAA), revient au Sénat avec Jean Renel Sénatus, ancien commissaire du gouvernement de Michel Martelly, qui lui aussi a été élu à la suite à d’une décision contestée des services contentieux du CEP, qui, dans un grand cafouillage, piétinant ses propres décisions, a fini par consacrer les décisions de ses instances contentieuses. Le Conseil électoral a même perdu un recours devant les instances qui dépendent de lui. Selon la composition définitive du Sénat, on peut s’attendre à ce que la validation des pouvoirs de ces deux sénateurs élus au premier tour soit agitée. Lavalas se maintient au Sénat Dans les Nippes, pour le 2e tour des sénatoriales, Nenel Cassy (Fanmi Lavalas) a obtenu 30 953 votes, soit 29,98%. Cassy revient au Sénat si tout se passe bien. Il sera le seul Lavalas à être élu à ce niveau sous la bannière du parti de Jean-Bertrand Aristide. Cassy, ex-sénateur lui-même, pourra rejoindre d’autres sympathisants de ce courant politique qui sont parmi les 10 sénateurs restants encore en poste. L’autre prochain sénateur des Nippes sera Crancenet Dénius de la plateforme Verite, 28 801 votes, 27,89%. Dans le département du Sud, Jean-Marie Jr Salomon (OPL) a eu 59 580 votes, ce qui représente 28,33%. Il est suivi de Richard Lénine Hervé Fourcand (PHTK) avec 57 849 votes, soit 27,51%. Jean-Marie Salomon est un ex-commissaire du gouvernement qui a été révoqué par l’ex-ministre de la Justice Jean Renel Sanon après avoir arrêté Daniel Evinx dans une affaire de drogue trouvée en mer. Daniel Evinx, réputé proche des Tèt Kale, est porté disparu depuis près de deux ans. En attente de confirmation au 2e tour Dans le Nord, le Centre et la Grand’Anse, quatre candidats croiseront le fer au second tour dans chacun de ces départements où la violence avait empêché la tenue du premier tour des életions sénatoriales le 9 août 2015. Pour le Nord, Nawoom Marcellus du parti Bouclier, qui a eu 49 560 votes, soit 22,74%, Dieudonne Etienne Luma de PHTK avec 38 447 votes, soit 17,64% ; Kelly C. Bastien de Verite, 24 306 votes, soit 11,15% ; et Justin Métélus, Bouclier, 18 237 votes, 8,37% complètent la brochette des candidats bons pour le 2e tour prévu pour le 27 décembre 2015. Dans le Centre, Willot Joseph (PHTK) avec 43 491 votes, soit 27,78% ; Wilfrid Gelin, (PHTK) avec 24 647 votes (15,75%) ; Jean Junior Jiha de Bouclier qui a obtenu 19 974 voix, (12,76%) ; et Gregory Chevry de LAPEH, 14 179 voix (9,06%) sont les quatre candidats en pôle position pour le 2e tour, si tout reste en l’état. Pour la Grand’Anse, l’ex-chef rebelle en 2004, ex-militaire, ex-commissaire de police et ex-paramilitaire, Guy Philippe de la plateforme Consortium arrive en tête dans une course très serrée avec 24 648 votes, soit 22,49%. Il est talonné par l’ex-député Sorel Jacinthe, Inite Patriotik, 23 890 votes, soit 21,80%. L’ex-sénateur Michel Clérié de PHTK est à l’affût avec 21 076 votes, soit 19,23%. L’ex-sénateur Jean Maxime Roumer (Bouclier) ferme le classement avec 9 654 votes, 8,81%. Le cas Lambert Après les contestations et le second tour pour compléter les sièges au Sénat, les nouveaux élus se retrouveront à la Chambre haute, le plus souvent hostile à l’administration Martelly. Les nouveaux sénateurs siègeront avec Jean-Baptiste Bien-Aimé, (fammi Lavalas) Nord-Est ; Annick François Joseph (OPL) Steven I. Benoît (Alternative) Ouest ; Jocelerme Privert (Inite), Nippes, Andris Riché (OPL), Grand’Anse, Wesner Polycarpe (Alternative) ; Edo Zenny (Inite) Sud-Est, Carlos Lebon (Inite), Sud), Franscisco Delacruz (OPL), Centre ; Lucas ST Vil (Inite), Nord-Ouest. Parmi les têtes qui ne reviennent pas au Sénat, il y a Francky Exius (Fanmi Lavalas), membre du groupe des 6, farouche opposant à l’ex-président, et Yvon Buissereth (Verite), Sud, ex-Lavalas. Le départ de ces deux sénateurs marque la fin de la prépondérance de Lavalas à ce niveau de représentativité dans ce département, lieu de naissance de Jean-Bertrand Aristide. Autre opposant à Michel Martelly qui ne prêtera pas serment pour un nouveau mandat, il y a Jean William Jeanty (Kontra pèp) qui rate le siège de sénateur des Nippes. Autre ancien sénateur qui n’aura plus les privilèges des élus du Grand corps, Jean Willy Jean-Baptiste (AAA), Artibonite, a fait un autre choix. Enfin, il y a les cas Lambert, deux candidats du PHTK de Michel Martelly, mais ex-potomitan de INITE du temps de René Préval, deux frères que le Sud-Est a mis de côté et qui ne reviendront pas au Sénat, sauf revirement de dernière minute devant le BCED ou le BCEN, les organes contentieux du Conseil électoral.
Roberson Alphonse et Frantz Duval